15 mars 2019

Marine Le Pen : suffisante autant qu'insuffisante (1)


Le prix de la baguette de pain. Le prix du ticket de métro. Le montant du SMIC horaire ou mensuel net. Tout candidat à une élection, surtout au niveau national, se doit de connaître ces « détails » par cœur. Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, se régale quand il interroge ces élus ignares ou ignorants des choses de la vie. Hier soir, Marine Le Pen — chacun se souvient des limites qu’elle mit au jour lors du débat de second tour de l’élection présidentielle — s’est à nouveau plantée magistralement en comparant les niveaux de SMIC européens. En voulant tacler Emmanuel Macron, favorable à un SMIC généralisé mais conforme aux standards de chaque pays de l’Union européenne, la responsable du Rassemblement national a avancé un SMIC français à « 36 euros » sans qu’on sache s’il s’agit d’un taux horaire brut ou net, alors même que ces 36 euros représentent le coût horaire de la main d’œuvre en France et que le SMIC est à 1201 euros net mensuel en janvier 2019. Moquée de toutes parts, Marine Le Pen a tenté de corriger le tir ce matin en tweetant les taux horaires des SMIC en Europe et en affirmant que la convergence vers un SMIC uniforme en Europe n’était pas pour demain. Jamais personne de sensé n’a avancé une telle hypothèse. Emmanuel Macron non plus !

En confondant l’ECU et l’Euro, Marine Le Pen s’était fourvoyée lors du débat. Sur plusieurs dossiers brûlants, Emmanuel Macron avait eu beau jeu de détailler des éléments explicatifs clairs et pédagogiques. On sent que Mme Le Pen ne maîtrise pas les dossiers un peu techniques, elle éprouve des difficultés pour mémoriser ou se lancer dans l’abstraction. Elle manque de Background, ce qui prouve que faire de la politique nécessite une bonne culture générale et qu’une licence en droit ne suffit pas pour assurer une gymnastique intellectuelle propre à intervenir promptement avec précision.

La campagne d’affichage lancée par le Rassemblement national « Marine Le Pen dit la vérité » est une campagne de rétropédalage visant à corriger ou interpréter des propos fumeux ou mensongers tenus sur les antennes des radios ou des plateaux télé. Le métier de politique est un métier ardu. Il y faut un esprit clair, des convictions affirmées, des opinions stables. Que Marine Le Pen encense l’Euro aujourd’hui après l’avoir stipendié à longueur de meetings montre bien les approximations, les opinions sondagières dont elle témoigne. C’est bien pourquoi une candidate comme celle-ci gonfle ses scores au premier tour sans pouvoir concrétiser au second. Comment pourrait-elle rassembler (excepté Dupont-Aignan) et obtenir une majorité absolue des suffrages alors que son apprentissage n’est pas terminé et que ses insuffisances sont criantes.

(1) François Mitterrand, auteur de cette formule appliquée à l'un de ses adversaires politiques, savait être cruel.
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14 mars 2019

François Ruffin dans C à vous : la dureté de son discours cache une fragilité empathique

François Ruffin (capture d'écran)
J’ai dit assez de mal de François Ruffin sur ce blog pour oser corriger le tir. Invité, hier soir, de l’émission C à vous, le député de la France insoumise, élu de la Somme, venait présenter son dernier livre et le film qu’il a réalisé avec le concours de gilets jaunes triés sur le volet, symboles d’une France invisible car oubliée. J'ai suivi sa prestation avec attention.

Certes, François Ruffin demeure le débatteur iconoclaste peu sensible aux règles conventionnelles comme dirait Pierre Lescure. Qu’il siège à l’Assemblée nationale, tende le micro aux personnes qu’il rencontre, réponde aux questions des journalistes de France 5, l’adversaire farouche d’Emmanuel Macron, demeure un orateur insatiable et impitoyable. Se revendiquant d’une gauche anticapitaliste, amateur de la lutte des classes et des rapports de force, acceptant des doutes, une fragilité et une sensibilité à fleur de peau, François Ruffin est apparu terriblement humain et  solidaire. Si l’on peut parler de mépris de classe de la part de certains à l’égard des gilets jaunes, on peut sans se tromper évoquer le mépris qu’éprouve François Ruffin à l’égard d’Emmanuel Macron dont la seule qualité serait, selon lui, « l’art de la séduction. » C’est déjà cela mais c’est peu.

François Ruffin revendique une œuvre, un statut d’artiste, avec films et livres au bilan, un amour immodéré des gens faibles, des modestes, des gens qu’on ne reconnaît pas, dont l’amour propre est sans cesse agressé et il n’omet pas de souligner que lui, François Ruffin, a déjà songé à quitter volontairement notre monde, quand le sens qu’il y donne, penche vers l’absurde absolu ou l’irrespect total des personnes…« J'avais le sentiment d'être une merde » avoue-t-il. Il y a chez lui de la sincérité, une clarté intellectuelle et militante, une forme de sectarisme, sans doute, qui lui permet de demeurer installé fermement sur ses valeurs et ses principes de vie.

