2 juillet 2022

Denis Lavant lit « les Saisons » : Maurice Pons en majesté au Moulin d'Andé


Denis Lavant au pupitre

Le 29 juin 1957, Maurice Pons posait son sac et son havresac au Moulin d’Andé. Il y découvrait un lieu enchanteur et une meunière fort avenante. Il y écrivit, des romans, des nouvelles, des scenarii, il y traduisit des auteurs de langue anglaise, y connut des amours et des amourettes, y sua sang et eau en y exerçant son métier d’écrivain, métier que le happa dès ses jeunes années. Il y passa toute sa vie puisqu’il y mourut en 2016. Son dernier texte — prémonitoire — fut celui qu’il écrivit pour décrire « l’île engloutie », une toile de Paul Klee. Maurice n’était pas une île mais un monument de la littérature hexagonale. Ne reçut-il pas, sans qu’il l’ait jamais demandé, le grand prix de l’Académie Française pour la qualité de ses nouvelles et, en fin de compte, pour l’ensemble de son œuvre.

 

Ce 29 juin 2022, 65 ans après sa rencontre avec Suzanne Lipinska et dans le cadre du 60e anniversaire de la création de l’Association culturelle du Moulin d’Andé, Maurice Pons a suscité souvenirs et émotions. Jean-Paul Rappeneau et Alain Cavalier ont dit tout ce qu’ils devaient à Maurice Pons. Jérôme Enrico (fils de Robert) et Bernard Queysanne, le neveu de Maurice, ont souligné la qualité des dialogues de ce dernier, dialogues d’« une Belle vie » film antimilitariste et anti-guerre d’Algérie, sans oublier « la Dormeuse » un court métrage tout droit sorti de l’univers imagé de Maurice Pons.

 

Avant d’écrire ce billet de blog, j’ai relu « les souvenirs littéraires et quelques autres » de Maurice Pons. J’y ai retrouvé l’écriture élaborée, sérieuse, féroce aussi, que l’écrivain préféré du Moulin d’Andé savait déployer. Pour dire les textes de Maurice Pons et notamment de longues séquences des « Saisons » ce mercredi, il a fallu tout le talent de Denis Lavant (un ami de Maurice Pons) venu tout exprès d’Avignon où il prépare le festival d’été, pour nous faire entrer dans le monde singulier de notre ami. Le public, subjugué, pris à la gorge, saisi, a dû se contenter d’applaudir pour saluer l’artiste.

 

« Les Saisons ». Voilà un livre-culte créateur d’une communauté de lecteurs et lectrices de tous âges et de toutes conditions. Ils et elles forment une tribu d’êtres sensibles prêts à partager comme Siméon « le pain des mots et le vin de la phrase. » Cette arrivée, cette intrusion devrais-je dire, de cet horsain dans ce monde foutraque, cette irruption de cet amoureux des voyelles et des consonnes, du papier de couleur neige, de la littérature, en un mot, touchent le cœur des amoureux du verbe mais aussi celui de ceux et celles qui se laissent porter par l’imaginaire étrange des obsessions de Maurice Pons. Avec lui, la catastrophe, l’accident, la souffrance ne sont jamais bien loin. Même si le corps des femmes et l’amour fleurent bon la vie qui va dans le paradoxal théâtre du monde. Ah Clara…

 

Denis Lavant jette, une à une, les pages du livre qu’il interprète dans une chorégraphie poétique économe d’emphase. Du grand art. Vêtu…comme Siméon, la douleur aux orteils en moins, le comédien de sa voix chaude, limpide, de son débit précis et précieux, nous transporte dans cette vallée où il pleut depuis 16 mois et où les habitants ne se nourrissent que de lentilles.

 

Quelques souvenirs lttéraires
Je ne saurais trop inviter les lecteurs amateurs de beaux textes à se jeter sur les « Les Saisons » mais aussi sur « Rosa », « Mlle B », « La Maison des Brasseurs » sans oublier « Le passager de la nuit » en hommage à tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont soutenu le combat pour l’indépendance de l’Algérie, choisi la décolonisation et l’émancipation des peuples opprimés. Maurice Pons fut un des 121 signataires de l’appel à l’insoumission qui devait leur valoir censure et répression de la part de Michel Debré, Premier ministre, favorable à l’Algérie française. Mais Maurice Pons était en bonne compagnie avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir,  Simone Signoret, Claude Simon, Pierre Vidal-Naquet, Marguerite Duras, Jean Pouillon, Bernard Pingaud, Vercors pour ne citer que quelques noms… et avec le soutien plein et entier de nombre d’amis du Moulin où certains exilés de l'est et du sud trouvèrent refuge.

