14 novembre 2019

Raymond Poulidor était venu dans la région de Louviers. Mais à pied et en voiture.


Poupou. ©Jean-charles Houel
Les hasards du journalisme — c’est ce qui fait le bonheur de ce métier — conduisent à rencontrer des personnalités de tous genres, de tous sexes, de tous les horizons. Durant ma carrière à La Dépêche, j’ai ainsi eu le plaisir de partager un moment avec Raymond Poulidor qui vient de mourir à l’âge de 83 ans. Cette rencontre l’avait rien de sportif mais était tout de même liée au cyclisme puisqu’il représentait dans une grande surface locale une marque de cycles portant son nom et celui de quelques autres.
J’ai le souvenir d’un Raymond Poulidor assez distant, très conscient de son rôle d’homme sandwich utilisé pour sa formidable aura d’éternel second mais surtout d’éternel sportif capable de courir vite et loin jusqu’à 40 ans ! Poulidor c’est 17 tours de France dans le peloton et des dizaines de tours comme accompagnateur, consultant ou commercial. Se recycler, si j’ose dire, c’est dur, même pour un homme de la trempe de Poupou très apprécié par les Français pour sa simplicité et son naturel qu’il lui était impossible de chasser.

13 novembre 2019

Une tribune libre de Cyril Buffet dans La Croix : comment réconcilier les mémoires allemandes ?


Cyril Buffet, ancien assistant parlementaire de François Loncle et de Jack Lang, docteur en relations internationales et en histoire germanique, récemment invité par la Société d’études diverses de Louviers pour évoquer la chute du mur de Berlin a publié le 9 novembre dans le journal La Croix une tribune libre faisant le point sur la situation de l’Allemagne d’aujourd’hui. Cette tribune exprime le point de vue d’un homme libre, curieux observateur de l’Allemagne réunifiée, particulièrement bien documenté et informé pour exprimer sa « vision » d’un pays qu’il apprécie et où il a passé une grande partie de sa vie d’étudiant et où il séjourne régulièrement. J’ai sollicité de Cyril Buffet l’autorisation de publier sur ce blog cette tribune, ce qu’il accepté avec élégance. Je l’en remercie. 

Cyril Buffet. ©JCH
«Nous sommes un peuple» criaient à l’automne 1989 les manifestants est-allemands, aspirant à la fin de la division de l’Allemagne. Trente ans plus tard, la réunification est-elle réalisée? Au contraire des célébrations antérieures, le débat public ne tourne plus guère sur le Mur ou sur la RDA. Il se focalise sur l’évolution du pays depuis trois décennies, se demandant si le processus de «l’unité intérieure» est un succès ou un échec.
Les résultats électoraux depuis deux ans laissent croire à la persistance d’une forte distinction entre l’Est et l’Ouest de la République fédérale. Lors du dernier scrutin national, l’AfD a envoyé plus de 90 députés au Bundestag, devenant la troisième force politique du pays. Ce parti est surtout implanté dans les nouveaux Länder où il a remporté de gros succès lors des élections régionales de cet automne, puisqu’il a réuni de 23 à 27% des suffrages en Saxe, au Brandebourg et en Thuringe.


L’AfD s’est imposée comme un mouvement protestataire, xénophobe et nationaliste. Elle s’affiche surtout comme un parti identitaire est-allemand. Elle attire une population frustrée qui se sent abandonnée par l’État et les partis gouvernementaux mais aussi «colonisée» par l’Ouest.
«Des citoyens de seconde classe»
Ses électeurs ont l’impression de vivre dans des régions marginalisées que les jeunes quittent, où la natalité recule, dont la population vieillit. Ils estiment que de fortes inégalités territoriales subsistent entre l’Est et l’Ouest et que la réunification s’est soldée pour eux par un déclassement social: ils ne cessent de répéter que «les Allemands de l’Est sont des citoyens de seconde classe».
Mais ce n’est pas tant un «mur dans les têtes» qui sépare les Allemands qu’un fossé d’incompréhension mutuelle. À leurs compatriotes de l’Est qui se présentent en victimes, les Allemands de l’Ouest leur reprochent leur ingratitude, leur rappelant les 260 milliards d’euros transférés dans les nouveaux Länder au titre du Pacte de solidarité. Après la chute du Mur, la motivation principale des Allemands de l’Est était, selon l’historien Jürgen Reiche, de vouloir rapidement «vivre comme à l’Ouest». Dans cette optique, ils votèrent massivement pour l’Union chrétienne-démocrate (CDU) qui précipitait le mouvement unitaire.