Ruffin ne sait pas (ne veut pas ?) cultiver pas l’art du compromis. Il fonce, les yeux grands ouverts contre un monde qu’il juge injuste, inégalitaire, brutal. Il ne reconnaît aucune qualité intellectuelle à Emmanuel Macron qui serait, au fil du temps, passé de l’école de la Providence d’Amiens à l’ENA et à l’Elysée par des portes dérobées. Sur ce point, François Ruffin devrait être économe de son mépris. On ne devient pas Président de la République sans un minimum de background, comme disait Philippe Pontet, ancien député de l’Eure. Directeur d’un journal — Fakir — pendant 20 ans, François Ruffin demeure un journaliste curieux, talentueux, attaché à un territoire et à ses habitants. Il se désole de déplorer la fermeture des services publics et celle des usines. Il reconnaît ne pas avoir la stature d’un Président de la République et quand on évoque devant lui le Brexit, il souhaite des solutions équilibrées car « il n’est pas un spécialiste de la politique étrangère. »

Finalement, Ruffin est un être torturé, tout le temps dans l’empathie. Il sait faire pleurer les dames ce qui démontre un charme certain et une volonté de ne pas blesser. Du moins ceux et celles qu’il préfère. Les autres ? Il ne veut même pas les connaître.
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11 mars 2019

Les gilets jaunes sont-ils victimes d'un mépris de classe ?

3000 manifestants dans le centre-ville de Rouen. ©Jean-Charles Houel
Je lis de nombreux textes, dont certains émanent d’éminents sociologues ou philosophes, mettant en évidence le « mépris de classe » dont seraient victimes les gilets jaunes. Pour justifier cette affirmation, ces intellectuels — aucun reproche dans ce mot — s’appuient sur des mouvements historiques anciens ou récents émanant du « peuple », toujours combattus avec férocité par des écrivains, des journalistes, des politiques aussi, convaincus qu’une forme d’analphabétisme rend incapables les protestataires d’accéder à la complexité du monde.

Il est évidemment facile de s’appuyer sur les actes et excès violents de certains gilets jaunes plus prompts à cogner du flic qu’à s’accorder sur des revendications claires et solides. Il n’empêche qu’après réflexion, je me demande si « le mépris » que certains constatent (voir l’attitude d’Emmanuel Macron en diverses circonstances) ne sert pas à discréditer un mouvement dans son ensemble alors même qu’il est une mosaïque pas facilement lisible.

Dans la rue du Gros Horloge à Rouen. ©Jean-Charles Houel
Qu’il y ait chez les gilets jaunes des ultras, à droite surtout, à gauche aussi, des xénophobes, des homophobes, des racistes, des antisémites, ne fait aucun doute. Les quenelles à la Dieudonné, les tags et graffitis, sont là pour le prouver. Faut-il pour autant amalgamer les femmes seules avec enfants, les retraités aux pensions minables, les artisans aux régimes de retraite inéquitables ? Faut-il pour autant nier la solidarité créée autour des ronds-points, le soutien aux mutilés des LBD, ce mouvement qui, depuis le 17 novembre dernier, a connu des hauts et maintenant des bas ? Le gouvernement ne pourra, lors de la synthèse issue des propositions du grand débat, laisser de côté l’aspiration à la justice fiscale, à la nécessité de tenir compte de l’inflation pour revaloriser retraites et salaires, de veiller à ce que les plus favorisés n’échappent plus à l’impôt comme ils le font frauduleusement ou avec l’optimisation fiscale.

Pour autant, le saccage du temple du Grand Orient de France (temple de la franc-maçonnerie locale) à Tarbes, montre bien que la société française conserve la mémoire des jours terribles. Même si je n’échappe pas au point Godwin (1) je ne peux m’empêcher de penser au régime de Pétain qui interdisait : socialisme, syndicalisme ouvrier, communisme, franc-maçonnerie, stipendiait les homosexuels, bannissait les juifs, en chantre du vieux Maurras.

Il est remarquable qu’il ait fallu le mouvement des gilets jaunes pour que des haines recuites autorisent François Ruffin à écrire, s’agissant d’Emmanuel Macron : «Votre tête ? Les visages sont marqués, normalement on y devine la trace de la souffrance. Mais vous, non, c’est sans cernes : vous transpirez l’assurance. Vous exhalez une classe. Vous portez en vous une suffisance. Ce rejet physique, nous sommes des millions à l’éprouver». Le directeur de la publication de fakir n’y va pas avec le dos de la cuiller. Il cogne et ça fait mal.
Jean-Marie Le Pen, en 1956, n’écrivait-il pas, parlant de Pierre Mendès France : "Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». Ainsi la boucle serait bouclée. Les adversaires politiques seraient transformés en objets auxquels on ne reconnaîtrait plus le caractère personnel immuable de chacun mais dans lesquels on ne verrait que rejet individuel et attaques personnelles sans autre argument que les cernes sous les yeux ou la taille des oreilles. C’est minable.

