Eric Roussel. (photo JCH) |
Dans son livre « De l’intime
au politique » Eric Roussel, biographe, fait découvrir de nouvelles facettes de
ce personnage d’exception, facettes qu’il a développées ce samedi devant les nombreux
auditeurs invités par la Société d’études diverses dans la salle…du nom de Pierre
Mendès France si dissemblable de l’ancien président de la République et en même
temps tellement proches dans l’action à l’époque de la 4e République
et jusqu’en 1981.
Eric Roussel est formel. S’il
a été Croix de feu, François Mitterrand n’a jamais été cagoulard. Sa formation familiale
de jeune bourgeois catholique le conduit à droite très tôt si bien qu’après son
évasion de captivité (elle va changer son regard déjà acéré sur le monde) il
devient un farouche supporteur de Pétain et de la Révolution nationale (1)
! A la mi-43, il entre en résistance et devient responsable du principal
mouvement de prisonniers de guerre…un million d’hommes longtemps en quête de
reconnaissance. Entre temps, Marie Louise terrasse (la future Catherine
Langeais) dont François Mitterrand est éperdument amoureux a changé de fiancé,
un refus qu’il ne parviendra jamais à vraiment surmonter. Eric Roussel lit même
dans ce rejet de 1942 la naissance d’un cynisme dont François Mitterrand ne se
départira plus jamais.
Le public de la Société d'études diverses. (photo JCH) |
Le ministre de la 4e
République…l’Outre mer et l’autonomie des peuples africains, le collaborateur
de PMF au gouvernement et à l’Intérieur, l’affaire des fuites (2) l’Algérie et
les exécutions de militants du FLN puis l’arrivée au pouvoir de son adversaire éternel,
le général de Gaulle, conduisent François Mitterrand à sa traversée du désert.
Pendant 23 ans, la gauche est absente du pouvoir mais cette période lui permet
de concrétiser sa stratégie d’union de la gauche avec les communistes, de
prendre le Parti socialiste en 1971 au nez et à la barbe des anciens de la SFIO
et de se lancer vraiment à la conquête du pouvoir. Il gagne largement la
confiance des Français en 1981.
Rapidement l’homme de Jarnac
prend ses aises dans cette 5e République qu’il a honnie. Le monarque
républicain surtout intéressé par la politique étrangère se moque malheureusement
un peu trop de l’économie dans des nationalisations à outrance (laquelle se
venge aujourd’hui) qui vont faire la richesse des porteurs d’obligations mais
fait voter l’abolition de la peine de mort, libère les ondes, impose la 5e
semaine de congés payés et se lance dans une grande politique culturelle et
architecturale pensant ses deux septennats. Personnellement, je regretterai
toujours certains reculs comme ce grand service public et laïque de l’éducation
nationale condamné par la manif des ultras conservateurs ou « l’oubli » du vote
des étrangers aux élections locales auquel la majorité des Français demeurent
soi-disant hostiles…mais ne l’étaient-il pas également à la suppression de la
peine de mort ?
Le second septennat vaudra surtout
pour sa rivalité avec Michel Rocard, une grande habileté dans la cohabitation
avec la droite, une politique européenne de conviction, grâce à Helmut Kohl
aussi, même si Eric Roussel ne considère pas François Mitterrand comme un
visionnaire. S’il a réussi l’Euro et l’acte unique, il a été surpris par la réunification
de l’Allemagne et la disparition de l’URSS comme il l’avait été en mai 1968 pendant
les événements d’un mois dans lesquels il lisait un monôme d’enfants gâtés. Il était
l’homme d’une génération, d’une culture d’avant-guerre, il n’aimait pas trop le
changement.
François Mitterrand à Louviers en 1981. (photo JCH) |
Courageux. François
Mitterrand l’a été moralement et physiquement. Atteint d’un cancer de la
prostate dès sa prise de pouvoir en 1981, il fera face à la maladie à la fin de
son second septennat avec une abnégation admirable se croyant même guéri en
1988 d’où sa candidature à la présidentielle de cette année-là. Peut-être cette
maladie a-t-elle influencé certaines prises de décision…d’autres considèrent qu’il
se trouvait en possession de 100 % de ses moyens intellectuels.
Il reste que François
Mitterrand, selon les propos de François Loncle venu raconter ses déjeuners
avec celui qui a imposé sa candidature à Louviers aux législatives de 1978,
aura été « un grand président », un homme d’état à la hauteur de l’histoire. C’est
incontestable. Même si l’homme n’a jamais exprimé de regrets ou de remords sur
ses actions au pouvoir, nous avons été nombreux à déplorer en leur temps les
aspects ombrageux voire scandaleux de certaines de ses actions : l’affaire
du rainbow warrior, celle des Irlandais de Vincennes, Tapie au Gouvernement,
son amitié avec Bousquet dont on dit qu’il lui a sauvé la vie sous l’occupation,
le secret de l’existence de Mazarine et les écoutes…sans oublier le faux-vrai attentat
de l’Observatoire où François Mitterrand a été la victime constante d’une
manipulation du pouvoir.
Je ne veux pas rester sur
ces remarques négatives. Très attaqué par la droite, dans un contexte
international difficile (mais n’est-ce pas le lot commun des dirigeants ?)
face à un parti communiste rapidement hostile et une deuxième gauche soupçonneuse,
François Mitterrand a su conserver des lignes de force et s’appuyer sur des
valeurs fondamentales. Le livre d’Eric Roussel foisonne de détails et de faits
nouveaux. Quel délice, ces lettres à sa cousine devenue son amante de
consolation ! Quelle plume !
(1)
Il a toujours nié
avoir eu connaissance du statut des juifs après son retour de captivité mais il
ne pouvait ignorer l’ostracisme du régime à l’égard des francs-maçons, des
socialistes, des communistes et des progressistes en général.
(2)
PMF fit ouvrir
une enquête par la DST sur l’auteur de fuites provenant du conseil de la défense
nationale. Il n’en fit pas part à François Mitterrand, suspecté mais innocent,
qui restera affecté toute sa vie par ce manque de confiance.
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