1979 : Ernest Martin, adjoint, dans la cour de la mairie. (photo JCH) |
Nous sommes nombreux, ce
matin, à être orphelins. Ses enfants, d’abord, auxquels nous pensons très fort
et tous ceux, hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, pour lesquels il était une
figure de proue, un exemple, un modèle. Ernest Martin est décédé aujourd’hui à
la MAPA de Louviers où il vivait depuis plusieurs années. Avec son épouse,
Nicole disparue avant lui, ils sont ceux grâce auxquels j’ai acquis une vraie
conscience politique, des convictions solides, des repères idéologiques et
humanistes aux antipodes de ce qui est devenu si courant de nos jours : le
carriérisme, l’intérêt personnel, le populisme, la démagogie.
En 1965, quand il devient
maire de Louviers suite à un accident de l’histoire locale avec la défaite au
premier tour du mendésisme municipal, ce n’est pas une stratégie ni des accords
de partis qui l’emportent au second. C’est la victoire d’un homme réputé pour
sa pratique médicale, entouré d’une équipe au service d’idéaux qui vont
profondément ancrer la vie lovérienne dans l’histoire de la gauche en France.
De l’utopie à revendre mais de l’utopie concrète avec des actes forts au
service des « sans quelque chose » : sans argent, sans toit, sans avenir,
sans emploi, sans dignité. Cette municipalité d’Union des gauches n’avait-elle
pas adoptée une charte intitulée : « toi, homme de gauche » dans laquelle
les femmes et les hommes avaient, déjà, le même destin. N’y parlait-t-on pas
éducation, planning familial, égalité des sexes ? On y évoquait le sort
des immigrés, on y saluait l’internationalisme, le pacifisme, la non violence
dans tous les actes de la vie avec un
mot d’ordre : deviens ce que tu es. La société te le doit.
Car Ernest Martin mettait
les gens debout. D’un mot, d’un encouragement, d’un regard, d’une ordonnance,
il aidait les victimes d’une société soumise au pouvoir de l’argent. Ah
l’argent ! Quelles bêtises n’a-t-on écrit sur la gratuité, cette gratuité
des services publics conçue comme un outil d’harmonie sociale et d’équilibre
collectif. Cet argent qu’il exécrait puisque chargé de tous les maux du
capitalisme agressif, de l’impérialisme des nations fortes sur les opprimés,
des maîtres sur les esclaves.
A Louviers, le combat
politique dépassait les frontières de la médiocrité. Les enjeux ne relevaient
pas du nombre de postes, de places à acquérir ou à conserver. Le pouvoir
n’était pas conçu comme une fin mais comme un moyen. Un moyen d’émancipation pour
ceux et celles qui n’ont jamais la parole, qu’on n’écoute pas, qui ne comptent
pas. Et une manière de se conduire pour tous les autres.
Certes, l’action de gauche
ne s’accomplit pas sans heurts, sans contradictions, notamment avec les partis
structurés, organisés, programmés. La défaite de la liste Martin aux élections
anticipées de 1969, elle est due au Parti communiste et à ses dogmes ! Et
aussi aux campagnes calomniatrices d’une droite fidèle à ses habitudes et
dérangée dans sa légitimité naturelle à conduire les affaires.
La traversée du désert, de
1969 à 1977, sera marquée par la reconquête progressive en compagnie d’un autre
homme ordinaire et d’exception : Henri Fromentin et avec l'aide d'un groupe formidable, le Comité d'Action de gauche. Ernest et Henri, deux
personnalités exceptionnelles, à la fois si différentes et si proches, si
attachantes. La victoire absolue de la liste d’Action de gauche en cette année
1977 sera synonyme de gestion à vocation autogestionnaire. Rendre le pouvoir au
citoyen, Information, participation, contrôle, développement des services
publics, création de la régie transports, urbanisme à visage humain, service
famille…autant de slogans transformés en actions avec des commissions
plénières, des réunions extra-municipales, la rédaction d’un livre par
Christophe Wargny (1) le tout étant soldé par l’erreur formelle des rues
piétonnes du centre ville encore en chantier lors de la campagne électorale de
1983, ce dont profita Odile Proust et ses colistiers.
Mais Ernest Martin c’était
aussi la lutte implacable contre l’alcoolisme et les addictions, le centre de
planification des naissances devenu le centre d’orthogénie où l’interruption
volontaire de grossesse fut pratiquée au lendemain de la loi Veil. Ernest
c’était la naissance non violente avec une préparation des couples à
l’accouchement dont il reste à tous les parents (dont je suis) des souvenirs
émus, passionnels. Ernest c’était aussi le droit au beau avec une volonté
culturelle élevée, l’absolue certitude que l’éducation passe aussi par un accès
direct à la culture sous toutes ses formes : cinéma, musique, expositions,
sans oublier la peinture qu’il favorisa avec les ateliers d’expression libre
permettant aux plus jeunes d’exprimer leur moi profond.
Ernest, encore, c’était le
médecin des pauvres, des marginaux, des paumés. Il était capable d’une grande
écoute et doté d’une faculté de réassurance absolument colossale, un mot qu’il
affectionnait avec d’autres mots très beaux comme amour, amitié, tendresse, si
bien que ses patients se sentaient considérés et déjà guéris.
Les Lovériens, en perdant
Ernest Martin, perdent gros. Ils perdent leur ancien maire mais nous, nous
perdons un ami, même plus qu’un ami. Une présence qui ne s’effacera jamais.
(1) Christophe Wargny :
« Louviers sur la route de l’autogestion ». Editions Syros.
PS : Le quotidien Paris-Normandie publie un long article, ce lundi 27 janvier et consacré à Ernest. Il est écrit que j'aurais été « secrétaire général de la mairie ». Ce n'est pas exact. J'ai effectivement servi Ernest Martin aux côtés de Paul Astégiani, secrétaire général. J'étais rédacteur faisant fonction d'adjoint au secrétaire général.
PS : Le quotidien Paris-Normandie publie un long article, ce lundi 27 janvier et consacré à Ernest. Il est écrit que j'aurais été « secrétaire général de la mairie ». Ce n'est pas exact. J'ai effectivement servi Ernest Martin aux côtés de Paul Astégiani, secrétaire général. J'étais rédacteur faisant fonction d'adjoint au secrétaire général.
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