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Marc-Antoine Jamet ne présidera plus le conseil fédéral du PS de l'Eure. (photo JCH) |
Marc-Antoine Jamet, premier secrétaire de la fédération de l'Eure du Parti socialiste, a décidé de démissionner de ses fonctions politiques euroises et du Conseil national du PS où il siégeait depuis 1994. Dans une lettre adressée aux militants de ce parti, il explique ses motivations teintées de déception, de regrets mais également d'une foi inébranlables en certaines valeurs, celles du socialisme.
« Chers camarades et chers amis,
Je n’organiserai pas le vote de confiance à la
direction nouvelle du Parti Socialiste. Sans attendre notre Congrès, j’ai décidé
de mettre fin à mon mandat de Premier Secrétaire de la Fédération du Parti
Socialiste de l’Eure et de démissionner de notre Conseil National où je siège
depuis 1994.
Je veux avant tout remercier les militants qui m’ont élu
et réélu par deux fois, avec -— à
chaque mandat — de plus en plus larges majorités. L’honneur de les représenter,
l’exigence politique d’être leur porte-parole, m’ont rempli de fierté et de
joie. Ensemble, nous avons connu toutes les victoires, organisé des meetings comme
nous en avions peu connus, mené de belles campagnes électorales. Ensemble, nous
avons donné un second Président de la République à la Gauche, battu Bruno Lemaire
aux régionales dans son propre département, conservé le Conseil Général et le
Conseil Régional, géré les quatre grandes villes qui structurent notre
territoire, doublé le nombre des parlementaires socialistes, organisé la guérilla
contre le Front National, assaini nos comptes, organisé le débat — y compris
quand il ne m’était pas favorable — et fait fonctionner nos instances dans la
transparence. Cela n’a été possible que grâce au bureau et au conseil fédéraux,
toutes motions, toutes sensibilités confondues, avec lesquels j’ai travaillé, à
l’appui de nos permanents vers qui va ma reconnaissance, à votre soutien
constant et bienveillant qui a été essentiel.
Aujourd’hui, nous avons tout perdu ou presque. J’en
ai été marqué. Il est cruel de voir son espérance disparaître ou plutôt se désagréger.
Ce n’est cependant pas pour cela que je prends de la distance. Je crois à notre
Parti depuis que je m’y suis engagé derrière Laurent Fabius voici plus de trente
ans. C’était au lendemain — déjà — d’une défaite. Comment pourrai-je le quitter ?
J’ai accepté d’en être le trésorier et le directeur général des services aux
pires moments. Il m’a coûté dans ma vie professionnelle. Il m’a valu des
incompréhensions dans ma vie personnelle. Avant de rejoindre celle de Val-de-Reuil
en 1999, j’ai adhéré dans la section de Léon Blum au cœur du Paris populaire. Je
suis un « partageux ». Le Socialisme est ma vérité. Il est mon
chemin. J’aurais toujours pour ses valeurs, l’égalité des chances et à la
justice sociale, la solidarité et la liberté, la foi du charbonnier. Je suis
persuadé, comme l’avait dit François Mitterrand en 1993, que, d’une manière ou
d’une autre, nous reviendrons au pouvoir, localement, nationalement, plus vite
que nous le pensons. Certains, après avoir allègrement trahi ou opportunément déserté,
m’attribuent avec leur générosité habituelle l’entière responsabilité de nos revers.
Cela me laisse indifférent. Je leur confirme, si leurs contorsions peuvent y
trouver consolations, que le Parti Socialiste n’a connu de difficultés que dans
l’Eure et, uniquement, par ma faute.
Ce n’est pas la seule interrogation à laquelle par ce
dernier courrier fédéral je veux répondre. A droite, à Gauche, au travail,
parmi mes proches, on m’a souvent demandé pourquoi je n’ai pas rejoint l’actuelle
majorité. Il paraît que mon profil avec elle était compatible. Malgré les appels
et les propositions, parfois les plus autorisées, je n’ai pas cherché l’investiture
d’En Marche. Je n’en suis ni l’adhérent, ni le sympathisant. Certes, beaucoup de ceux qui, à l’Elysée, au
Gouvernement, au Parlement, incarnent ce mouvement, sont mes amis, ont été mes
collègues ou, preuve que je vieillis, mes collaborateurs, voire mes étudiants. Mais
d’autres, ici notamment, ont été mes adversaires parmi les plus virulents.
