16 avril 2009

Ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe

Marc Antoine Jamet, président de l'Union des fabricants, a publié un article dans Les Echos sur la contrefaçon et Internet :

« Dans son propre intérêt, Internet ne peut pas rester un espace de droit à éclipses. S'appuyant sur des paiements électroniques pas toujours sécurisés et des transporteurs express inégalement sensibilisés, les contrefaçons se sont mises à pulluler. En changeant d'échelle, la fraude a changé de nature. Utilisant de vraies publicités, n'hésitant pas à pratiquer des prix incroyables, des plates-formes ont plus ou moins inconsciemment participé à une double escroquerie : vendre aux consommateurs une copie qui ne vaut rien, comme naguère à Vintimille ou à Canton, et leur faire croire qu'ils achètent un produit authentique. Là est le caractère vicieux du marketing du faux sur Internet, avec les dangers que l'on imagine pour la santé et la sécurité des personnes. Certaines absurdités ont permis au système de prospérer. Sur de nombreux moteurs de recherche, les « addwords » pirates et liens commerciaux frelatés apparaissent sur la même page que les adresses authentiques. Les « keys words spam » font bondir, sans retenue, hors de la clandestinité, au milieu de nos écrans, les sites Lookalike et Replica, bazars des imitations. Cela ne peut perdurer sans conduire à des catastrophes.

Pour mettre fin à cette situation, les propositions foisonnent. Mais il suffirait de quatre décisions. D'abord, la responsabilisation. Internet est le seul système où le distributeur n'est pas responsable de ce qu'il met sur le marché. On peut rapporter des tomates avariées au marchand de quatre saisons, sur le marché, à l'épicerie du coin, dans la grande surface ou à la supérette. Pas sur le Net, parce que c'est nouveau et qu'il ne faudrait pas embêter le progrès qui passe. Drôle de moralité qui ne serait fondée que sur l'ancienneté ! Le fait de toucher une commission serait considéré dans le monde « brick & mortar » comme du recel d'argent de la contrefaçon. Dans le monde virtuel, c'est une pratique quotidienne. Notations et promotions des vendeurs, publicité des adresses ou des sites, échanges financiers sont assurés dans la plus grande irresponsabilité comme s'il s'agissait d'un grand jeu de société. Les hébergeurs ont beau se proclamer simples intermédiaires, ils sont des prestataires, des courtiers parfaitement impliqués dans un processus dont ils ne sont pas les spectateurs désengagés, mais les acteurs conscients et rémunérés. Les opérateurs doivent donc respecter les lois en vigueur.

La deuxième décision devrait être de faire la différence entre ce qui est occasionnel et ce qui est commercial, ce qui est individuel et ce qui est professionnel, l'annonce sympathique passée de particulier à particulier et le discounter, le grossiste, le contrefacteur qui vide discrètement ses stocks. Trop de vendeurs d'un objet unique l'écoulent des dizaines de fois. La frontière entre business et réseau social ne se construira pas en limitant le nombre d'objets vendus par chaque internaute ni par la détermination d'un seuil de chiffre d'affaires qui définirait le vendeur professionnel. On ne définit pas un marché et ses opérateurs, et donc les règles à leur appliquer, uniquement par des seuils. La confiance ne viendra que d'une totale transparence et d'une véritable codification.

Troisième piste, la régulation. Un système de veille éclaté, difficile à mettre en place, coûteux et qui, a posteriori, ne pourra continuer éternellement. C'est aux sociétés « on line » de réaliser ce contrôle, et très largement de le financer. C'est a priori que le fournisseur d'accès, le portail, la société « on line » devra, à l'avenir vérifier l'honnêteté du vendeur et s'assurer de la régularité de son offre. Il en a les moyens techniques. Il dispose des éléments cachés (adresse physique, adresse IP, identité, compte bancaire, etc.). S'appuyant sur des « data rooms » confidentielles, permettant la coopération entre « titulaires de droit » et sociétés Internet, un filtrage par critères centralisé pourrait demain être instauré, la fin de l'anonymat des vendeurs professionnels obtenue, le délistage rapide et automatique des offres suspectes facilité, l'opacité des « pseudos » déjouée. Il est invraisemblable que l'on puisse vendre un véhicule ou un appareil électroménager en masquant sa marque ou son nom.

La quatrième décision à prendre est l'application de sanctions. Elle seule peut garantir l'application des trois conditions précédentes. Il faut parler, sans fausse honte ou pudeur déplacée, de répression. Les pistes sont nombreuses : interdiction provisoire ou définitive de vente pour l'internaute indélicat, mise à la charge de la plate-forme du coût lié à la saisie des contrefaçons, publication des condamnations en page d'accueil, insertion d'un cahier de doléances ouvert aux cyberconsommateurs sur chaque site. Un tel arsenal relève peu de la torture ou de la violence. Le mal original vient de la loi. En oubliant de créer une circonstance aggravante de cybercontrefaçon, au contraire de ce qu'il avait fait contre le négationnisme ou la pédophilie, en n'ajoutant pas le cyberdélit à la récidive et à l'action en bande organisée pour porter les condamnations de 300.000 à 500.000 euros d'amende, de trois à cinq ans d'emprisonnement, sanctions appliquées désormais à ceux qui mettent en danger la santé et la sécurité des personnes par la production ou la distribution de faux, le législateur a oublié en 2007 une partie de son ouvrage en chemin. Il lui appartient de le reprendre. Rapidement.

Ces actions ne sont ni complexes ni excessives. Elles ne nécessitent nulle expertise. Elles exigent simplement de tous les acteurs concernés le sens des valeurs et des responsabilités. Elles demandent de préférer la clarté à l'obscurité, la protection sans exception des consommateurs à la promotion sans discernement des cyberentrepreneurs, les stratégies coopératives au rapport de force qui, s'il est maintenu par les intégristes numériques, finira hélas à la barre des tribunaux.

Quand, il n'y aura plus rien à vendre ni à acheter, que la loi de l'offre et de la demande aura été remplacée par celle du clic et du troc, il n'y aura plus d'économie classique, c'est vrai, mais il n'y aura plus non plus d'économie numérique. Pour définir une stratégie d'avenir et envisager le commerce de demain, sans copies, ni faux, ni imitations ou contrefaçons, il faut « ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe », lever le nez de son clavier, s'apercevoir qu'un système a disjoncté et prendre la peine, lorsqu'il en est encore temps, de le réformer. Ainsi agiraient les véritables partisans de l'Internet. »

Marc-Antoine Jamet, président de l'Union des fabricants.



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