La réunification s’est opérée sur une double illusion. Les Allemands de l’Ouest ont pensé que le processus ne leur coûterait rien et les Allemands de l’Est ont cru à la promesse d’Helmut Kohl de créer des «paysages florissants». Les premiers ont payé et les seconds ont souffert. Au contraire de la plupart des ménages ouest-allemands dont la vie a continué comme avant, l’existence de très nombreuses familles est-allemandes a été complètement bouleversée. À la suite des privatisations, le tissu industriel périclita, provoquant un chômage de masse qui frappa durement une population qui ne l’avait jamais connu.
Le retard économique a été rattrapé
Ce traumatisme a profondément marqué la psychologie des Allemands de l’Est, d’autant qu’ils eurent le sentiment d’être dépossédés de leur destin puisque s’opéra, dans les années 1990, «un transfert d’élites de l’Ouest vers l’Est». D’après le quotidien berlinois Der Tagesspiegel, seulement cinq des 196 directeurs des 30 plus grandes entreprises allemandes proviennent de l’Est et seulement 6% des juges de haut rang. Cette situation a nourri le mécontentement.



Pourtant, l’Est a largement rattrapé son retard économique. L’économiste Oliver Holtemöller évoque même «une performance sensationnelle». En matière d’infrastructures, les disparités sont désormais minimes entre les anciens et les nouveaux Länder qui disposent du même niveau d’équipements (garderies, écoles, routes, voies ferrées, établissements culturels…) et de salaires presque équivalents. Le chômage a reculé: alors que la moyenne nationale se situe à 4,8%, il atteint 5% en Thuringe. Dresde, Iéna, Leipzig et la région Teltow-Fläming se sont développés en nouveaux centres dynamiques.
Néanmoins, des différences perdurent. Hormis Berlin, l’Est manque de métropoles attractives comparables à Munich, Francfort ou Stuttgart. Les grandes entreprises innovantes y sont absentes et aucune des 30 plus importantes sociétés allemandes n’a son siège à l’Est. La productivité y reste inférieure, représentant 80% de celle de l’Ouest. Mais il y a 30 ans, elle n’était que de 30%!

Prendre en compte le vécu est-allemand
En fait, la ligne de séparation ne court plus tant entre l’Est et l’Ouest qu’entre régions décrochées et régions prospères, entre villes et campagnes. Les inégalités territoriales ne concernent pas seulement les nouveaux Länder, mais également la Sarre, la Ruhr et Brème où le chômage s’élève à 10%.
Depuis 1990, les pouvoirs publics se sont principalement souciés de solidarité économique; ils ne sont guère préoccupés de comprendre les profondes mutations socioculturelles survenues à l’Est. Une nouvelle approche est nécessaire pour renforcer la cohésion nationale. Il convient de prendre en considération le vécu est-allemand depuis la chute du Mur, de l’inscrire dans la conscience collective. C’est un enjeu essentiel.
Il en va même de la stabilité de la République fédérale. En effet, la population est-allemande se montre réservée à l’égard du système démocratique. Selon une récente étude de l’Institut Allensbach, seulement 42% des Allemands de l’Est considèrent la démocratie comme le meilleur régime politique, contre 77% à l’Ouest.
Le gouvernement fédéral semble avoir retenu la leçon puisqu’il a mis en place une commission chargée d’établir «des conditions de vie équivalentes», en luttant notamment contre la désertification de certaines régions. L’anniversaire de la chute du Mur a, en tout cas, mis en valeur la nécessité de partager les expériences vécues de part et d’autre de l’Elbe, de réconcilier les mémoires allemandes. C’est à cette condition que l’Allemagne sera finalement un pays, sinon uni, tout au moins unifié.

11 novembre 2019

L'exposition lovérienne consacrée à la reconstruction du cœur de ville doit préparer l'avenir


La rue du Maréchal Foch, exemplaire de la reconstruction. ©JCH
Je ne sais que penser de l’exposition inaugurée vendredi dernier au musée en grande pompe par les élus de Louviers et un nombre important de citoyens intéressés par le passé et l’avenir de leur ville. L’encenser, ce serait trop. La blâmer, ce serait ridicule eu égard aux efforts déployés sur le temps long et par respect pour les promoteurs. Contentons-nous de regarder le paysage urbain de la ville avec des yeux neufs et, qui sait, une curiosité toujours en alerte.

Cette exposition est consacrée au cœur de ville si cher à notre maire et il serait injuste de ne pas reconnaître, entre autres, les qualités esthétiques des photographies de Hugo Miserey qui nous restitue une ville contemporaine inspirée de la reconstruction, celle des années cinquante avec toute la nostalgie et la mémoire s’y rattachant.
Oui mais après ? Michel Natier, directeur du musée, a raison de noter que les plans des immeubles et maisons affichées sont peu lisibles pour un profane, que les photographies prises avec hauteur évoquent une ville contemporaine nécessitant travaux de restauration et de rénovation. Cette exposition était une gageure à réaliser. Il y a fallu toute la science de Patrice Gourbin, docteur en histoire de l’architecture et spécialiste de la reconstruction, pour lui donner un sens et une vie que les déambulations quotidiennes routinières ne font pas forcément apparaître. Et puis Louviers n’est pas la seule ville normande à avoir été bombardée et en partie détruite. Un appel à projets a même été lancé par la Région pour mettre en valeur le patrimoine architectural de la reconstruction. Mais Louviers n’est pas Le Havre. Notre ville n’a pas eu la chance de voir les frères Perret se pencher sur son sort. Les Rivier, Muller, et leurs comparses Beghin et Mollier, n’ont pas eu la renommée de leurs confrères…

