2 janvier 2016

Les Français plébiscitent un renouvellement du personnel politique


Un sondage Odoxa sur le jugement des Français à l’égard du monde politique est éloquent et contradictoire. S’ils sont immensément favorables à un renouvellement de la vie politique en France et donc à un renouvellement des hommes (puisque les femmes sont quasi absentes du pouvoir) ils approuvent quand même majoritairement la candidature d’Alain Juppé à la prochaine présidentielle contrairement à celles de François Hollande et de Nicolas Sarkozy. Alain Juppé n’est donc pas un perdreau de l’année et son âge n’en fait pas un petit jeune qui monte. Et pourtant…

Bruno Le Maire est nouveau mais tellement vieux dans sa tête.
Les sondés sont également archi favorables au non cumul des mandats que l’ex-UMP veut revoir (pour supprimer les mesures limitatives applicables en 2017) et que certains politiciens de droite mais de gauche aussi malheureusement cultivent avec abondance. Le non cumul des mandats et la limitation du nombre de mandats dans le temps sont deux mesures impératives puisque les défaites subies n’entraînent pas (contrairement aux démocraties anglo-saxonnes ou nordiques, en Espagne aussi) dans notre beau pays la disparition de la scène politique des perdants. Au contraire. Ils s’accrochent à leur situation et leur notoriété lesquelles, il est vrai, présentent bien des avantages.

Etrange démocratie que la démocratie française. Elle épuise dans tous les sens du terme son personnel politique mais limite l’accession aux responsabilités des femmes, des Français issus de l’immigration, des classes sociales considérées comme non élitistes. Les textes destinés à améliorer son fonctionnement sont systématiquement vidés de leur substance ou considérés comme dangereux (cf. le vote des étrangers aux élections locales). Quelqu’un a dit récemment : « le système est à bout de souffle. » Si les politiciens ne prennent pas eux-mêmes conscience de la nécessaire précarité de leur état, il ne serait pas étonnant que les citoyens soient obligés d’agir à leur place. Dès lors, le pire du pire pourrait nous pendre au nez.

Le 23 janvier à Louviers Eric Roussel évoquera la vie de François Mitterrand


Je viens de terminer la lecture de la biographie de François Mitterrand écrite par Eric Roussel. De ce livre important et passionnant, on retiendra la personnalité exceptionnelle de l’ancien président de la République élu en 1981 après son échec de 1974 face à Valéry Giscard d’Estaing et celui de 1965 contre le général De Gaulle.

Dernière page de couverture du livre d'Eric Roussel.
Exceptionnelle est bien le mot puisque François Mitterrand, situé à la droite de la droite pendant sa jeunesse et finalement maréchaliste jusqu’à la mi 43, effectua ensuite et progressivement plusieurs virages : d’authentique résistant de 1943 à 1944, il devint 13 fois ministre sous la 4e République et évolua ensuite à gauche pour prendre la tête du Parti socialiste, réduire l’influence du Parti communiste, et enfin devenir le premier des Français, son but avoué dès sa plus tendre enfance. Si l’on ajoute au portrait ses « affaires » (l'observatoire, le Rainbow warrior, les Irlandais de Vincennes etc.) ses pérégrinations sentimentales, on comprend que François Mitterrand, comme l’a justement décrit Laurent Fabius, est un personnage dont le trait principal est l’ambivalence.

Eric Roussel sera présent à Louviers le 23 janvier prochain à 16 heures dans le cadre des conférences de la Société d’études diverses. Les Lovériens et tous ceux que la vie politique passionne ne manqueront pas d’assister à celle qu’il y donnera pour tenter de comprendre la trajectoire d’un homme supérieurement intelligent, cultivé, courageux, secret, machiavélien, parfois cynique, souvent distant mais toujours fidèle en amitié quels que soient les hommes et leurs travers.

30 décembre 2015

Déchéance de la nationalité, un texte de Pierre Joxe sur le site Mediapart : « La gauche est bien vivante »


Pierre Joxe
Voici le texte de Pierre Joxe paru ce jour sur le site d'information Mediapart : 


