« Il est étonnant que l’association Greenpeace, considérée par tous comme le symbole de l’antinucléaire, se soit mobilisée contre la construction des réacteurs EPR en invoquant les dangers de l’EPR. En fait, ce n’est pas ça qui est étonnant, mais plutôt le fait qu’ils se mobilisent contre les EPR sans invoquer les dangers que nous font courir nos autres 58 réacteurs. Greenpeace, si friande d’actions spectaculaires n’a mené aucune action contre la construction de l’usine d’enrichissement par centrifugation Georges Besse II sur le site du Tricastin. Aucun militant n’est monté sur une grue, n’a mis de banderole. Rien, aucune action de Greenpeace contre cette usine... N’est-ce pas bizarre ?
Que signifie donc cette inaction de Greenpeace face à une usine d’enrichissement d’uranium ? Alors que la majorité des réacteurs nucléaires en service utilisent de nos jours non pas de l’uranium naturel mais des combustibles à base d’uranium enrichi.
Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde a récemment publié un entretien avec Pascal Husting, directeur général de Greenpeace France, intitulé « Mieux vaut prolonger les centrales qu’en construire de nouvelles ». L’entretien fait suite à l’article « Le nucléaire au microscope. La centrale nucléaire du Tricastin ouvre le bal du checkup décennal d’EDF ». L’objectif affiché d’EDF « parvenir en sécurité jusqu’à 60 ans d’exploitation ».
Le sujet de l’article du Monde est la durée de vie des 34 réacteurs 900 MW. Il débute par : « L’exploitation des centrales nucléaires mises en service entre 1977 et 1986 peut-elle être prolongée sans risques au-delà de trente ans ? ». C’est la question à laquelle l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) va devoir répondre à l’occasion des visites approfondies qu’elle effectuera, réacteur par réacteur, jusqu’en 2020. L’ASN a commencé ce travail en mai 2009 au Tricastin.
L’ASN a défini en 2009 les conditions d’une prolongation de 10 ans des 34 réacteurs de 900 MW. C’est sur la sûreté qu’EDF sera jugée au cours des visites décennales. La troisième visite décennale du réacteur 1 de Tricastin est terminée et celle du réacteur 1 de Fessenheim, démarrée en octobre 2009 est également terminée et l’ASN doit donner son verdict début 2011.
Sur le site de l’ASN, le directeur des centrales au sein de l’ASN, Guillaume Wack précise : « L’ASN n’a pas identifié d’éléments mettant en cause la capacité d’EDF à maîtriser la sûreté des réacteurs de 900 MW jusqu’à 40 ans ». Mais après 40 ans ?
La prolongation est donc acquise dans son ensemble mais, citant le président de l’ASN André-Claude Lacoste : « La visite décennale ce n’est que la partie émergée de l’iceberg ». Plus loin « L’ASN peut être d’accord sur une prolongation de cinq ans seulement », insiste Lacoste. L’article cite des responsables EDF qui sont très optimistes. Bernard Dupraz, directeur général adjoint chargé de la production et de l’ingénierie « Nous sommes confiants. Notre objectif est d’aller jusqu’à soixante ans sur l’ensemble du parc. On y travaille ». Optimisme aussi du patron du parc nucléaire Serge Massart « Lors des visites décennales, nous n’avons jamais eu de grosses surprises » « le parc vieillit très bien ». Pas d’incidents avec rejets radioactifs, tout va bien grâce « au retour d’expérience sur un parc de réacteurs de conception très proche et par une maintenance quotidienne, même si la CGT dénonce un relâchement des efforts ». Cet optimisme est contesté par Yves Marignac directeur de Wise-Paris : « le problème est que le retour d’expérience est proche de zéro sur une technologie née dans les années 70 ». « Aucun pays n’a développé un ensemble cohérent de critères pour définir des conditions entraînant un arrêt pour cause de vieillissement ». Voilà pour les positions des responsables de l’ASN et de EDF, mais qu’en est-il de Greenpeace ?
Dans Direct Matin, on y voit Pascal Husting au siège parisien de Greenpeace France, souriant et décontracté juste au-dessus du titre « Mieux vaut prolonger les centrales qu’en construire de nouvelles ».
