« Des économistes appellent à voter pour Nicolas
Sarkozy ».
C’est le titre d’un court article publié dans Les Échos et dont voici le contenu. « Vingt économistes, dont
Philippe Trainar, Philippe Chalmin,
Éric Chanay, Bernard Belloc, Philippe Mongin, etc. publient une tribune en
faveur de Nicolas Sarkozy dans Le Monde du Jeudi 3 mai. Une initiative qui survient après la tribune publiée précédemment
en faveur de François Hollande par 42 économistes. Depuis cinq ans, « la
réforme a cessé d'être un slogan vide », écrivent-ils pour justifier leur
soutien au président actuel, et « la France de 2012 est beaucoup mieux
adaptée que celle de 2007 aux exigences de la construction européenne et de la
mondialisation ». Pour le prochain quinquennat, ils jugent le candidat de
l'UMP plus apte à poursuivre les « réformes pour respecter la discipline de
l'euro et affronter la concurrence mondiale » et saluent sa volonté de
réduire le poids des dépenses publiques ».
Arrêtons-nous sur l’un d’entre eux parmi les plus
médiatiques : Philippe Chalmin.
Économiste néoclassique, euphémisme pour dire qu’il est ultralibéral, c’est un
spécialiste du marché mondial des matières premières. Consultant auprès de la
Banque mondiale et membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier
ministre en 2006, professeur à l’université Paris-Dauphine, il est de surcroît
un lobbyiste pro-nucléaire très actif. C’est dans ce contexte qu’il nous a été
donné de le rencontrer. En juin 2011, il était l’un des deux spécialistes, invités
par une banque mutualiste soucieuse comme elles le sont toutes à présent de
développement durable, banque qui a fait du vert sa couleur emblématique.
C’était à l’occasion d’une conférence-débat dont le sujet était : « Quelles
énergies pour demain ? Et quels bouleversements pour notre
société ? ». Le second était Jacques Foos, professeur
honoraire au CNAM, titulaire de la chaire de « rayonnements, isotopes et
applications », qui, à ce poste, a formé des centaines d’ingénieurs
œuvrant dans le domaine du nucléaire. Voici, sous forme d’extrait, les
observations que leur intervention nous inspira. Elles furent consignées dans
le compte-rendu détaillé que nous fîmes de cette conférence-débat et que nous
n’avons à ce jour jamais publié. Mais puisque Philippe Chalmin nous fournit la
raison d’en parler, pourquoi s’en priver ?
« Le seul énoncé de leurs titres me fit présager la
teneur des propos que j’allais par la suite entendre. Nous étions juste trois
mois après la catastrophe de Fukushima. Au-delà du contenu de leur discours sur
lequel nous reviendrons, des constats qu’ils ont posés et des arguments qu’ils
ont développés, trois points précis m’ont interpellé sur lesquels je voudrais
d’abord faire quelques observations.
- Le premier, c’est la prétention
affirmée de Jacques Foos dont toute la vie a été vouée au nucléaire – ce qui
est éminemment respectable et dont nous ne saurions lui faire grief –, à se
présenter en tant qu’expert de la question de l’énergie nucléaire, comme un
esprit indépendant, c’est-à-dire à ne pas assumer sa position partisane à
l’égard de cette industrie, au demeurant parfaitement compréhensible. Cet homme
avance donc masqué. De ce point de vue, les choses ont été plus claires avec
Philippe Chalmin qui lui, a ouvertement affiché ses positions ultralibérales.