 

Hier soir ont été projetés deux films : Les Mistons et Jules et Jim, de François Truffaut. Le premier a été inspiré d’une nouvelle de Maurice Pons et le second a été tourné (en partie) au Moulin et dans ses environs. Maurice avait adressé à François Truffaut des photos de « repérage » et quelques lettres commentées par Bernard Bastide présent au théâtre ce vendredi. Notre écrivain préféré a peut-être permis à l’un des principaux chefs de file de la « Nouvelle vague » de devenir l’auteur d’un film chichement reçu à sa sortie et devenu au fil des décennies un classique unanimement adulé.

 

Ce samedi et ce dimanche, les activités se poursuivent au Moulin. Le programme peut être consulté en ligne.



29 juin 2022

Alain Cavalier et Jean-Paul Rappeneau retrouvent le Moulin de leur jeunesse

Jean-Paul Rappeneau, Alain Cavalier, Suzon et Stanislas Lipinski
Avant la lecture d’extraits des « Saisons » le livre culte de Maurice Pons, ce mercredi soir, au Moulin d’Andé, par Denis Lavant, les nombreux spectateurs présents hier au Théâtre, ont vécu un intense moment d’émotion. Emotion d’entendre Suzanne Lipinska narrer la genèse d’une belle histoire de rencontres et d’amitié qui, dans les années soixante, donna naissance à cet endroit idyllique fréquenté par les artistes et créateurs. Emotion d’écouter Suzon rappeler ses voyages en barque sur la Seine, de Connelles, où ses parents habitaient, à cette île d’Andé qui lui servit de refuge avant de devenir sa tanière enchantée et camper le décor du premier film d’Alain Cavalier « Le combat dans l’île ».

 

Grande complicité
Le réalisateur était présent hier, en compagnie de son complice d’alors, Jean-Paul Rappeneau, (notre photo ci-contre) auteur des  dialogues. Il y a une éternité que les deux amis n’avaient mis les pieds ensemble au Moulin. Quels changements depuis ces années tourmentées par la guerre en Algérie et les menaces de coups d’état militaire. Je n’avais jamais vu ce film. Il est d’une actualité brulante. A l’heure où les démocraties subissent les coups de boutoir des « illibéraux » à la Orban ou à la Trump, à l’heure où les néofascistes osent tendre le bras, le duel opposant Jean-Louis Trintignant et Henri Serre — auxquels se joint Romy Schneider pour un autre combat aussi douloureux, celui de l'amour — tient le spectateur en haleine Jusqu’à sa conclusion…que je tairais pour celles et ceux qui auront un jour, le bonheur de découvrir ce film.

 

Avant la projection du « Combat dans l’île », Alain Cavalier et Jean-Paul Rappeneau ont fait preuve de malice. Tour à tour, ils ont rappelé, souvent avec humour, comment le Moulin fut pour eux un lieu pour leur imaginaire créatif mais aussi et surtout un nœud d’échanges politiques et intellectuels de grande valeur. Il paraît que Maurice Pons fut un lecteur-correcteur attentif du scénario. Rien d’étonnant de la part de ce grand écrivain dont la magie du mot fut portée à un très haut niveau d’exigence.


28 juin 2022

Au Moulin d'Andé : Hier « Je suis Pierre Rivière » ce soir « Le combat dans l'ïle »

Christine présente son film

Dans le cadre de la semaine du 60e anniversaire de la création de l’Association culturelle du Moulin d’Andé, le coup d’envoi cinématographique a été donné ce lundi par Christine Lipinska et son premier long métrage « Je suis Pierre Rivière ». Une belle assistance a revu (ou vu pour la première fois) une œuvre que sa réalisatrice présente comme une première, ses grandes qualités dépassant les défauts que seuls des yeux avertis ou experts pourraient avoir relevés. 

