«Comme un grand nombre de parents, j’interdis à mes enfants, du moins aux plus jeunes (les ainés, majeurs et vaccinés, n’ayant plus vraiment l’occasion de me demander ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire), de regarder, ne fût-ce qu’une seule seconde, la crétinerie étant hautement contagieuse, Secret Story. Cette émission est, en effet, le condensé de ce que la superficialité, la stupidité, la cupidité contemporaines produisent de plus laid, de plus vil, de plus bête. En disant cela, je ne fais pas injure à ses promoteurs-producteurs puisque c’est précisément leur but et qu’ils s’en cachent à peine. Etaler le sadisme ou la médiocrité, partie intégrante et très équitablement répartie de la condition humaine, est leur propos. Pas d’exemplarité par le mérite et l’excellence. De la consolation par la contemplation de plus nul, de plus rapace, de plus cynique que soi. C’est la rédemption qu’ils nous offrent et c’est ce que nous en attendons. Ils y consacrent beaucoup d’argent et un peu de talent. On ne peut leur reprocher ni ruse, ni dissimulation.
Entre « Le maillon faible », « confessions intimes » et « Koh-Lantah», qui n’aurait pas déplu à Leni Rieffenstal, le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’avancent pas masqués. A ce que l’on cachait ou taisait autrefois, dans les familles, dans les villages, on donne désormais la plus grande publicité. Manifestation d’une société sans tabous, marche forcée vers la sincérité, assureront les exhibitionnistes. Grand bond en arrière de la civilisation, triomphe de la brutalité, s’inquièteront les pudibonds. Sans doute existait-il une voie moyenne entre les intégristes de la transparence à tout prix et les réactionnaires de l’obscurité à tout crin. Quoi qu’il en soit, tout ce que notre monde peut compter de dérives, de dérapages ou de défauts se retrouve étalé ici avec complaisance dans cet égout à indécence ouverte, ce cloaqua mediatica : individualisme forcené, goût du paraître, idolâtrie de l’argent, négation de la culture, recours à la tricherie, omniprésence du mensonge, interdiction de vieillir, incapacité à parler si ce n’est correctement, du moins normalement, fugacité des engagements collectifs ou personnels, j’en passe et des bien pires.
Cent fois plus que la nudité qui a inspiré quelques peintres et sculpteurs, Antiquité, Renaissance, Grand Siècle confondus, cette vulgarité sans nom est, à l’égal de la violence, la véritable obscénité des temps modernes. Face à cette déferlante abrutissante, il existe une arme de destruction massive : la possibilité d’éteindre son écran. Nonce Paolini, Christophe Dechavanne et Nikos Alliagos n’ont jamais obligé personne, par la menace, à regarder leurs programmes, pas plus qu’on ne les contraint, par représailles, à regarder Arte en boucle et en allemand. Cela s’appelle la liberté.
Comme tous les parents, il m’arrive pourtant de craquer et de regarder, à mon tour, fasciné, ce zoo humain ou une douzaine d’individus se sont enfermés sans y avoir été obligés autrement que par l’appât du gain. Je me contente alors, pour gâcher le plaisir de mes filles, de commenter au fil des situations, je n’ose dire des dialogues, la place étrange que cette émission attribue aux femmes, la caricature qu’elle présente de l’homosexualité, l’indifférence à la souffrance, à la peine, au chagrin qu’elle démontre quotidiennement, la mise-en-scène des sentiments privés, la prépondérance des muscles sur le cerveau, la surenchère de sueur et de chair exposées, bref tout ce qui, globalement, caractérise la petite troupe des héritiers de Loanna acharnés à déballer leur misérable petit tas de secrets, en direct, devant des millions de voyeurs consentants.
Sur ma lancée, pour couvrir le timbre de Benjamin Castaldi que seule la vénération qu’il manifeste pour sa grand-mère, Simone Signoret, empêche d’exécrer, je tente de dénoncer auprès de mes cadettes la substitution aux deux ou trois sujets qui me paraissent, probablement à tort, préoccupants ou prioritaires (la faim dans le monde, le réchauffement climatique, la dissémination nucléaire…) les soi-disant enjeux de notre temps (doit-on recourir à la chirurgie plastique, pourquoi faut-il avoir une Rolex avant cinquante ans, comment changer la sonnerie d’un téléphone portable) que TF1, la chaine de Bouygues et du Gouvernement, met en avant, non pas à titre de divertissement, mais pour occuper l’essentiel de notre réflexion, de notre conscience, de notre temps. Du pain et des jeux pour calmer le mécontentement, quand tout va mal, l’emploi, la croissance, le moral, la recette n’est pas nouvelle ! La religion n’est plus l’opium du peuple, c’est la télévision. C’est un lieu commun que même la « voix », le big brother sonore qui règne sur cette maison de lobotomisés volontaires, pourrait sentencieusement énoncer et, pourquoi pas, proposer, entre deux mojitos bien tassés, comme débat aux séquestrés daltoniens dont nous suivons les ébats. C’est l’unique petit marché de dupes que je reproche à cet abêtissement vespéral : secret story est de l’ecstasy pour amnésie. Nous sommes Ulysse. Ce sont les lotophages !
