Stéphane Hessel. Capture d'écran JCH |
Marc-Antoine Jamet m'a adressé ce texte que je publie avec plaisir :
« Stéphane Hessel était un
militant. Etre né en 17 à Berlin, le Berlin de Spartakus, celui de Rosa
Luxemburg et Karl Liebknecht assassinés et martyrs, prédestine. Il n’en tirait
pas seulement un état-civil des plus romantiques. Il en reçut la conscience du
siècle. Le retentissement de 14. Le tremblement de 17. La peur de 33. Le
courage de 40. La douleur de 44. L’idéal de 46. Un siècle qu’il a traversé avec
la même élégance, la même politesse, le même sourire, mais aussi la même
malice, les mêmes clins d’œil et, dès qu’elle était nécessaire, la même
impertinence. Témoin vivant d’une œuvre romanesque, il avait grandi sous le
signe de la tolérance. Son enfance peu conventionnelle et libertaire auprès de Jules
et Jim avait forgé son caractère épris de liberté, d’indulgence et de
bienveillance.
Stéphane Hessel a toujours servi
la France et ses valeurs, la paix et ses outils. Chaillot, Genève, New York :
s’il était un soldat c’est celui des Droits de l’Homme, s’il était un serviteur
c’était celui de René Cassin. Deux fois normalien et lauréat du Quai d’Orsay,
il était, pour la Gauche, notre Romain Gary. Ils partageaient la Résistance, l’aviation,
la diplomatie. La même fougue. Le même amour absolu d’une France qui ne les
avait pas vu naître et qu’ils chérissaient. Mais il y avait davantage d’espoir chez
Hessel ! L’espoir qui était son secret et son message. L’espoir qui fait rester
éternellement jeune. L’espoir qui, même à 95 ans, fait ne jamais cesser de s’engager.
Pour l’Europe, notamment, dont sa vie incarnait le combat.
Les socialistes ont perdu aujourd’hui
un grand camarade. Un camarade d’idéal. Pour les 30 ans du 10 mai 1981, le
hasard alphabétique nous avait fait signer ensemble, côte-à-côte parmi
cinquante autres noms publiés dans le journal « Libération », à
l’invitation de Paul Quilès, un appel au rassemblement des forces de la Gauche
et de l’écologie. Un an avant le combat de 2012 — François Mitterrand qui l’avait
fait ambassadeur de France ne lui était ni étranger ni inconnu — il passait ses
consignes. Et il a poursuivi. Nous l’avions beaucoup vu lors de la campagne présidentielle
entourer et accompagner François Hollande, du meeting d’investiture du candidat
par les socialistes – c’était à la Halle Freyssinet – à la cérémonie de l’Hôtel
de Ville de Paris. Autant que les larmes de Pierre Mendès France dont il était
l’ami, le jour de l’entrée en fonction du nouveau Président élu, 31 ans après,
son émotion était humaine. Ce grand personnage ne se contentait pas de vivre
les moments d’Histoire, il surprenait toujours, sans nostalgie, avec exigence,
par sa modernité. Lors de notre dernier Congrès, Stéphane Hessel fut l’inspirateur
d’une motion dont le titre lui ressemblait : « Oser. Plus loin, plus
vite ! ». Les Congrès sont parfois un exercice prisé des jeunes
loups. A 94 ans, il avait porté ses idées sur la tribune de Toulouse et
rassemblé autour d’elles un nombre de voix qui avait créé la seule surprise d’un
scrutin de lendemain de victoire présidentielle. Chapeau pour cette noblesse et
ce panache.
Aujourd’hui, aucun Français,
aucun citoyen européen, partageant la même tristesse, n’est pourtant orphelin
de Stéphane Hessel. En 2010, en quelques pages, en quelques mots et trois
euros, il nous avait à tous légué son testament. Les socialistes, qui l’ont lu
et l’ont retenu, qui étaient venus l’écouter dans l’Eure il y a quelques années
à Val-de-Reuil, rendent hommage à sa mémoire. Comptez sur eux pour transmettre
le flambeau. »
Marc-Antoine Jamet
Premier secrétaire de la fédération de l'Eure du PS
La Ligue des droits de l'homme a publié ce texte à la mi-journée :
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Marc-Antoine Jamet
Premier secrétaire de la fédération de l'Eure du PS
La Ligue des droits de l'homme a publié ce texte à la mi-journée :
Pourrions-nous croire à sa mort, après
quatre-vingt-quinze années d’une vie plus riche qu’un roman ? Commencée dans
deux patries successives, elle s'est poursuivie au milieu de la poésie, du surréalisme
et d’une profonde culture humaniste et européenne. Puis ce fut la Résistance,
Buchenwald, d’où il réchappe quasi miraculeusement, et la France libre.