Je n’irai pas, comme l’a écrit Edwy Plenel, directeur du site d’informations Mediapart à écrire que le mouvement des gilets jaunes c’est « la victoire des vaincus ». Pour cela, il faudrait des résultats matériels tangibles. C’est en tout cas, à défaut de victoire, une revanche sur des élites souvent sourdes et aveugles, souvent étrangères au monde réel du quotidien. Si, dans quelques semaines ou quelques mois, le regard porté sur ceux qu’on « méprise » se modifie en un certain respect, les actes 17, 18 ou 19 ne seraient pas inutiles.

(1) Godwin donne un point à chaque fois qu'une discussion ou un argument aboutit à une référence à la seconde guerre mondiale.


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10 mars 2019

Le Manoir de Bigards ne sera pas vendu au privé. Stéphane Bern ne serait-il qu'un Belphégor ? Delphine Butelet fait le power-point sur le patrimoine de l'agglo Seine-Eure


Mme Butelet au premier rang près de Jean-Pierre Duvéré. ©Jean-Charles Houel
Après l’assemblée générale de la SED (Société d’études diverses de Louviers et sa région) démontrant une activité conférencière élevée autant qu’une gestion financière saine en présence d’une centaine de membres heureux de la vitalité de leur association, une place de choix était réservée à une mini-introduction du président Binay et une présentation colossale du patrimoine de la CASE par Delphine Butelet, attachée du dit patrimoine à l’agglomération.

Tenant compte de la situation financière positive de l’association, Jean-Pierre Binay explique que les statuts de l’association lui permettent de mettre la main au portefeuille pour aider le Musée, par exemple, à acquérir des objets de toute nature liés à Louviers ou sa région. Ainsi, une toile marouflée représentant Germain Petit et ses fils, Germain et Guillaume (futur négociant et maire de Louviers) va-t-elle entrer dans le patrimoine muséal en partie grâce à la SED après que Michel Natier, directeur conservateur du musée a obtenu l’accord de la famille Petit sur un prix d’acquisition définitif.

Le patrimoine, naturel, environnemental, monumental, aussi bien privé que public, aussi bien religieux que laïque, est d’une densité et d’une diversité exceptionnelle dans l’agglomération Seine-Eure. Falaises crayeuses, vallées de Seine ou de l’Eure, châteaux, manoirs, églises, mairies, écoles, industries, murs, moulins…composent une « collection » de près d’un millier d’éléments remarquables, soit classés, soit inscrits, soit rien du tout, malgré des qualités évidentes pour qui sait attarder son regard sur les belles choses.

Delphine Butelet possède son sujet sur le bout de ses notes. Bernard Leroy la présente comme une personne passionnée, compétente, une sorte de « perle » capable de remuer ciel et terre pour obtenir des crédits de restaurations, de rénovations de clochers, de façades de mairies, de murs de cimetières, de toitures d’églises…le panel étant tellement vaste et les besoins si élevés. Mme Butelet est tout cela. Rigoureuse, précise, Delphine Butelet, power-point aidant, met en exergue les efforts accomplis depuis plusieurs années en faveur de la préservation du patrimoine sur le territoire de la CASE  — qui ne cesse de s’étendre pour atteindre bientôt 105 000 habitants et 67 communes — et insiste sur la participation assidue de l’association solidaire Cursus favorisant l’intégration sociale d’un public a priori marginal mais très efficace sous la houlette de cadres professionnels.

Le kiosque de la cour de la mairie et le platane disparu
Je ne vais pas passer en revue la multitude des travaux engagés. Les personnes intéressées iront sur le site de l’agglomération pour connaître les actions réalisées et les projets en cours. Je retiens toutefois deux informations intéressantes.
— Primo Jean-Pierre Duvéré, au nom de la ville de Louviers, assure que le Manoir de Bigards, situé rue du quai, ne sera pas vendu au privé comme des rumeurs malveillantes le propagent. La ville a engagé une étude et ces bâtiments seront restaurés et sauvés. Pour quelle utilisation ?
   Secundo, Nous ne savons rien du contenu du patronage de Stéphane Bern (il est le parrain de l’année 2019 du patrimoine à Louviers). Sera-t-il présent à un moment ou un autre, un monument de Louviers bénéficiera-t-il d’un coup de pouce financier ? Tout cela demeure bien vague. François-Xavier Priollaud devrait dire s’il s’agit d’un coup de pub ou d’un coup de maître.

Bernard Leroy, président de la CASE, conclut ce bel après-midi de samedi par un appel aux mécénat des particuliers ou des entreprises pour qu’ils (elles) apportent pécuniairement leur aide au sauvetage des monuments sachant que d’importantes réductions d’impôts sont liés à ces fonds servant d’appui de levier à des aides émanant de la Fondation de France par exemple.
Les membres de la SED doivent se souvenir, eux, de la visite programmée le 4 avril à 18 heures au musée de Giverny pour une visite commentée de la nouvelle exposition.

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