19 décembre 2020

Agglo Seine-Eure : la bataille de l'eau favorable aux supporteurs du groupe Véolia

Dans le stade Jesse Owens

M. Yann Le Fur, président de la commission du grand cycle de l’eau et de la protection de la ressource aurait pu filer encore plus loin les métaphores marines qu’il semble affectionner. Lors de la réunion du conseil de l’agglomération Seine-Eure, ce jeudi, au stade Jesse Owens transformée en salle de rencontres distanciées (gestes barrières obligent) M. Le Fur a voulu jouer les Bretons de service : droit dans ses bottes et cap à tribord (à droite donc) toutes voiles dehors. Bien aidé par Bernard Leroy qui a démontré un talent accompli d’habile stratège, les élus de l’agglomération ont débattu du choix de la gestion de l’eau potable sur le territoire des 105 000 habitants concernés. Des contrats arrivant à échéance le 31 décembre 2021, l’exécutif de la CASE a souhaité anticiper la suite des cette année.

 

Ce n’est ni nouveau ni immoral : il existe deux visions principales de cette gestion de services publics essentiels. Une vision purement technique et comptable, « pragmatique », affirment ses défenseurs et une autre, inscrite dans l’histoire et les compétences des communes sous forme de régie publique. Les élus favorables à cette dernière se recrutent surtout sur les bancs de la gauche…et aussi dans de nombreuses communes de droite comme Nice par exemple ou Troyes chez François Barroin. Choisir la régie publique répond d’abord à une évidence : l’eau n’est pas une marchandise « ce n’est ni un tracteur ni une bouteille de coca-cola », comme dirait Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil, premier défenseur de la soirée d’un amendement visant au report de la décision proposée par Bernard Leroy. Pourquoi ce report d’un an ? Pour donner du temps au temps parce qu’il s’agit d’un choix engageant l’avenir pour sept ans et que des conseillers de Seine-Eure considèrent n’avoir eu l’opportunité d’étudier à fond un dossier complexe. Il met en effet en jeu de grosses sommes d’argent et des millions de mètres cubes d’eau vendus ou perdus à cause des fuites sur les réseaux.

Bernard Leroy préside
 Bernard Leroy se savait largement majoritaire. Il ne lui servait donc à rien de prétexter un article des marchés publics (dont personne n’avait entendu parler en commissions spécialisées) empêchant la seconde prorogation d’un avenant…qui obligeait, selon lui, l’agglomération à faire son choix dans l’urgence. J’ignore si cet argument est valable juridiquement toujours est-il que Philippe Brun, Laetitia Sanchez, Diego Ortega, Janick Léger, Eric Lardeur, Richard Jacquet, ont en chœur et selon leur sensibilité défendu le report du vote pour que les élus choisissent en toute connaissance de cause l’option la meilleure pour défendre l’intérêt général. C’est-à-dire la protection de la ressource en eau, son traitement, sa distribution au coût le plus juste pour les usagers. Un an ! Un an pour étudier sérieusement les deux options en lice, voilà ce que demandaient les signataires de l’amendement et ceux et celles d’une pétition rassemblant des élus et des citoyens (pas forcément des militants) dont le seul crime aura été de croire dans les vertus de l’information « éclairée » et de la participation.

 

Philippe Brun au micro

Pour ma part, j’ai toujours défendu la régie publique qui avait fait si bien et si longtemps ses preuves à Louviers jusqu’en 1983 (le service de l’eau et de l’assainissement était toujours largement excédentaire) année où Odile Proust, ancien maire RPR, a choisi de vendre tout le réseau à la Compagnie générale des eaux devenue Véolia. C’était l’époque des Jean-Marie Messier, Guy Dejouany, …« les plus grands corrupteurs des municipalités de droite et de gauche » selon Marc-Antoine Jamet. Aujourd’hui, les dirigeants de Véolia ont changé mais leur appétit est toujours aussi féroce. Ne veulent-ils pas absorber le groupe Suez, concurrent direct de Véolia lors des appels d’offres organisés par les collectivités ? Si Véolia avale Suez, Le risque d’une situation monopolistique de Véolia est bien réel même si le groupe annonce qu’un fond d’investissement sera dédié aux marchés de l’eau pour éviter les foudres du conseil de la concurrence… Lætitia Sanchez n’a pas manqué de souligner les conséquences déjà palpables du changement climatique et d’une généralisation de stress hydrique dans de nombreuses régions du monde. Dans une partie de ces régions, des fonds vautours ont acquis des milliers d’hectares leur permettant de vendre l’eau aux éleveurs et agriculteurs a des prix spéculatifs « dans l’intérêt de leurs actionnaires. » On n’en est pas encore là en France mais l’année 2020 ayant été la plus chaude depuis les mesures de températures, notre pays devra, tôt ou tard, faire face à une pénurie d’eau potable avec toutes les conséquences fâcheuses sur notre quotidien.

 

Marc-Antoine Jamet défend le report
 Malgré des interventions souvent frappées au coin du bon sens, malgré les hésitations de nombre d’élus demandeurs d’informations comparatives, Bernard Leroy a quand même mis aux voix son projet de délibération optant pour une délégation de services publics pour la gestion de l’eau sur la majeure partie du territoire de la CASE. Le vote a été largement positif de sorte que l’appel d’offres peut être, d’ores et déjà, lancé auprès des opérateurs privés dont Véolia que la Métropole lyonnaise vient de quitter pour revenir en régie publique. Dans le Rhône, les 6,5 % de marge nette (sur 92 millions) versés aux actionnaires pourront être investis pour améliorer le réseau !


