Une des premières mesures que devrait prendre un véritable
gouvernement de gauche à son arrivée au pouvoir serait d’interdire, dans tous
les médias publics généralistes, la diffusion horaire des bulletins de la Bourse.
Ce serait-là, avec la confiscation de TF1 (1), une des premières mesures de
salubrité publique.
La production, heure après heure, des cours de la Bourse,
contribue largement à entretenir un stress collectif. Comme si nos vies, nos
bonheurs comme nos malheurs, étaient suspendus à l’appréciation ou à la dépréciation
du cours de l’action de telle ou telle société du CAC 40. Ou encore de l’indice
de telle ou telle université privée américaine basé sur la confiance qu’aurait dans
sa cuisine je ne sais quelle ménagère de moins de cinquante ans au fins fonds
de je ne sais quel État.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment a-t-on pu accepter
que le capitalisme financier procède à une telle effraction quotidienne et permanente
et parvienne ainsi à nous aliéner ? Comment peut-on tolérer cette
dictature permanente des marchés ?
On nous objectera qu’il en est ainsi parce que nous sommes
dans un monde en compétition, et que, puisque les États-Unis sont en cela ceux
qui montrent le chemin, nous ne pouvons faire autrement qu’eux. Parce qu’ils
ont adopté pour leurs retraites, le système des fonds de pension, c’est à eux qu’importe
tant d’être rassurés, heure après heure, pour savoir si le mois ou l’an
prochain, leur retraite leur sera versée. Rappelons-nous au passage qu’il était,
en 2007, dans les projets de Nicolas Sarkozy, d’en finir avec notre système de
retraite par répartition. La faillite de Lehman Brothers, en 2008, et la ruine
de milliers de pensionnés ont permis de mettre en lumière la précarité et la cruauté
de ce système. Il n’y a cependant pas renoncé pour autant.
Ce système est absurde. Car ces fonds de pension, présents
dans le capital de la plupart des entreprises n’ont d’autre finalité que de
tirer de ces mêmes entreprises un profit maximum. Quitte à les saigner à mort.
Qu’importe, elles iront ensuite ailleurs pour chercher d’autres proies.
Dès lors, il devient évident que les stratégies des
industriels et celles des fonds de pension sont totalement incompatibles. Pour
se développer, une entreprise a besoin de stabilité, de temps. Elle a besoin d’investir
à moyen et à long terme, dans la recherche, dans les machines, dans les hommes
afin de constituer des équipes solides et efficaces. Toutes choses que lui
interdisent la vision exclusivement court-termiste des fonds de pension. Ils
exigent en permanence des prévisions au jour le jour, des annonces de résultats
tous les trois mois, des rendements financiers annuels qui en une quinzaine d’année
sont passés de 3 à 4% à 12, 15, quand ce n’est pas 20%.
Ce système des fonds de pension, intrinsèquement lié au
capitalisme financier, est une des principales causes de la destruction des
emplois industriels des pays occidentaux. On le voit clairement se manifester
dans les ignobles licenciements boursiers. C’est la forme la plus aboutie et la
plus stupide du court-termisme.
Ceci étant posé, on comprend bien qu’il serait vain d’espérer
vouloir faire changer les choses sans prendre les moyens politiques de s’affranchir
du court-termisme. Si nous voulons, comme cela est indispensable, transformer
nos modes de production et d’échange afin de prendre le virage que nous
imposent la sortie des énergies carbonées, l’arrêt du gaspillage des ressources
naturelles de la planète et le problème immense du réchauffement climatique, il
nous faut du temps pour cela. Du temps pour mettre en place ces politiques d’intérêt
général. Du temps pour que s’opère le basculement entre le système actuel de
production, basé sur l’offre, et un nouveau système basé sur la demande. Du
temps aussi pour réaliser la transition énergétique.
Au Front de Gauche. Cette politique porte un nom. Elle s’appelle
la planification écologique. Elle a vocation à organiser cette bifurcation. Seule
la puissance publique a la capacité d’orienter sur le long terme de tels choix.
Sans la planification que détestent bien entendu les libéraux, et sans le
concours de l’État – des États –, comment aurait-il été possible de construire
nos industries aéronautique, spatiale, ferroviaire, et de les hisser au premier
plan mondial ? Aucun industriel privé n’aurait jamais pris le risque de
relever un tel défi. Mais pour cela, il faut d’abord rompre avec la logique ultralibérale
court-termiste du capitalisme financiarisé. C’est à lui qu’il faut s’attaquer
en premier. Plutôt que de lui donner des gages, il faut se donner les moyens de
le combattre.
Reynald
Harlaut
(1) Billet du 1er octobre 2010, sur ce blog :
« Confisquer TF1 à Bouygues »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire