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A l'époque du passage à niveau…aujourd'hui disparu. |
En juillet 1985, lors du déraillement
du Rouen-Paris en gare de Saint-Pierre-du-Vauvray, le hasard et la proximité
avaient voulu que je sois le premier journaliste sur les lieux de la
catastrophe qui fit 9 morts et 78 blessés. Je n’étais pas seul puisque les
sapeurs-pompiers de Louviers m’avaient en quelque sorte, ouvert la route. Ce n’était
pas encore l’époque des portables et des appareils numériques. J’avais alerté l’AFP
de la mairie de Saint-Pierre après avoir découvert l’ampleur du déraillement du
à une collision avec un camion qui avait franchi le passage à niveau de manière
totalement irresponsable.
Etre le premier sur les
lieux m’avait permis d’approcher de très près les wagons éventrés et de découvrir
l’horreur des corps sans vie ainsi que d’entendre les plaintes des blessés
tandis que les autres passagers erraient le long des voies.
Si j’évoque ce drame
national c’est parce que le jour même de l’accident ferroviaire, j’ai été
contacté par des journalistes de Paris-Match. Ils étaient en quête de photos en
couleur. Venus à moto sur les lieux tandis que des hélicoptères tournaient au
dessus des lieux tragiques, ces « photos reporters » avaient appris ma présence
précoce et imaginaient déjà les clichés que j’aurais pu faire et qu’ils
auraient exploités. Ayant appris que mes négatifs n’étaient que du noir et
blanc (en 1985, la Dépêche n’était pas en couleur) et surtout que je n’avais
aucune photographie des morts en situation — étant dans l’incapacité éthique de
réaliser ces clichés — les
Parisiens m’avaient traités de « cave ». Pauvre mec provincial : ils m’auraient
donné 10 000 francs par cliché ! J’avais raté le gros lot, la notoriété et
la Une de Paris-Match. Je m’en suis remis très vite et je n’ai évidemment aucun
regret.
Je ne suis donc pas étonné
du procès intenté par les familles des victimes de l’attentat de Nice contre le
même journal après la parution des images de vidéo-surveillance du 14 juillet
2016. Les charognards du journalisme se repaissent de ces photos chocs (le
poids des mots…) qui font vendre du papier et que les voyeurs, conscients ou
non, apprécient. La justice saisie n’a pas interdit la vente du journal. Elle a
simplement interdit la reproduction sur les sites ou dans d’autres publications
de photos susceptibles de nuire à la dignité des personnes.
Franchement, je me souviens
très bien de ma première vision à Saint-Pierre. Le corps d’une jeune femme
enchevêtrée autour d’un poteau de signalisation m’avait tiré des larmes.
Comment aurais-je pu en tirer de l’argent ?