 

16 décembre 2020

« L’eau est, bien plus qu’une ressource, un bien commun vital pour l’humanité et l’ensemble du vivant. » La CASE en délibère ce jeudi soir

Avoir le choix entre Véolia et Suez, c’est comme avoir le choix entre Ariel et skip. L’étiquette change mais le contenu est le même. C’est ce choix théorique que vont devoir affronter les élu(e)s de la Communauté d’agglomération Seine-Eure, du moins ceux et celles qui ne sont pas encore convaincu(e)s qu’un retour en régie publique est non seulement important du point de vue économique mais aussi et surtout du point de vue écologique et social.

 

Dans plusieurs pays de la planète, la guerre de l’eau fait déjà rage. En Australie, aux Etats-Unis, des fonds vautours s’attaquent aux marchés de l’eau en achetant des milliers d’hectares dont le sous sol-baigne dans d’importantes nappes phréatiques. De nombreux éleveurs et agriculteurs ont été contraints de vendre leur bétail ou leurs terres eu égard aux prix faramineux qu’exigeaient d’eux les grandes sociétés pour les alimenter en eau. Le résultat ne s’est pas fait attendre : on a assisté — dans des pays où le changement climatique est à l’œuvre sous forme de sécheresses récurrentes — à des concentrations de biens dans quelques mains fortunées laissant sur la paille des générations d'agriculteurs et d'éleveurs incapables de payer les prix exigés d’elles.

 

On n’en est pas encore là en France. Pourquoi ? Parce que des élus dont c’est la compétence ont fait de l’eau un bien public à protéger des intentions pas toujours bienveillantes des grands groupes dont la France s’enorgueillit surtout à l'étranger. Mais avec le temps, les concentrations-absorptions ont réduit le choix comme peau de chagrin. On assiste même aujourd’hui à la volonté capitalistique de Véolia à l’égard de Suez dont les dirigeants en sont réduits à acheter des pages de publicité dans les grands journaux français pour dénoncer la volonté hégémonique d’un groupe qui s’occupe de tout : l’eau, l’assainissement, le transport et l’élimination des déchets, les transports urbains…

 

Pourquoi les élus de la CASE seraient-ils moins avertis que ceux de la majorité de la métropole du Grand Lyon qui viennent de mettre fin au contrat la liant à Véolia à partir de 2023. Déjà, Gérard Colomb, pourtant farouche défenseur de la délégation de services publics, par rapport au précédent contrat, avait obtenu en 2015 des améliorations : une durée de huit ans seulement, un prix de l’eau en baisse de 20%, l’obligation de réduire les fuites sur le réseau et de créer une société à part – Eau du Grand Lyon – pour gérer ce marché, afin de faciliter les contrôles. Ce contrat, officiellement démarré le 3 février 2015, arrivera à échéance à la fin 2022 et la majorité de gauche a décidé le retour en régie publique lundi dernier. Il est reproché à Véolia des « marges du délégataire » excessives, même si pour un contrat à 91 millions d’euros par an, la rentabilité annuelle pour le délégataire a bien diminué, passant à 6,5% en moyenne de 2015 à 2019. Autant d’argent que l’exécutif de la Métropole veut réinvestir pour améliorer le rendement du réseau.

 

La vice-présidente en charge de l’eau, Anne Grosperrin, a développé un autre avantage de la régie par rapport à une délégation de service public : « la participation des usagers à la définition des politiques publiques relatives à la gestion de l’eau ». D’où le choix d’un passage en régie avec autonomie financière et personnalité morale qui permettra de faire participer des associations d’usagers et des représentants du personnel au conseil d’administration de la régie. On le voit, qu’il s’agisse de Nice, Grenoble, Bordeaux, Paris, Lyon, des majorités de toutes les couleurs défendent la régie publique et elles ne manquent pas d'arguments.

 

Ce jeudi, les élus de la CASE sont invités par l’exécutif que préside Bernard Leroy, à anticiper une délégation de services publics pour l’eau à compter du 1er janvier 2022. Le président de l’agglomération s’appuie sur une expertise succincte émanant de cabinets conseils dont Marc-Antoine Jamet assure que leurs conclusions sont faites pour aller dans le sens attendu par le donneur d’ordres. Vous voulez une DSP : vous l’avez !

 

Il se trouve que des élus et des usagers sont engagés depuis longtemps sur notre territoire pour défendre le principe d’une régie publique de l’eau même avec des variantes. Ce qu’ils demandent : une temps suffisant pour étudier sérieusement un dossier qui va engager l’avenir pour plusieurs années. Obtiendront-ils un report du vote décisionnel ? Ce sera l’enjeu de la réunion de ce jeudi soir 17 septembre. Comme rien ne presse, il serait démocratique que ce report soit adopté. Un travail de réflexion considérable a été mené avec des élus de diverses communes engagées dans la régie publique. Pour en mesurer les bienfaits, il y faut, tout simplement, du courage politique et une vision à long terme, l’eau devenant au fil du temps un bien de plus en plus rare et donc de plus en plus précieux.

 

Les débats de la CASE seront retransmis sur Internet jeudi soir puisque le public ne sera pas admis dans la salle Jesse Owens de Val-de-Reuil (protocole sanitaire) où se tiendra la réunion des élus de la CASE. Soyons nombreux à les suivre.