Saluons une fois encore la chaîne télévisuelle franco-allemande ARTE pour la qualité de ses émissions, pour le respect qu’elle a de ses téléspectateurs, pour son indépendance d’esprit et pour le remarquable travail qu’elle accomplit afin de faire de nous des citoyennes et des citoyens informés et responsables, c’est-à-dire en capacité de se former un jugement sur toutes les grandes questions que soulève notre époque. Et soyons certains que son identité franco-allemande contribue largement à ce qu’il en soit ainsi. Deux exemples à une semaine d’intervalle nous en fournissent la preuve.
La semaine passée, refusant de céder aux intimidations et aux pressions, y compris judiciaires, exercées contre elle par la multinationale Veolia, ARTE a maintenu sa programmation et diffusé le film franco-allemand « Water makes money » (1) des réalisateurs indépendants allemands Leslie Franke et Herdolor Lorenz. L’Association pour l’amélioration du cadre de vie et de l’environnement en avait assuré la projection à Louviers en avant-première nationale le 22 septembre 2010. « Water makes money », ou comment les multinationales de l’eau ont réussi là où les alchimistes médiévaux avaient échoué. Le rêve, non pas de transmuter le plomb en or, mais plus fort encore, l’eau en or. Veolia, tout comme Suez-Lyonnaise des Eaux qui furent jusqu’il y a peu parmi les principaux bailleurs de fonds des grands partis politique de droite comme de gauche. Et qui entretiennent soigneusement une proximité plus que troublante avec l’Élysée comme avec le pouvoir en général, partout où il s’exerce.
Cette semaine, en diffusant le film-document « R.A.S. – Nucléaire – Rien à signaler » d’Alain Le Halleux sur la situation des travailleurs du nucléaire en Europe, mais principalement en France puisqu’étant le pays le plus nucléarisé au monde. Des salariés appartenant à des entreprises sous-traitantes de GdF-Suez en Belgique et d’EdF en France, et dont les conditions de travail scandaleuses autant que les salaires misérables eu égard aux qualifications professionnelles requises et aux risques encourus, mettent à présent en péril la sécurité des installations nucléaires ainsi qu’il est démontré.
Quelle chaîne publique française du groupe France Télévisions – ne parlons même pas des chaînes privées –, dont le président est désormais nommé par le président de la République, fou furieux du nucléaire au point d’avoir voulu en vendre au colonel Kadhafi et ami des patrons des multinationales de l’eau, aurait osé diffuser de tels documents ? Nous pouvons l’affirmer sans crainte d’être démenti : actuellement aucune.
C’est à la fois l’indépendance totale d’ARTE et la différence de sensibilité de nos deux peuples sur la question du nucléaire – mais qu’en serait-il en France, si comme en Allemagne, un réel débat démocratique avait eu lieu sur cette question ? –, conduisant à des positions diamétralement opposées, qui ont permis que soit traité un tel sujet qui nous concerne toutes et tous, citoyennes et citoyens européens que nous sommes.
Car, c’est une évidence, quelle que soit la position de nos pays respectifs sur le choix du nucléaire pour produire l’énergie électrique dont nous avons besoin, en cas de problème majeur comme aujourd’hui au Japon à Fukushima, les frontières ne règleraient en rien la question des conséquences, demain pas plus qu’hier avec le nuage de Tchernobyl. Le choix du nucléaire et la poursuite éventuelle de ses programmes en France imposent à nos voisins européens des risques qu’ils ont depuis longtemps déjà refusé démocratiquement de prendre et qui pourraient demain se trouver à l’origine de futurs conflits.
Même s’il est urgent que la question du nucléaire soit en France soumise au débat et fasse l’objet d’une consultation démocratique, il n’est pas de solution uniquement nationale répondant à ce problème qui concerne au premier chef notre continent tout entier, mais aussi par de nombreux aspects la planète entière. Pas plus qu’il n’est acceptable, pour les années où resteraient encore en fonctionnement des installations nucléaires de production d’énergie qu’elles soient mises entre les mains de groupes privés dont la finalité est le profit. L’accès à l’énergie, tout comme l’accès à l’eau font partie des droits fondamentaux de l’humanité et il n’est pas acceptable que des sociétés privées en tirent avantage.
L’Union européenne, aveuglée par son néolibéralisme et le dogme de la concurrence libre et non faussée, a sur ce sujet fait fausse route. C’est aux peuples européens de le lui signifier. L’industrie du nucléaire, partout où elle en service et pour le temps qu’elle existe encore, parce qu’il en va de la sécurité des populations, doit être exclusivement du ressort du service public. Le pitoyable spectacle que donne à voir l’opérateur japonais Tepco confronté à la catastrophe de Fukushima ne le démontre hélas que trop. Il en va de l’avenir de l’humanité.
Reynald Harlaut
Parti de Gauche
(1) une nouvelle projection de ce film est programmée à Val-de-Reuil en mai prochain à l'initiative de l'Association pour l'amélioration et la protection de l'environnement et avec la collaboration du cinéma rolivalois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire