22 octobre 2021

Quand la saillie de M. Eric Zemmour fait mouche, une arme à la main

La scène est spectaculaire. On voit le candidat Zemmour, une arme à la main, qui met en joue les journalistes placés face à lui lors d’une visite au salon de l’armement. Cette scène a fait les gorges chaudes du monde médiatique auquel pourtant on reproche l’affichage obsessionnel de l’ancienne vedette de Cnews et du Figaro. Je pense qu’on a tort. Car cette scène, a priori facétieuse, en dit beaucoup sur la psychologie de celui dont 80 % des Français jugent qu’il n’a pas l’étoffe d’un président de la République.

 

A vrai dire, qui en doutait ? Un polémiste-éditorialiste, marchand de livres dont le commerce est fondé sur la haine de l’islam et de l’islamisme (sans nuance aucune entre les deux) ne peut, le temps d’une pré-campagne électorale, prétendre jouer un rôle essentiel dans la course à la victoire au second tour de la présidentielle, l’élection pivot de la constitution de la 5e République. Jean-Marie Le Pen avait déjà joué ce rôle dans les années quatre-vingt avec le succès que l’on sait : battu au second tour de 2002 par Jacques Chirac en récoltant 17 % des suffrages. Déjà, les Français et les Françaises mesuraient bien le danger venant de l’extrême droite.

 

Certes, les temps changent. Et Jean-Marie Le Pen, toujours lui, considère que la judéité d’Eric Zemmour lui permet d’affirmer les mêmes énormités avec plus de crédibilité : l’extrême droite — ou la droite extrême — aurait gagné la bataille des idées. On verra bien au mois de mai. Mais revenons à notre arme. Eric Zemmour n’est pas, et on ne lui reprochera pas, ce qu’on pourrait appeler un homme baraqué. Il doit donc affirmer sa virilité (lui que les femmes indisposent tant par ailleurs) par d’autres moyens que les seuls muscles de son corps. Et là, le fusil à la main, il tient en respect des gens qu’il méprise ou exècre, c’est selon, en pointant une arme dans leur direction en leur disant (sur un ton moqueur et avec le sourire) « je ne vais pas vous rater. »Le plus petit caporal ou le plus mauvais chasseur sait que, jamais, au grand jamais, on ne doit viser quelqu’un avec une arme qu’elle soit chargée ou pas. Cette règle vaut pour tous et encore plus pour un homme aspirant aux plus hautes fonctions.

 

J’avais un ami pour qui le signifiant et le signifié voulaient dire quelque chose. En l’occurrence, la saillie ( !) de M. Zemmour fait mouche si vous me permettez cette expression en ce qu’elle dit de sa volonté de mettre les médias au garde à vous et de supprimer ce qu’il appelle les contre-pouvoirs. Une société autoritaire, voilà ce qu’il veut. Mais, et c’est une antienne, l’autoritarisme n’est pas l’autorité. Autrement dit, Eric Zemmour est bien plus proche de Bénito Mussolini que du général De Gaulle de 1940. Quand l’un peut être grotesque, l’autre atteint la grandeur.

20 octobre 2021

Peut-on espérer une exposition des œuvres de Lily Mendès France, artiste peintre méconnue ?

Pierre Mendès France et son épouse à Louviers en 1954

 

Une grande dame. Sans doute très (trop) discrète. Mais quand on a pour mari un homme d’Etat d’une intelligence exceptionnelle et d’un charisme non moins flamboyant, qu’on vit dans une France de la tradition fondée sur des rôles assignés, qu’on est mère de deux enfants, comment se construit-on une vie personnelle ? Ce fut le dilemme de Lily Mendès France, épouse de Pierre, dont Claude Cornu s’est plu, ce mardi soir au Moulin, à narrer les vicissitudes et les épanouissements que lui autorisèrent une vie qui ne manqua pas d’épisodes dramatiques.

 

Qu’on en juge. Un père aimant assassiné par des cambrioleurs au Caire où il avait créé le premier grand magasin ; la mort d’une sœur adolescente emportée par une septicémie ; un mari arrêté par la police de Vichy, condamné pour une désertion totalement fabriquée par des magistrats aux ordres de Pétain ; un exil de plusieurs années aux Etats-Unis où la famille séparée connut bien des difficultés matérielles…et enfin la maladie ponctuée par une mort prématurée en 1967.

 

Lily Jeune

Lily Mendès France rayonnait par sa beauté, son élégance mais aussi et surtout par un indéniable talent pictural trop méconnu. C’est cet aspect-là de sa vie que le conférencier d’un soir réunissant les adhérents de la SED et de l’Université populaire a voulu mettre au jour. En fait, il s’agissait simplement d’une légitime reconnaissance à l’égard de celle qui se tint toujours droite et debout auprès d’un homme politique accaparé par les affaires du monde « dont l’histoire se souviendra » comme le dit si bien François Mitterrand lors de l’hommage national organisé dans la cour d’honneur du Palais Bourbon après la mort de PMF en 1982.

Rosy Cicurel soeur de Lily 1915-1941

 

Lily Mendès France pratiqua très tôt le dessin et la peinture. Une formation classique lui donna l’occasion d’aspirer à être plus qu’un peintre du dimanche. Elle participa à plusieurs salons jusqu’à ce qu’elle devienne l’épouse (le 26 décembre 1933 à Louviers) du frère de son amie Marcelle. Il est vrai que la naissance de Bernard et Michel, peu d’années après le mariage de Pierre et Lily, obéra sensiblement les temps de loisir d’une femme tout entière occupée à satisfaire les besoins de ses enfants et à soutenir un mari très engagé dans la politique. Les Lovériens l’aperçurent (notre photo) lors de la visite de Pierre Mendès France à Louviers quand il devint Président du Conseil et donc chef du gouvernement.

 

Pourtant, Lily ne manquait pas de talent. Ses dessins sont précis, ses personnages teintés d’une forme de mélancolie, ses natures mortes inspirées, sans doute, de Giorgio Morandi, de Paul Cézanne voire d’Amédée Ozenfant. Mais la « patte » reste originale. Les critiques de la presse spécialisée, au milieu d’une foule d’exposants, remarquèrent ce trait assuré et ces couleurs magnifiquement déployées. Excepté deux ou trois expositions personnelles, jamais Lily Mendès France ne se lança dans une carrière où un épanouissement reconnu aurait pu couronner son talent. Discrète, elle souhaita le demeurer si fortement que toutes ses œuvres sont restées dans la famille Mendès France, à Louviers ou à Paris. Parmi les toiles et les dessins projetés sur écran ce mardi, comment ne pas citer cette toile en fort mauvais état que des soldats allemands zélés criblèrent de balles dans la maison des Monts investie par les nazis ? « Jeu bête » écrira-t-elle. Ou plutôt fanatisme débridé, qui sait ?


 

Claude Cornu (notre photo) se plut enfin à espérer, comme ce fut le cas lors de l’exposition de 2012 au musée dans une salle dédiée (1), qu’une exposition plus large des œuvres de Lily Mendès France soit programmée dans un futur proche. J’ignore si les responsables municipaux lovériens y songent. En tout cas, Michel Mendès France et Michel Natier, ancien directeur du musée, en avaient discuté. Le conférencier fit le vœu, encore, que la correspondance de Pierre et de Lily fasse l’objet d’une publication…

(1) L’exposition consacrée à la vie de Pierre Mendès France fut inaugurée par François Hollande, président de la République.