« Madame la garde des Sceaux,
Comme vous le savez, la Cour européenne
des droits de l’Homme, dans un arrêt du 18 avril 2013, devenu définitif le 18
juillet 2013 (affaire « M. K. c France », requête n°19522/09), a jugé
que la France avait commis une violation de l’article 8 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, aux termes
duquel « Toute personne a droit au respect de la vie privée », à
propos du Fichier automatisé des empreintes digitales (Faed).
Selon la Cour, la France a « outrepassé
sa marge d’appréciation en la matière », tant en ce qui concerne l’arbitraire
du fichage que la durée de conservation des données. En effet, la Cour a estimé
que « le régime de conservation, dans le fichier litigieux, des empreintes
digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais
non condamnées, tel qu’il a été appliqué au requérant en l’espèce, ne [traduit]
pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents
en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte
disproportionnée au droit du requérant, au respect de sa vie privée, et
ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ».
L’arrêt précité a une portée qui dépasse
ce fichier pour s’appliquer aux données enregistrées dans tous les fichiers
posant des problèmes similaires, en particulier le Fichier national automatisé
des empreintes génétiques (Fnaeg), auxquels devraient être appliqués les mêmes
principes de proportionnalité, de pertinence, de non-excessivité et non-stigmatisation.
Ainsi que la Cour le rappelle, de manière générale « le droit interne doit
notamment assurer que ces données soient pertinentes et non excessives
par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles
soient conservées sous une forme permettant l’identification des
personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire
aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Il doit aussi contenir
les garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère
personnel enregistrées ».
L’article 46.1 de la Convention
stipule que les Etats s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la
Cour, dans les litiges auxquels ils sont parties. Par conséquent, l’Etat français
doit mettre à exécution la décision de condamnation et entreprendre la
modification du droit applicable non seulement pour le Faed, mais aussi le
Fnaeg, qui est soumis à un régime juridique similaire.
LDH ‐ 138, rue Marcadet 75018 Paris – www.ldh‐france.org – ldh@ldh‐france.org – Tél. : + (33) 01 56 55 51 00 –
Fax : + (33) 01 42 55 51 21
Une exécution pertinente de l’arrêt
conduit, par conséquent, à établir des critères stricts concernant l’enregistrement
des données personnelles du Fnaeg. Initialement mis en place pour les délinquants
auteurs de crimes sexuels, il concerne, après de multiples extensions législatives,
presque toutes les infractions, mêmes mineures. Mais il y a plus. C’est l’expression
même « personnes susceptibles de », qui autorise le fichage de personnes
n’ayant commis aucune infraction et qui sont donc présumées innocentes, qu’il
convient de bannir. L’expérience a ainsi montré que figuraient indument dans ce
fichier et étaient l’objet de prélèvements génétiques (sous peine de sanctions
pénales) de nombreuses personnes. Cette extension du fichage entraîne un risque
de stigmatisation de personnes n’ayant commis aucune infraction, mises alors
sur le même plan que des délinquants sexuels, ce que condamne la Cour.
La durée de conservation des données
en cas de condamnation des personnes mineures, qui est excessive, devra par
ailleurs également être réduite à une durée pertinente. Enfin, le nouveau droit
devra nécessairement faire figurer l’obligation de suppression de plein droit des
enregistrements au Faed et au Fnaeg en cas de relaxe, d’acquittement, de
classement sans suite ou autres abandons de poursuites.
Aussi, les organisations signataires
vous demandent de bien vouloir tenir compte de la jurisprudence précitée de la
Cour européenne des droits de l’Homme et, en conséquence, de modifier les lois
et règlements régissant tant le Faed que le Fnaeg, dans les sens sus-indiqués.
Nous vous prions d’agréer, madame la
garde de Sceaux, l’expression de nos cordiales salutations. »
Pierre Tartakowsky, Président
de la Ligue des droits de l’Homme ; Jean-Jacques Gandini, Président du
Syndicat des avocats de France ; Françoise Martres, Présidente du Syndicat
de la magistrature ; Geneviève Vidal ; Présidente du Creis Terminal ;
Daniel Naulleau, Vice-président du Cecil.
Copie à monsieur Manuel Valls,
ministre de l’Intérieur.
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