20 mai 2011

« Le dévoiement de la politique étrangère française » par François Loncle


Poignées de mains…en rafale

« Dans la perspective de 2012, Nicolas Sarkozy cherche - enfin, serait-on tenté d'ajouter – à se doter d'une stature présidentielle. Il table sur des succès extérieurs pour insuffler une dynamique électorale et dissimuler ses échecs intérieurs. C'est ainsi qu'il a revêtu l'uniforme du chef de guerre et s'est lancé, d'une manière impulsive, dans l'aventure libyenne. Sans réflexion. Sans stratégie. Sans vision. Excepté quelques personnalités qu’il faut saluer, comme Claude Lanzmann et Roni Brauman, la politique de la canonnière menée par la France ne suscite ni opposition ni débat. Les partis politiques, y compris à gauche, se sont aussitôt mis au garde-à-vous. Je m'élève contre ce panurgisme diplomatique et médiatique. Je ne veux pas attendre que l'opération militaire ait duré quatre mois, délai prévu par la Constitution, pour que l'Assemblée nationale puisse enfin se prononcer par un vote. J'exerce le droit de tout parlementaire d'interpeller le gouvernement et de le critiquer. Qu'il s'explique sur les errements de notre politique extérieure. Qu'il justifie ses revirements. Qu'il précise ses intentions et ses objectifs.
La fringale interventionniste de Nicolas Sarkozy donne la fâcheuse impression que notre diplomatie est totalement improvisée, qu'elle cherche désespérément à compenser sa pusillanimité lors des révolutions tunisienne et égyptienne, qu'elle tente d'occulter sa complaisance passée à l'égard de Kadhafi avec lequel la France n'hésitait pas à conclure de juteuses affaires, au point de lui avoir fourni, encore au début de l'année, des missiles antichars Milan ou bien des Mirage qu'elle s'efforce maintenant d'abattre. Pourtant, la nature cruelle du régime libyen ne constitue pas une découverte récente. Ne s'était-il pas rendu coupable, en 1989, de l'assassinat des 170 passagers d'un DC10 d'UTA? Et Kadhafi était toujours cet odieux personnage quand il plantait sa tente près de l'Élysée en décembre 2007.
Le président de la République a justifié l'intervention en Libye par l'impératif moral d'empêcher un dictateur de massacrer son peuple, ce qui ne semble guère avoir impressionné le roi de Bahreïn ou le président du Yémen. La France a donc pressé, le 17 mars, le Conseil de sécurité de l'ONU d'adopter la résolution 1973 qui fixe à la coalition internationale seulement deux missions: l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne et la « protection des populations ». Cette résolution a servi en fait à déclencher, deux jours plus tard, une opération militaire aux conséquences imprévisibles, dans la mesure où une zone d'interdiction de vol entraîne généralement une intensification des combats au sol. Nicolas Sarkozy croyait-il ingénument que les seules frappes aériennes suffiraient à chasser Kadhafi?
En tout cas, deux mois de bombardements ont conduit à une impasse militaire. Robert Gates, le chef du Pentagone, admet que la guerre pourrait encore durer au moins six mois. La résolution 1973 se révèle une simple argutie juridique. L'intervention militaire ne consiste plus à sauvegarder les civils mais à soutenir une insurrection. Comme le reconnaît un haut diplomate du Quai d'Orsay, Paris « n'est plus dans le cadre fixé par le Conseil de sécurité », car « on participe désormais à une guerre civile ». La France a ainsi dévoyé le concept de « responsabilité de protéger », qui avait avantageusement remplacé le très contestable « devoir d'ingérence ». Il ne s'agit plus d'une mesure d'interposition mais d'un acte de cobelligérance, ce qui explique la désunion de ce qu’on nomme toujours à tort « la communauté internationale »: l'Allemagne, l'Italie, la Belgique et l'Espagne se montrent réticentes; la Russie, la Turquie et l'Union africaine s'opposent aux frappes aériennes; les États-Unis rechignent à s'engager davantage; la Ligue arabe ne cesse de se distancer.
La dérive guerrière d'une opération, présentée au départ comme un sauvetage humanitaire, n'est pas la seule faute commise par le président de la République.
Tout d'abord, la résolution 1973 interdit explicitement le déploiement de forces étrangères sur le territoire libyen. Gérard Longuet soutenait que c'était « exclu » et Alain Juppé y était « tout à fait hostile ». Or, la France a dépêché sur place, depuis plus d'un mois, une cinquantaine de militaires, camouflés pudiquement en « officiers de liaison », mais officiant en vérité comme instructeurs et conseillers.