Certes, j’ai, si ce n’est de l’admiration, du moins du
respect pour la démarche, faite d’audace, d’une bonne dose de courage et de
confiance en soi, qui a conduit Emmanuel Macron vers un succès qu’il
ambitionnait à seulement 39 ans. Ce n’est d’ailleurs pas la première
transgression qu’il a assumée et il faut à ce propos lui rendre des points. Le
Chef de l’Etat est l’artisan de sa propre réussite et, peut-être, de sa vie. Mais
cela n’est pas suffisant pour le suivre.
Certes, je mesure les erreurs que nous avons commises
et suis conscient du malheur dont nous n’avons pas su extraire des millions de
femmes et d’hommes soumis au chômage ou à la pauvreté. J’aurais garde d’en
accuser François Hollande. Nous savions tous, ainsi qu’en étaient tombés d’accord
Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn, que ce quinquennat serait celui de « l’enfer ».
L’absence de cohésion et de conscience morales de la majorité a fait le reste. Pour
autant, je ne partage pas la politique actuellement conduite par Edouard
Philippe, même si je connais la sincérité de ce Normand.
Certes, elle peut comporter des initiatives intéressantes.
Il faut saluer sa référence appuyée au progrès et à la modernité. Je continue
de souhaiter pour mon pays qu’elle aboutisse. Nous ne pouvons nous permettre de
perdre cinq ans. L’idée du changement pour le changement, du renouvellement
pour le renouvellement, me paraît particulièrement limitée, mais En Marche a
diversifié, rajeuni et féminisé la politique qui en avait considérablement
besoin. Dommage qu’en ait été parfois extirpé — du même coup — compétences et
capacités. Du moins jusqu’à présent. Tout s’acquiert. On ne reste pas nouveau,
nul ou naïf éternellement… Mais, fiscalement et socialement, pour les retraités,
les familles et les collectivités locales, pour les plus jeunes, les plus
fragiles, les plus exposés, pour le logement et les emplois aidés, l’action menée
ne peut recueillir de ma part un début d’approbation. Voilà pour le fond. Sur
le style et la manière, il y aurait tant à dire. La popularité vacillante du Président
en révèle assez.
Je ne change donc pas de convictions. La cohérence c’est
aussi la constance. Je reste militant socialiste. Il n’y a pas d’autres voies à
Gauche. Je n’aime pas le simplisme et la démagogie, quand bien même seraient-ils
éloquents, qui conduisent la France Insoumise. J’ai fait la campagne de Benoît
Hamon par loyauté et par amitié, sincèrement, totalement, sans partager néanmoins
nombre de ses propositions. Je ne discerne pas encore, dans la nouvelle
direction pléthorique, pardon collégiale, celui ou celle qui ramassera le
drapeau tombé à terre, celui qui m’enthousiasmera, celui que je soutiendrai les
yeux fermés. Les gens ne nous suivent pas, ne nous suivent plus. Je n’ai le goût
ni des crépuscules, ni des groupuscules. J’attendrai. Ce n’est pas une question
d’âge ou d’énergie. Je m’engagerai sur d’autres fronts, avec d’autres moyens.
Je retrouverai un peu de temps pour moi et les miens. Qui plus est, je n’abandonne
pas le travail qu’il me reste à faire dans ma commune que j’aime. Nul n’est
indispensable, mais pour le renouvellement urbain et la sécurité, pour la
construction de logements et l’investissement industriel, suis-je le plus mal
placé pour mener, dans des temps durs et troublés, avec peu d’argent et dans l’adversité,
une politique municipale juste, forte et efficace à Val-de-Reuil.
Je ne pars pas sans un regard en arrière. Une équipe
existe composée de militantes et de militants de Vernon, de Gisors et des
Andelys, de Bourgtheroulde, de Gaillon et de Louviers, de Verneuil et d’Evreux,
de Pont-Audemer, de Conches et de Bernay. Je les connais : j’ai défilé,
collé, tracté avec eux devant les gares, sur les marchés, aux portes des
usines, moments un peu austères que leur amitié joyeuse transformait. Je veux
saluer nos secrétaires de section qui sont des gens formidables sur lesquels j’ai
pu m’appuyer, nos trésoriers qui vivent un sacerdoce tant leur rôle est ingrat,
tous ceux qui ont fait le choix de l’engagement collectif et désintéressé. Pour
diriger la Fédération jusqu’au renouvellement de sa direction, je connais les
qualités, notamment, de Martine Séguéla des Andelys dont le militantisme
chimiquement pur demeure un modèle pour moi, de Thomas Toutain, dévoué à nos idéaux
qui ne ménage ni son temps ni son intelligence, Timour Veyri qui sera pour
Evreux, en 2020, un maire inventif et intègre, proche et compétent. J’ai
confiance en eux. Il leur appartient de prendre leur destin en mains. Je les y
aiderai. »
Marc-Antoine Jamet