- Le second, ce sont les certitudes
dans lesquelles ces belles personnes sont murées. Toute leur réflexion
prospective est basée sur la prise en compte d’un système qui est et ne peut
être de tous temps, selon eux, que le prolongement du modèle économique libéral
actuel. Ce modèle qui entend soutenir une croissance infinie dans un monde
fini, et qui, pour cette raison, exige un développement exponentiel des besoins
en énergie. C’est pourquoi il est, pour l’un et l’autre, totalement impossible
de se passer du nucléaire dans l’avenir. Mais c’est aussi la foi aveugle et
inébranlable qu’ont ces beaux esprits dans le progrès scientifique et
technologique. Car, dans le brouillard où nous nous trouvons toutes et tous et
la difficulté de faire des prévisions à un demi-siècle, toutes choses qui
devraient nous rendre modestes, prudents et ouverts à la discussion, nos
interrogations ne sont pour eux que peurs irraisonnées de petites gens. Comme
fut la peur de l’an mil en quelque sorte. Pour l’un comme pour l’autre, la
science et la technologie auront de toute façon d’ici là résolu tous les
problèmes auxquels nous nous heurtons aujourd’hui. L’envolée lyrique de
Philippe Chalmin, à un moment de son exposé, dans son credo selon lequel « l’homme a été créé pour dominer la
nature et il en sera toujours ainsi » – vous lisez bien ! – fait
froid dans le dos. Où sont à ce moment précis, les idéologues et les
irresponsables ?
- Le troisième enfin, c’est que j’ai
toujours été étonné que des gens intelligents et brillants comme ils le sont
tous deux, éprouvent cependant la nécessité de traiter avec arrogance,
suffisance et mépris – derrière lesquels chez Philippe Chalmin affleure assez
souvent la haine –, tout ce qui n’est pas dans leur ligne de pensée et toutes
celles et ceux qui d’une façon ou d’une autre s’opposent à leur vérité posée
comme un dogme : qu’ils soient scientifiques, intellectuels, écologistes,
altermondialistes, partis politiques, etc. Ces gens, conscients d’appartenir à
l’élite, ont de toute évidence une aversion pour la démocratie et un mépris
sidérant autant pour « les politiques » quels qu’ils soient – de
gauche n’en parlons même pas, mais aussi de droite –, que pour le peuple. Et
dans le mépris qu’ils dispensent avec force générosité, le ridicule est très
souvent leur arme préférée. Faire passer toutes celles et ceux qui ne pensent
pas comme vous pour des archaïques, des attardés, des demeurés, des imbéciles
ou des bornés, cela ne vous rappelle t-il pas quelqu’un de notre petit univers
lovérien ? Et lorsqu’on croit pouvoir prendre le public à témoin et lui
dire cela sur le ton de la confidence complice – sous-entendu, voyez, nous
sommes du même monde –, quel plaisir exquis ! »
Revenons maintenant à la prestation de Philippe Chalmin. Il se présenta, faussement modeste, comme un économiste n’y connaissant rien à la technique et pour laquelle il se reposait entièrement sur le savoir des scientifiques. Il commença tout d’abord, et pour faire bonne mesure, par fustiger le comportement des politiques. Il stigmatisa leur lâcheté après le drame de Fukushima pour la reculade de beaucoup sur la question du nucléaire. D’une phrase, il exécuta ensuite les « quelques agriculteurs attardés vaguement écologistes qui s’en prennent en France aux gaz de schiste comme ils s’en prenaient hier aux OGM ». Le ton était donné. Le nom de José Bové fut même prononcé comme s’il s’agissait du diable en personne. L’auditoire en frémit.
Il constata, et c’est le moins qu’on puisse faire, qu’à la
question environnementale s’est ajoutée la contrainte climatique. Il brossa
d’abord un état très complet et quantifié des ressources énergétiques et la
part qu’elles ont dans le monde. 85% sont d’origine fossile contre seulement 6%
d’origine nucléaire, 3% d’origine hydraulique et enfin 6% sont des énergies
renouvelables. Toujours selon lui, nous en sommes aujourd’hui au 3ème
choc pétrolier doublé d’une crise de l’énergie et des matières premières. On
peut retrouver ses propos dans les différentes chroniques dont il abreuve les
médias : il nie totalement le rôle qu’a joué la spéculation dans cette
dernière crise, et ses responsabilités. « Les
marchés ont toujours raison », ne cesse t-il d’affirmer partout.
Contrairement à ces hurluberlus d’« Albert
Jacquard et de Nicolas Hulot qui voudraient – horreur absolue –, la décroissance ». Quelques mots,
point trop n’en faut, sur les économies d’énergies réalisables. Cependant, nous
devons, nous les consommateurs, « payer
le prix de la rareté et de la saleté ». Voilà la réalité. Pas un mot
en revanche des profits record de Total, pour ne citer qu’eux.