Là s’arrête d’ordinaire ma colère et mon indignation. Elle a pourtant franchi un nouveau palier ce mois-ci. Deux protagonistes de ce reality-show, qui, pour être chaud, n’a pas grand-chose à voir avec la réalité, ont décidé que, bien que la terre compte sept milliards d’êtres humains, c’est dans l’intimité de ce huis-clos qu’ils ont trouvé leur moitié d’orange, leur moitié d’orage, bref l’âme sœur, le grand amour, le seul, le vrai. On peut en douter. On peut y croire. Ce n’est pas le sujet. Chacun fait comme il veut et si leurs amours n’ont pas choisi d’être intellectuelles, elles seront peut-être pour cela éternelles. En la matière, il n’est guère de certitudes ou de règles universelles. Entre Ferry et Bruckner, je ne choisis pas. Les tourtereaux, Monsieur Senna, Mademoiselle Amélie, c’est leur nom de guerre ou de scène, peut-être même celui qu’ils portent à la ville, procèdent donc "live" aux différentes formalités qui accompagnent une affinité élective et que recouvre l’expression « sortir ensemble » qu’à part deux ou trois anachorètes plus personne ne réduit au fait de franchir d’un même pas une même porte. Fort bien !
Mais soudain germe dans l’esprit des scénaristes du feuilletons une idée géniale : Marrions-les. C’est ainsi que, non seulement père de famille, mais aussi Maire d’une Ville, j’ai pu voir une parodie grotesque, une simili cérémonie, une union pour de rire qui rassemblait comédiens, figurants rémunérés et parents médusés. Moi qui rappelle chaque samedi à des fiancés pressés de courir à l’église, à la synagogue, à la mosquée que le prêtre, le rabbin ou l’imam devra attendre que l’officier d’Etat-civil les aient unis « au nom de la Loi », qu’on s’épouse en Mairie et non au bord de sa piscine, au bled ou à Disneyland par simple souci d’égalité, que je ne dirai pas « que celui qui s’oppose à ce mariage parle maintenant ou bien qu’il se taise à jamais » comme dans une pompeuse série américaine, mais plutôt que « les époux se doivent mutuellement respect, secours, fidélité et assistance » selon notre modeste et anciennement napoléonien code civil, que la figure de Marianne, le portrait du Président de la République, la porte ouverte de la salle du Conseil Municipal, la présence des témoins, les signatures sur le registre sont les preuves du passage de sentiments privés qui ne concernent que deux personnes à un engagement public qui intéresse, par ses conséquences familiales et sociales, la Nation, que mon refus de laisser une mariée voilée, les téléphones portables allumés, les amis footballeurs ou pompiers composer une haie d’honneur, souvent tonitruante, parfois éméchée, n’est pas du pointillisme, mais permet d’attacher à cette cérémonie républicaine le respect qui doit l’entourer ! Si une telle mascarade est permise, ce n’est pas la morale et les pères la pudeur qui sont ridiculisés, c’est un peu de la cohérence, de la beauté et de la crédibilité d’un acte qui se conclue déjà une fois sur deux par un divorce.
Dès lors, pourquoi condamner Act-Up pour avoir organisé un simulacre nuptial à Notre-Dame, pourquoi empêcher deux personnes de même sexe d’aller plus loin que le PACS, pourquoi interroger, par procureur interposé, l’étranger qu’on soupçonne de se marier davantage pour une carte de séjour que par amour, pourquoi aller chercher le défaut de consentement chez cet homme âgé qui convole avec une jeunesse, chez cette femme plus très jeune qui veut passer la bague au doigt d’un jouvenceau. La morale républicaine, qui plus que nos ancêtres les Gaulois, structure l’identité nationale, doit être la même pour tous. Selon un code pénal qui ne rigole pas, les « faux » mariages valent à leurs auteurs et à leurs acteurs 7500€ d’amendes et six mois d’emprisonnement. Sauf sur TF1 !»
Marc-Antoine Jamet
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