A la question de Jean-Michel Bezat « Est-il dangereux de prolonger l’exploitation des centrales nucléaires au-delà de trente ans ? ». La réponse est la même que précédemment : « Une grande partie des centrales pourrait être prolongée de dix, voire vingt ans ». On éviterait ainsi de se lancer à corps perdu dans un renouvellement du parc qui compromettrait la mise en œuvre de vraie solution face au changement climatique ». Il ajoute : « Mais prolonger la vie de véritables poubelles comme la centrale de Fessenheim, dans le Haut-Rhin en Alsace, est une aberration. En France, les bénéfices opérationnels issus de cette prolongation devraient être investis exclusivement dans le changement de notre modèle de production et de consommation de l’énergie ».
Or, sur le site de Greenpeace France, pas un mot sur l’interview de Pascal Husting et sur sa prolongation de durée de vie de 10 voire 20 ans ! Donc pas un mot de condamnation. Alors qu’en 2009, Pascal Husting déclarait au contraire : « Nucléaire : rien ne peut justifier la construction de nouveaux réacteurs ou la prolongation des anciens ! ». Apparemment les contradictions ne gênent pas son auteur puisqu’il continue ainsi : « EDF voudrait par ailleurs prolonger la vie de ses centrales nucléaires de vieille génération, dont la conception date de quarante ans. L’objectif de l’opérateur français est d’en tirer encore un plus grand bénéfice pour investir dans de nouveaux réacteurs, alimentant sans fin la filière nucléaire. Ces centrales ont vieilli : elles présentent des risques de plus en plus grands et rien ne vient justifier la prolongation de leur vie ».
Le texte dit « EDF voudrait prolonger la vie de ses centrales nucléaires de vieille génération dont la conception date de 40 ans » Il y a une confusion entre « durée de vie à la conception » et « fin de vie » d’un réacteur. La durée de vie à la conception peut être de 40 ans mais si, par exemple, une fissure est détectée pouvant conduire à une rupture de cuve, le réacteur sera arrêté avec une fin de vie inférieure à 40 ans. C’est justement là qu’est le problème. La durée de vie à la conception était pour EDF de 40 ans, alors que c’est bien de durée d’exploitation, de fin de vie, qu’il est question.
On remarque alors l’ambiguïté du propos de Pascal Husting. La prolongation dont il parle concerne-t-elle la durée de fonctionnement après les 30 ans de la 3ème visite décennale ? Ou s’agit-il de la prolongation de la durée de vie à la conception, 40 ans pour EDF ? 10 ans voire 20 ans cela conduirait à 50 ans et 60 ans de durée d’exploitation en fin de vie, comme pour EDF...Pratiquement, tout ne se passe-t-il pas pour Greenpeace comme si l’accident nucléaire n’était pas ce qu’il faut éviter à tout prix bien que la prolongation soit considérée comme dangereuse ?
Comme si, malgré leurs défauts, nos réacteurs nucléaires étaient sûrs à 100% ? (à part Fessenheim, cette poubelle selon Pascal Husting) ce que démentent les incidents répertoriés sur les autres réacteurs français. Avec cette non-action contre l’usine d’enrichissement Georges Besse II tout se passe comme si les dirigeants de Greenpeace attendaient avec cette sortie du nucléaire en douceur et la maturité des énergies renouvelables, la mise en route de réacteurs de la 4ème génération...
Il est étonnant maintenant de voir que la stratégie de Greenpeace revient à admettre un nucléaire durable avec la prolongation de vie des centrales existantes et le risque d’accidents nucléaires de plus en plus grave. Raison de plus quand elles seront toutes passées dans les mains du privé. Je ne suis pas antinucléaire mais je risque de le devenir si la prolongation de vie des centrales devenait pérenne. Et Greenpeace que je considérais comme un contrepouvoir efficace du nucléaire pour la sécurité de tous ne remplit plus son rôle. Pourquoi ? »
Alain Lefeez
Les phrases citées dans cet article proviennent : du Monde, de l’ASN et de EDF. Je n’ai rien trouvé sur ce sujet sur le site de Greenpeace.
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