« Bonne année ! Bonne nouvelle ! La gauche est bien vivante !
On pensait bien – malgré les mots crispés d’un oracle nerveux au regard sombre –, on savait bien que non, la gauche ne pouvait pas mourir.
Mais aujourd’hui on le voit bien : elle est en pleine santé la gauche, jeune, claire et tonique, affirmant sa volonté avec confiance et s’adressant – comme il convient – à l’armature démocratique de la République, aux représentants du peuple, ceux qui sont les seuls, tous ensemble, à pouvoir faire la Loi, expression de la volonté générale : les parlementaires.
Jugez vous-mêmes. Allez les lire !
Je les cite ici :
« Les Jeunes Socialistes déplorent le choix fait par le gouvernement…
« Permettre la déchéance de nationalité de binationaux, même lorsqu’ils sont nés en France, crée une inégalité de droit entre les citoyens. Cette mesure place les Français binationaux sous un régime juridique différent de celui de tous les autres Français. Elle fige une différence symbolique et de droit entre les citoyens français.
« Cette mesure ouvre une brèche dans le droit du sol, qui fait partie de notre identité républicaine et qui est attaqué depuis des décennies par l’extrême droite.
« Cette mesure est surtout inefficace car elle n’a aucun caractère dissuasif. En effet, comment imaginer que des fanatiques puissent renoncer à commettre des actes sanglants par peur de perdre leur nationalité française alors qu’ils sont prêts à mourir ?
« Si cette mesure est autant contestée et avait été écartée par le gouvernement à la suite des attentats de janvier, c’est sans doute parce qu’elle heurte nos valeurs de justice, notre conception de la République, et que son inefficacité est certaine.
« Les Jeunes Socialistes espèrent que la sagesse parlementaire permettra d’écarter cette mesure et de concentrer l’action de l’Etat sur ce qui permet de lutter efficacement contre le terrorisme, et de préserver notre modèle démocratique et républicain pour l’égalité de tous les citoyens. »
Ces Jeunes Socialistes ont bien raison de se tourner vers le Parlement, car en France la Loi ne découle pas d’un discours, même proféré à Versailles.
Et la Constitution ne peut être modifiée que par un référendum ou par une majorité dite « qualifiée » de 3/5 des parlementaires – et non par la bouche cousue d’un Conseil des ministres surpris.
Ces jeunes socialistes ont bien raison de défendre des valeurs.
Non, ils ne « s’égarent » pas – comme le leur reproche ingénument un Premier Ministre feignant d’ignorer que, bien au contraire, c’est en oubliant leurs valeurs que de vieux socialistes « égarés » ont jadis déconsidéré la gauche, détruit pour dix ans leur Parti et abattu la IVRépublique.
Non seulement ces Jeunes Socialistes ne s’égarent pas, mais ils donnent le bon exemple, un exemple saisissant. Dans un texte vibrant d’indignation contenue, ils montrent qu’ils ont parfaitement assimilé les aspects juridiques les plus ardus de ce dossier complexe.
Ils ont décrypté les réserves polies et les hésitations précautionneuses des quatre-vingts honorables membres de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat évoquant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ils ont bien compris la portée de la jurisprudence ancienne et récente du Conseil constitutionnel, non seulement sur l’état d’urgence, mais surtout sur la déchéance de nationalité.
Ils ont bien lu le stupéfiant exposé des motifs du projet (n° 3381) de réforme constitutionnelle.
Comme ce texte officiel semble être passé inaperçu, j’en cite cet extrait éclairant, facilement consultable sur le site de l’Assemblée : 
« ... pour des personnes nées françaises, les lois républicaines n’ont jamais retenu la possibilité d’une déchéance de nationalité... Il en a d’abord été ainsi de la Loi du 7 avril 1915 puis avec la Loi du 10 août 1927 ainsi qu’avec le Décret-loi du 12 novembre 1938... Ainsi toutes les caractéristiques dégagées par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence sont réunies pour qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité » (Ass. Nat. : projet n° 3381, exposé des motifs).
Oui, c’est bien « notre conception de la République », invoquée à juste titre par les Jeunes Socialistes, qui est en cause. Et qu’un socialiste adulte, encore jeune, mais déjà très mûr, puisse proférer qu’« une partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs », cela rappelle de vieux et mauvais souvenirs.
Heureusement peut-être, entre précipitation et velléités, la longue liste des « Projets de réformes constitutionnelles » exhibés puis enterrés depuis bientôt trois ans peut laisser penser que l’explosif effet d’annonce d’aujourd’hui va disparaître dans l’effet de souffle qu’il a provoqué...
On ne le regrettera pas.
On regrettera peut-être davantage les réformes annoncées, rédigées et mises au congélateur depuis trois ans, comme en particulier :
Tous ces projets déposés en 2013, consultables sur le site internet de l’Assemblée, confiés au rapport du président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, et tombés rapidement dans l’oubli... parfois sans qu’un rapport soit rédigé !
Souhaitons cette douce euthanasie au projet n° 3381 et félicitons les Jeunes Socialistes. Quand on les lit, on n’a pas peur : la gauche est bien vivante.
*
On le sait, qu’un ou plusieurs personnages politiques parvenus au pouvoir changent d’avis, renient leurs promesses ou oublient tel ou tel engagement pris publiquement, ce n’est pas un phénomène rare.
On l’a déjà constaté en France sous la Ve République ; mais aussi sous la IVe – qui en est morte ; sous la IIIe et déjà sous la IIe République – celle de Badinguet ; sans oublier notre Première République – celle de la Terreur.
Ce qui est singulier dans les circonstances présentes, c’est le contraste entre certaines déclarations passées – mais récentes – et les décisions qui les contredisent.
Ce contraste éclate entre les propos tenus en 2010 contre les propositions de Sarkozy pour l’extension de la déchéance de nationalité. On pouvait lire à l’époque dans Le Figaro :
« “Est-ce que c’est conforme à notre histoire, nos traditions, notre Constitution, quand on sait que depuis 1889, la nationalité française s’exerce par la naissance et s’acquiert par mariage au bout de quelques années après un contrôle? (...) Pourquoi remettrait-on en cause ces principes essentiels ? (...) C’est finalement attentatoire à ce qu’est finalement la tradition républicaine et en aucune façon protecteur pour les citoyens”, a jugé le député de Corrèze. Interrogé sur les réserves exprimées par Bernard Kouchner, Hervé Morin ou Fadela Amara sur le virage sécuritaire du chef de l’Etat, François Hollande a répondu que ces ministres avaient “leurs responsabilités entre leurs mains” » (Le Figaro du 31 août 2010).
Décalage singulier aujourd’hui entre l’effet juridique espéré d’une décision controversée et l’effet politique instantané : soudain, la gauche anesthésiée se réveille.
Tous mes vœux. »

Pierre Joxe 
Avocat au Barreau de Paris
Membre honoraire du Parlement
Membre honoraire du Conseil constitutionnel
Premier président honoraire de la Cour des comptes