Justement, la reconstruction ? Pourquoi maintenant ? L’imminence des municipales y est sans nul doute pour quelque chose. Intervenue dans les années cinquante, j’ai des souvenirs d’enfance sans doute un peu flous mais fidèles quant à ce centre commercial transféré sur les boulevards et la place du Champ de ville où les bouchers et les marchands de télé par exemple poursuivaient leur activité en attendant de retrouver toits et murs. Après le bombardement allemand de juin 1940, le centre historique de Louviers fut dévasté par des incendies. Le feu détruisit la plupart des maisons à pans de bois construites des décennies avant que la seconde guerre ne provoque des dommages considérables. Dès 1941, les élus en charge des affaires locales se sont interrogés sur la reconstruction du centre mais il fallut attendre les années cinquante et le versement des dommages de guerre pour permettre aux propriétaires lésés de retrouver logements et maisons bâtis sur des ruines. Une question vitale se posait aux élus et aux investisseurs : Quoi reconstruire, comment, selon quel plan urbanistique avec quelle architecture ? Sachant qu’à cette époque pointaient les première exigences en matière sanitaire (WC, cabinet de toilettes, ascenseur dans les étages) sans oublier que l’isolation des bâtiments n’était pas un souci prégnant puisque l’énergie (le charbon surtout) était disponible à gogo et à pas cher.
 
cartes postales souvenirs.
La collection de photographies de Robert Régnier (surnommé « monsieur Kodack ») correspondant local de La Dépêche (au Vaudreuil) apporte certaines réponses. En 2001 le musée a acquis cette collection (collée sur papier peint !) illustrant sur plusieurs années les phases de la reconstruction. On y voit des îlots au système constructif évolutif notamment après la visite d’Eugène Claudius-Petit, le ministre de la reconstruction, sollicité par Pierre Mendès France alors président du conseil général de l’Eure. Le ministre voulait qu’on aille plus vite et à moins cher pour accélérer le processus destiné à fournir un habitat « moderne » à des sinistrés aux fortunes diverses. Je note avec une pointe d’ironie que Me Machu, notaire, eut droit à une reconstruction de sa maison en pierre de taille et qu’il racheta des dommages de guerre lui permettant de devenir propriétaire d’immeubles situés rue de la Citadelle, place du Champ de ville, par exemple, illustrant les capacités financières d’un notable gardant pignon sur rue bien des années après la guerre qu’il passa d’ailleurs comme conseiller municipal nommé par Vichy. Il devint ensuite le notaire de la ville et M. Panier, son premier clerc, fut l’interlocuteur privilégié de nombreux maires désirant constituer un patrimoine foncier municipal.

Il est remarquable, d’autre part, que les décideurs de l’époque n’aient pas profité de la situation — un centre-ville détruit et rayé de la carte — pour refonder le plan de circulation du centre et qu’ils aient restitué la géographie d’ensemble à l’imitation du Louviers d’avant-guerre. Il est vrai que l’automobile ne jouait pas le rôle qu’elle joue aujourd’hui et que les garages des cours intérieures préfiguraient mollement les besoins qui sont dorénavant les nôtres. Les cours intérieures obsèdent les élus et les propriétaires…sans copropriété et donc sans interlocuteur responsable. La place de la halle est demeurée en place…sans halle. Jusqu’à très récemment puisque la municipalité Priollaud a entrepris de remettre un toit sur cette place de marché devenue parking…

Puisqu’on lit, ici et là dans l’exposition que l’œuvre de la reconstruction doit bénéficier d’une rénovation urbaine (car tout se délite avec le temps même les meilleurs ciments) les élus jugent utile d’associer la population aux choix futurs. On ne peut leur reprocher cette approche participative. Elle appartient à l’ADN de Louviers. Reste à connaître les modalités de cette participation : quelle information préalable ? Sous quelles formes (experts et citoyens mêlés) en groupes de travail, en commissions municipales ouvertes ? Pendant quel laps de temps ? D’autant que les élections municipales se profilent à l’horizon de mars 2020 et que les listes en lice n’auront pas toutes les mêmes préoccupations.

Comme il n’y a pas de hasard, l’opération « cœur de ville permet à François-Xavier Priollaud de créer le bruit de fond de sa liste « Louviers au cœur ». Qu’importe. L’essentiel est que les Lovériens prennent à bras le corps le destin d’un centre dont les aléas architecturaux, commerciaux, sont ceux de bien des centres des villes moyennes. Le réhabiliter sera une opération de longue haleine. Si toutes les administrations (ville, agglomération, département, région, Etat) s’y mettent, si les élus savent faire preuve d’imagination et de confiance en des hommes et femmes de l’art créatifs, le centre de Louviers pourrait, enfin, répondre aux attentes de ses habitants et de ceux qui y vivent.
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