« Je n’ai en aucune manière envie de m’associer au chœur des lamentations sur la perte incommensurable que constituerait la mise à l’écart de Dominique Strauss-Kahn tant au FMI que comme prétendant à l’investiture du Parti socialiste pour la prochaine présidentielle. J’ai eu maintes fois l’occasion sur ce blog de dire tout le mal que je pensais de DSK. Non pas de l’homme que cette sordide affaire jette en pâture à la presse de caniveau, même s’il est vrai que son attirance pour le « fric facile et ostentatoire » ainsi qu’une certaine vulgarité ne me le rendaient pas particulièrement sympathique. Mais du politique.
Quoi donc le rendait aussi populaire auprès des Français ? La réussite sociale, financière, politique ? Parce qu’il faisait partie des « grands » de ce monde, auréolé du prestige que lui conférait la direction du Fonds monétaire international, la plus haute instance financière mondiale ? La compétence économique qu’on lui accordait : quel sésame aujourd’hui dans ce monde de l’argent roi ! Et pourtant, qu’est-ce donc que le FMI ? Organe totalement inféodé aux États-Unis qui en sont le plus important bailleur de fonds, le FMI, au service de la politique américaine et de la finance internationale, n’a jamais su accorder de crédits aux pays en difficulté autrement qu’en exigeant d’eux l’application de politiques ultralibérales dont les « plans d’ajustement structurels », c’est-à-dire les plans de rigueur, sont le principal instrument. Privatiser en est le maître mot. Supprimer tout ce qui ressemble à du service public, réduire de manière drastique le nombre des fonctionnaires, baisser les pensions, réduire les salaires et les prestations sociales quand elles existent. Bannir partout l’État providence qui ne fabrique que des assistés ainsi que l’affirmait dernièrement le ministre Wauquiez.
C’est le FMI, alors dirigé par le Français Michel Camdessus, qui, à force de les étrangler, a poussé de nombreux peuples d’Amérique latine à se révolter et à chasser leurs dirigeants, lesquels avaient partie liée avec lui. C’est le fameux « Que se vayan todos ! » (« Qu’ils s’en aillent tous ! »), le cri de la révolution citoyenne, repris par Jean-Luc Mélenchon pour titre de son dernier ouvrage. Le cri des peuples humiliés, exaspérés, qui veulent reprendre en main leur destinée. Le FMI leur fit tout vendre : leurs ressources naturelles, l’énergie, les transports, les hôpitaux, les écoles, les musées, etc. On vit des compagnies privées acheter à l’encan les lignes de chemins de fer pour aussitôt après en démonter les rails et revendre l’acier. L’Argentine, pour ne citer qu’elle, a été totalement ruinée.
Comme aujourd’hui la Grèce est en passe de l’être par les bons soins que lui a prodigués le gentil Dr. Strauss-Kahn que beaucoup de journalistes et non des moindres ont le culot de nous présenter comme le sauveur de ce pays, ce dont sont persuadés beaucoup de nos concitoyens. Il n’est que temps de leur ouvrir les yeux.
La Grèce, ce malheureux pays dont la dette en 2009 ne représentait pas plus de 1% de la richesse de l’Europe. C’est-à-dire peu de choses. Ce pays dont la banque américaine Goldman Sachs aida les dirigeants de l’époque à maquiller ses comptes pour mieux ensuite spéculer contre lui. Ce pays dont le premier ministre socialiste Papandréou se coucha immédiatement à la première injonction de la finance internationale et appliqua à son pays le contraire de la politique pour laquelle il venait d’être élu. La conséquence ne tarda pas. Les agences de notation en baissant sa note l’obligèrent à emprunter sur le marché à des taux de plus en plus élevés. Et comme le plan de rigueur que lui infligea le FMI de M. Strauss-Kahn ne pouvait avoir comme autre résultat que celui de faire entrer le pays en récession – donc de faire baisser ses recettes fiscales – le remède fut pire que le mal. Et donna motif aux agences de notation pour baisser à nouveau la note. Aujourd’hui la Grèce emprunte des fonds sur deux ans au taux hallucinant de 23%. Et bien entendu ne pourra pas rembourser. Devinez ce qui va se passer.
« C’est bien fait pour eux ! Tous des fraudeurs du fisc ! » ai-je entendu dire un militant socialiste. Quoi de plus facile que de fabriquer des boucs-émissaires et de dresser les gens les uns contre les autres ? Comme si notre pays était en ce domaine irréprochable. Et la ministre Lagarde, s’ingérant l’autre matin sans gène aucune dans la politique intérieure de la Grèce, pays souverain, l’accusait « d’avoir pris beaucoup de retard dans les privatisations ». « Ils (les dirigeants grecs) s’étaient pourtant engagés à privatiser l’énergie et les transports… » Qu’attendent-ils ? On leur avait même conseillé de vendre des îles. Que ne l’ont-ils pas encore fait ! Ils n’en seraient pas là. Certains de nos grands patrons du CAC 40 auraient pu, par solidarité bien comprise, en acheter quelques unes pour les aider à se redresser. Être propriétaire d’une île. N’est-ce pas là le dernier fantasme à la mode des milliardaires ? Quoi de choquant ?
Demandez aux Bretons – lorsque d’ici quelques années, si nous continuons d’accepter le diktat des banquiers qui s’entêtent à vouloir nous faire payer leur crise, nous en serons arrivés, avec la dette qu’on nous fabrique chaque jour en appauvrissant l’État, à la situation de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal –, s’ils accepteront sans broncher qu’une instance internationale, fut-elle le FMI, exige qu’on vende au privé sans leur demander leur avis l’île de Sein, Bréhat ou Ouessant. Et que leurs habitants deviennent sujets de MM. Bernard Arnault, Arnaud Lagardère, François Pinault ou d’un fonds de pension anglo-saxon.
La réalité, c’est que les grands médias, contrôlés par les puissances d’argent de l’oligarchie qui nous gouverne, avaient depuis longtemps fait leur choix. Et fabriqué comme ils le firent dès 2006 avec Ségolène Royal, la candidature de Dominique Strauss-Kahn. Mais pour des raisons différentes.
Car, en toute lucidité, ayant usé Sarkozy jusqu’à la corde et n’ayant pas de candidat de substitution à droite, le moindre mal pour l’oligarchie était évidemment que le directeur du FMI lui succédât. Lui, en si bons termes avec la finance internationale à laquelle il avait donné tant de gages, ne leur poserait guère de problèmes. Pas plus à eux qu’à l’Europe libérale sur laquelle elle s’adosse. On était entre gens de bonne compagnie. Et tant de Français étaient persuadés que DSK était de gauche… Ou faisaient semblant d’y croire, comme au Parti socialiste ! L’important, n’était-ce pas de disposer du candidat capable de gagner la présidentielle ? Après, il serait bien temps d’aviser. Tout est à refaire.
Reynald Harlaut
Parti de Gauche
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