Mara
Goyet, enseignante en histoire et en géographie tient un blog sur le site du
Monde. Elle y rend hommage à Jean-Pierre Vernant qui aurait eu cent ans aujourd’hui.
Elle a reproduit un extrait d’un texte de cet humaniste qui parle si bien de ce
que peuvent être les relations entre professeurs et élèves. Elle écrit : «
Il y a chez lui une manière simple et
subtile de faire le lien entre une conception de la classe et une conception,
plus large, de la société, de la vie, de penser l’autorité sous le jour d’une
esthétique et d’une éthique de la relation sociale qui est, à mes yeux,
fondamentale. »
« Un
professeur fait du théâtre quand il arrive dans une classe. Mais il y a différentes
manières de s’y prendre. On peut taper sur la table et faire sentir toute la
distance qui sépare les élèves du professeur. On peut aussi jouer le jeu
inverse, et c’est ce que je faisais quand j’enseignais au lycée : non
seulement en tutoyant les élèves, mais en s’efforçant d’abolir, jusque dans sa
tenue vestimentaire et son vocabulaire, tout indice d’une autorité conférée par
une hiérarchie sociale. Évidemment, le professeur sait bien, quelle que soit la
stratégie qu’il adopte, que ce n’est pas la même chose d’être élève et d’être
professeur. Celui qui est sur le banc et celui qui est derrière le bureau n’ont
pas le même statut. La stratégie de la non-distance peut être très adroite ou,
au contraire, amener celui qui l’emploie à la catastrophe. Mais s’il y
recourt plutôt qu’à une autre, ce n’est pas par pure stratégie. C’est parce qu’elle
correspond à l’idée qu’il se fait du rapport entre maître et élève, de ce qu’est
un groupe. Si on entre dans le jeu de l’abolition de la hiérarchie, ce n’est
pas simplement de l’habileté, c’est aussi une esthétique, et une éthique de la
relation sociale.
Il faut
commencer par cesser d’être professeur pour pouvoir l’être. Cela signifie
obligatoirement — à mon avis c’est une idée grecque — que toute relation
sociale, avec une classe comme avec le groupe dans lequel on s’est engagé dans
la Résistance, implique un ciment qui est l’amitié. Cet élément fondamental est
le sentiment d’une complicité, d’une communauté essentielle sur les choses les
plus importantes. Dans le rapport du professeur avec ses élèves, c’est le fait
de partager une certaine idée de ce que doit être quelqu’un, d’avoir en commun
une certaine forme de sensibilité, d’accueil à autrui, de s’accorder sur l’idée
qu’être autre signifie aussi être semblable. »
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