L’histoire de Pierre Rivière n’a rien de banale. Elle se déroule au 19e siècle dans un village où la terre vaut identité et l’intimité étouffante de la famille, passeport pour le futur. Pierre Rivière est ce jeune garçon qui a tué « sa mère, sa sœur et son frère » à coups de serpe pour protester contre le mauvais sort fait à son père humilié mais sans doute aussi pour vaincre une forme de honte de soi que les médecins de l’époque n’appelaient pas encore névrose ou psychose mais « folie » meurtrière. Fait étonnant, Pierre Rivière après avoir tenté d’échapper à la justice décida de se soumettre à sa décision : une peine de mort pour parricide commuée en prison perpétuelle avant de se suicider. Il nous a légué une profession de foi étonnante dans laquelle il exprime « toute sa haine d’une société à laquelle il ne veut pas appartenir. »

La mise en scène du film (en 1976) de Christine Lipinska se déroule dans la campagne normande autour d’Andé et de Louviers notamment. Au générique défilent les noms d’Isabelle Huppert, Jacques Spiesser, Francis Huster, Anne Lipinska, en une apparition fugace mais aussi celui de Suzanne Lipinska, photographe sur le tournage.. Nous avons reconnu nombre de figurants originaires des villages de la région (dont Maurice Pons) ainsi que les bords de Seine et une campagne normande où s’illustrent les portes en bois des chaumières et les costumes d’époque. Le tout rehaussé par des silences en avance sur leur temps et les pensées introspectives du héros malheureux que la cinéaste parvient à rendre intelligibles.

A partir de 18 heures, ce mardi, Alain Cavalier et Jean-Paul Rappeneau seront au Moulin pour présenter « Le combat dans l’île ».

26 juin 2022

« France Inter, pour ceux qui n'ont plus grand-chose entre les oreilles » (1)

Mon ami Reynald Harlaut m'a adressé le texte ci-joint :

« En consacrant la totalité de sa partie enquête, d’une durée d’environ vingt minutes, à la situation politique du département de l’Eure au lendemain du deuxième tour des élections législatives, France Inter, la radio du service public, en ce premier jour de l’été, s’est littéralement assise sur la déontologie du métier de journaliste, et sur le devoir qu’il a d’informer loyalement.

L’équipe d’enquêteurs de l’après-journal du 13/14, animé par le journaliste Bruno Duvic, était donc en direct de Vernon – l’ancien fief de Sébastien Lecornu, très proche du président de la République, depuis peu ministre des Armées -, pour tenter d’analyser les raisons de ce coup de tonnerre dans la France macroniste qui a vu dans ce département normand proche de Paris, le basculement dans l’opposition de ses cinq circonscriptions acquises à LREM en 2017. Et pas n’importe quelle opposition puisque le Rassemblement national a raté de peu le grand chelem. Seule la 4ème circonscription auparavant représentée par le député sortant Bruno Questel, battu dès le premier tour, a élu Philippe Brun, conseiller municipal d’opposition à Louviers, appartenant au Parti socialiste et à la NUPES.

Après avoir largement donné la parole à Thimotée Houssin, nouveau député du Rassemblement national, élu de la 5ème circonscription, sur les raisons de son succès et à ses électeurs sur les raisons de leur vote, France Inter, pour équilibrer le débat, a réalisé la performance surréaliste de longuement interviewer l’ex député Bruno Questel, sans qu’une seule fois ne soit cité le nom de Philippe Brun, son challenger victorieux, se contentant de signaler, au détour d’une phrase anodine, que cette circonscription (la 4e) avait élu un candidat de la NUPES.

Cela fait déjà bien longtemps que nous observons la dérive de ce service public de l’information, devenu au fil des ans organe de propagande de la République en marche, chargé par le pouvoir de faire la courte échelle au Rassemblement national, en lui servant la soupe dès que l’occasion s’en présente, tout en feignant de jouer la surprise quant à sa progression au fil des élections successives.

Au bal des faux-culs, M. Bruno Duvic et sa clique sont donc passés orfèvres, rivalisant en cela avec l’équipe des matinaliers que sont Nicolas Demorand et Léa Salamé." Écrire cela m'a été nécessaire pour canaliser l'indignation qui m'a submergé à l'écoute de cet exercice de manipulation de l'information. »

 

 (1) Il fut une époque où le slogan de France Inter était : « une radio pour ceux qui ont quelque chose entre les oreilles. »