Il parlera ensuite d’un de ses thèmes favoris : « la malédiction du pétrole »,
cette manne qui rendrait fous les peuples et ne provoquerait partout que souffrance
et misère. Pour l’exemple, il mettra d’une phrase dans le même sac le libyen
Kadhafi et le vénézuélien Chavez. Il omettra simplement d’expliquer pourquoi
les ressources naturelles des pays en voie de développement, objets de toutes
les convoitises, portent les guerres comme la nuée porte l’orage. Il ne dira évidemment
pas comment les conflits sont la plupart du temps générés et entretenus par les
pays occidentaux, impérialistes ou néo-colonialistes, leur permettant ainsi
d’affaiblir les populations et de s’assurer le contrôle de leurs richesses.
Quand il ne s’agit pas de maintenir au pouvoir un dictateur sanguinaire,
oppresseur de son peuple et corrompu, pour les mêmes raisons.
Il reconnaîtra aussi « la saleté que sont les schistes bitumineux ». « Les éoliennes, c’est
moche ! » affirmera t-il. C’est un peu court. La biomasse, c’est
une piste intéressante à suivre. Pensez-donc ! Sur les 4 milliards de
tonnes de déchets que produisent chaque année nos sociétés avancées, seul un
milliard de tonnes est recyclé. L’or est dans nos poubelles. À Louviers, nous
sommes bien placés pour savoir que certains l’ont déjà fort bien compris. Mais
toutefois, il placera ses plus grands espoirs pour l’avenir dans les gaz de
schiste qui devraient selon lui assurer à la France 60 ans d’indépendance
énergétique. « Nous allons vivre un
âge d’or du gaz naturel. Nous serions donc fous de nous en priver ».
Et d’expliquer sommairement à l’auditoire ainsi rassuré ce qu’est réellement la
technique de la fracturation hydraulique « qui
– n’ayons aucune crainte –, sera strictement encadrée ». Il passera
cependant soigneusement sous silence le cocktail nécessaire des quelques 500 ou
600 produits chimiques dangereux qu’il faut incorporer à l’eau injectée et qui
constituent ensuite des boues hautement toxiques dont on ne sait que faire pour
les éliminer. Il ne dira évidemment pas mot non plus des raisons qui poussèrent
le gouvernement, préalablement au décret autorisant la prospection et
distribuant les concessions - signé en catimini par le ministre Borloo juste
avant son départ -, et sur le conseil avisé du tout puissant corps des
ingénieurs des mines, les « spécialistes », à modifier le code minier
afin de s’affranchir des enquêtes d’utilité publique et autres études d’impact,
procédures d’un autre âge.
En conclusion, dira Philippe Chalmin, « il nous faut tous sortir de ces raisonnements primaires qui
appartiennent aux anti-nucléaires, aux anti-gaz de schiste, aux anti-OGM. Ces
gens là ne font ni plus ni moins que poursuivre le rêve fou des
alchimistes ». À Louviers, nous savons pourtant que Veolia, au terme
d’une savante alchimie, parvient à transformer l’eau en or. Je n’ai pas encore
entendu dire qu’ils étaient des rêveurs fous.
À l’aide de ce seul exemple, on pourra se faire une idée plus
précise de la personnalité de ces économistes qui appellent à voter pour
Nicolas Sarkozy, et plus concrètement pourquoi ils le soutiennent. Pour ce qui
est de Philippe Chalmin, on observera en outre la contradiction entre le
discours aux accents populistes, distribuant avec générosité force mépris pour
les hommes politiques, et l’action qui le conduit à soutenir publiquement la
candidature du président sortant. Si, à gauche, beaucoup doutent aujourd’hui de
la nécessité de recourir à la lutte des classes, en revanche, à droite, la
solidarité de classe est une constante jamais démentie.
Reynald Harlaut
Parti de Gauche, membre du Front de Gauche
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