Ensuite, après le compagnonnage avec Mendès France à Londres, Stéphane Hessel
est à l'ONU, avec René Cassin, pour la préparation de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme. La suite, c'est son combat inlassable pour
la conquête de tous les droits, pour tous et partout.
S'il fut un diplomate reconnu jusqu’à
devenir ambassadeur de France, c'était aussi un homme alliant l’esprit de résistance
et la volonté de construire « un monde solidaire et organisé », « une
structure de l’économie mondiale plus équitable ». Donc à la fois le
club Jean-Moulin, il y a cinquante ans, pour penser « une République
moderne », mais aussi en 1997, le Collège des médiateurs pour la régularisation
des sans-papiers ; le refus de la colonisation des territoires
palestiniens, qui lui valu d’être traité d’antisémite, lui, le survivant des
camps, par ceux que leur bêtise et leur haine aveuglent ; et encore, après
la honte du « ministère de l’Identité nationale », la fondation de
Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, et
le rendez-vous du printemps, chaque année, aux Glières.
Lui-même l’a toujours répété, le fil
conducteur de ce parcours fascinant, c’est son « investissement dans
les droits de l’Homme » : « l’opposé de ce qui avait
failli me faire mourir », mais aussi « le fil conducteur d’une
histoire qui a un sens et qui donne de plus en plus de responsabilité et de
liberté aux individus ». Son autobiographie, il l’avait appelée Danse
avec le siècle, parce qu’« à force de déséquilibres, l’histoire est
susceptible de produire des équilibres plus riches ». Et pour
construire ces nouveaux équilibres, regrettant trop souvent chez les hommes
politiques « le manque de courage, le désir de flatter l’électorat plutôt
que d’aller de l’avant », il appelait à « ne pas compter seulement
sur les gouvernements pour poursuivre les objectifs auxquels nous tenons »,
à miser, comme il l’a fait si intensément, sur « la mobilisation de la
société civile ». Comme nous.
Laissons-lui la parole une fois encore.
Voici la conclusion du chapitre qu’il avait donné à L’état des droits en
France, publié en 2012 par la Ligue des droits de l’Homme : « secouer
la chape de plomb du pessimisme, du défaitisme et du déclinisme »,
retrouver « la capacité non seulement de s'indigner, mais encore d'espérer
et d'entreprendre. Proposer, rassembler, agir pour construire d'autres rapports
de forces que ceux de la domination oligarchique ; ne plus déléguer le
choix de notre avenir à un « sauveur suprême » ou à des experts
porteurs d'une prétendue rationalité fauteuse de crises ; dépasser les
mirages de l'individuation et de la marchandisation en retrouvant le chemin de
la solidarité, en « reconsidérant la richesse » pour remettre
la valeur à l'endroit ; se rappeler que ce sont les Hommes qui font
l'histoire, qu'aucune fatalité n'oblige à ce que l'humanité, dont les capacités
augmentent sans cesse, subisse la régression de ses droits et de ses acquis au
point de perdre espoir en l'avenir. Car si nous le pouvons, si nous le voulons
vraiment, cet avenir est entre nos mains à tous. »
La Ligue des droits de l’Homme est fière d’avoir
cheminé avec Stéphane Hessel. Elle est triste de l’entendre encore réciter
Apollinaire : « J’ai cueilli ce brin de bruyère, L’automne est
morte, souviens-t’en, Nous ne nous verrons plus sur terre », mais elle
se rappelle qu’il chérissait aussi Hölderlin : « Là où croît le
danger, croît aussi ce qui sauve. »
« Ce qui sauve », il l’a porté,
il nous le lègue. Faisons-le vivre.
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