Ensuite, l'ONU a instauré un embargo sur les armes à destination de la Libye. Or, la France a livré des armements aux insurgés via le Qatar et le Niger. En outre, la confusion régnant en Libye est propice aux détournements. Des interlocuteurs mauritaniens m'ont certifié que les arsenaux de Libye avaient été pillés, non seulement par les rebelles mais aussi par des djihadistes d'AQMI: « Ils ont fait allègrement leur marché! » Et le ministre malien des Affaires étrangères a confirmé l'arrivée massive dans son pays d'armes lourdes volées en Libye.
Enfin, la résolution 1973 n'exige pas de changement de régime et n'évoque pas non plus le Conseil national de transition (CNT) de Benghazi. Nicolas Sarkozy assure, lui-même, ne pas vouloir éliminer Kadhafi. Or, la coalition a multiplié les tentatives d'assassinat du Guide libyen, ne réussissant qu'à tuer son plus jeune fils et trois de ses petits-enfants. Quant au CNT, le chef de l'État français s'est précipité, à l’instigation de Bernard-Henri Lévy, à le reconnaître, sans savoir vraiment à qui il avait affaire. Son unilatéralisme arrogant a, dès le départ, torpillé toute entente européenne. Hormis le Qatar et l'Italie, nos partenaires se sont bien gardés de suivre notre exemple, conscient que la représentativité et la légitimité du CNT posent problème. Londres et Washington se montrent plus que réservés à l'égard d'un comité composé de personnages douteux: trois de ses dirigeants sont, en effet, d'anciens ministres de Kadhafi, notamment le général Younès qui, comme ministre de l'Intérieur, faisait figure de numéro deux du régime. Quant au chef du CNT, Moustapha Abdel Jalil, que Sarkozy qualifie de « personnalité remarquable », il s'occupait de la Justice et, au titre de président de la cour d'appel de Tripoli, il avait entériné la condamnation à mort des infirmières bulgares.
En définitive, l'intervention militaire ne dispose que de soutiens limités et de capacités réduites. Et elle ne répond pas – loin s'en faut - aux désirs français. D'une part, le gouvernement ne cesse de répéter qu'il s'est engagé à la demande des pays arabes, mais seuls le Qatar et les Émirats arabes unis participent aux bombardements. D'autre part, Paris refusait, à juste titre, de transférer le commandement des opérations à l'OTAN, Alain Juppé arguant que « ça pourrait être extrêmement contre-productif ». Il n'a fallu que deux semaines pour que la France accepte la tutelle otanienne. Au demeurant, l'Alliance atlantique s'est avérée inadaptée à ce type d'action, à laquelle prennent part seulement six de ses 28 membres. Il est aussi clair que l'affaire libyenne signe la fin de la défense européenne que Sarkozy prétendait relancer, paradoxalement en réintégrant le commandement militaire de l'OTAN.
Face au risque d'enlisement, Nicolas Sarkozy opère un revirement complet, puisqu'il considère à présent que « l'intervention militaire restera l'exception ». Se rend-il enfin compte des dangers que comporte son opération hâtive et irréfléchie : partition du pays, développement d'un foyer terroriste, déstabilisation des États limitrophes où déferlent des centaines de milliers d'Africains travaillant en Libye, afflux de réfugiés libyens en Europe qu'il veut verrouiller, en démantelant les accords de Schengen ? Désormais, il envisage « une véritable négociation politique et diplomatique », en incluant « des membres issus du régime de Kadhafi ». On se demande bien pour quelle raison une telle solution n'avait pas été recherchée avant de recourir à la force. Pourquoi des « sanctions sévères », que Sarkozy juge « efficaces » en ce qui concerne la Syrie, n'auraient pas été tout autant opérantes en Libye?
Il faut d'urgence définir une stratégie de sortie de crise. Soutenons les efforts de l'Union africaine qui plaide pour un cessez-le-feu immédiat. Oeuvrons à une solution politique. Quitte à suivre un philosophe, autant que Nicolas Sarkozy s'inspire plutôt de Montaigne pour qui « il n'y a chemin qui n'ait son issue ».
François Loncle
Député de l'Eure
Vice-Président du Groupe socialiste


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