En octobre 1944,
Jean-Paul Sartre a écrit ses « réflexions sur la question juive ». Par les
temps qui courent voilà un livre qui mérite d’être relu. J’ai extrait ce
passage (p 56, 57 et 58 de l’édition Folio) dans lequel Sartre dresse le
portrait de l’antisémite :
« Nous sommes en mesure à présent de le comprendre. L’antisémite
c’est un homme qui a peur. Non des Juifs, certes, de lui-même, de sa
conscience, de sa liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la
solitude, du changement, de la société et du monde ; de tout sauf des Juifs.
C’est un lâche qui ne veut pas s’avouer sa lâcheté, un assassin qui refoule et
censure sa tendance au meurtre sans pouvoir la réfréner et qui, pourtant, n’ose
qu’en effigie ou dans l’anonymat d’une foule ; un mécontent qui n’ose se
révolter des peurs des conséquences de sa révolte. En adhérant à l’antisémitisme,
il n’adopte pas simplement une opinion, il se choisit comme personne. Il
choisit la permanence et l’impénétrabilité de la pierre, l’irresponsabilité
totale du guerrier qui obéit à ses chefs — et il n’a pas de chef. Il choisit de
ne rien acquérir, de ne rien mériter mais que tout lui soit donné de naissance
— et il n’est pas noble. Il choisit enfin que le Bien soit tout fait, hors de question,
hors d’atteinte, il n’ose le regarder de peur d’être amené à le contester et à
en chercher un autre. Le Juif n’est ici qu’un prétexte ailleurs on se servira
du Nègre, ailleurs du Jaune. Son existence permet simplement à l’antisémite d’étouffer
dans l’œuf ses angoisses en se persuadant que sa place a toujours été marquée
dans le monde, qu’elle l’attendait et qu’il a de tradition le droit de l’occuper.
L’antisémitisme, en un mot, c’est la peur devant la condition humaine. L’antisémite
est un homme qui veut être un roc impitoyable, torrent furieux, foudre
dévastatrice : tout sauf un homme. »
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