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Xavier Beauvois a signé
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Les comités contre le projet « Hommage aux héros »
adressent une lettre ouverte à Hervé Morin, président de la Région
Normandie, aux présidents des conseils départementaux de la Manche et du
Calvados, ainsi qu’aux maires de Bayeux et de Carentan. Voici le texte de cette lettre ouverte.
« En janvier 2020, à l’occasion de
la présentation de ses vœux, le président de la Région Normandie, Hervé Morin, évoquait
la possible création d’un parc mémoriel, d’abord connu sous le nom de « D-Day
land » après l’emploi de cette expression par le président du Comité du Débarquement,
Monsieur Lefranc.
Si l’année qui s’est écoulée
depuis a été riche de très nombreuses communications sur le projet, elle n’a aucunement
permis que soient apportées des réponses sérieuses aux nombreuses critiques.
Reprenons :
« D-Day land », « Épopée »,
« Hommage aux héros » :
, l’une marquée par une référence
fort déplacée à Disneyland, les
autres par l’évocation racoleuse d’un héroïsme collectif. « Ce n’est pas
un projet sur la guerre », disent ses promoteurs, mais l’héroïsme est évidemment
plus « vendeur » que l’hommage aux victimes et plus propice à la mise
en spectacle.
« Spectacle », « cinéscénie »,
« évocation historique », « événement pérenne », « effet
waouh », « documentaire vivant », « théâtre sur rails », « des
comédiens, des figurants »… la manière
dont est décrit ce projet reste aujourd’hui confuse, et plus encore,
contradictoire. Jugeons-en simplement en rapprochant les propos du scénariste
Serge Denoncourt, qui nous dit le 17 septembre : « En 45 minutes de spectacle, on va apprendre plein de choses… »,
et ceux de Régis Lefebvre, directeur de la communication de la société EuropaCorp,
le 18 octobre : « Certains disent que notre projet est un spectacle .... Cela nous choque. »
Soit l’équipe porteuse du fameux projet ne sait pas encore ce qu’elle veut
faire, soit, et plus probablement, elle le sait clairement et cherche à jouer
avec les mots pour cacher une intention fondamentalement mercantile dont fait d’ailleurs
état le président du Comité du Débarquement quand il annonce qu’ « une rue principale est également prévue,
avec la mise en valeur des produits régionaux. »
De grosses sommes sont en effet en jeu, mais là aussi, le
brouillard est tenace : entre 50 et 200 millions d’Euros ! Comment prendre
au sérieux et avoir confiance en un projet chiffré avec une telle imprécision ?
Et surtout, d’où vient le financement,
sachant que la Région assure qu’elle ne mettra pas au pot ? De fonds américains ?
D’EuropaCorp dont Régis Lefebvre est salarié ? De banques françaises,
comme le Crédit agricole ? Mais on peine alors à imaginer que celui-ci puisse
financer la destruction de terres pour soutenir un projet de ce type. Si les
choses devaient néanmoins se faire, que se passerait-il dans quelque temps si,
l’affaire battant de l’aile, la Région Normandie était appelée à la rescousse ?
Le scénario s’est déjà produit avec la Caisse des dépôts qui, après avoir
apporté 42 millions d’Euros d’argent public au capital initial d’EuropaCorp, a été
amenée à effacer une dette de 45 autres millions en 2020.
Au registre des approximations, il
faut aussi inscrire l’évaluation des superficies, qui évolue au fil du temps,
passant d’une vingtaine d’hectares à 40 ! Quoi qu’il en soit, ce sont autant de surfaces soustraites à l’agriculture,
artificialisées au mépris des préoccupations environnementales, sans souci des
nuisances engendrées par des flux estimés à 600 000 visiteurs sur les 6 mois d’ouverture
annuelle, et à rebours de récentes décisions –
conformes aux principes de la transition écologique ! - qui ont conduit à renoncer à la
construction de nouveaux centres commerciaux et parcs de loisirs.
Une autre zone de flou, majeure, concerne l’emploi. Sur ce
sujet, contrairement aux surfaces requises par le projet, les chiffres fondent
comme neige au soleil : après l’effet d’annonce, il y a quelques mois, de
1000 créations de postes, il est désormais question de 100 à 200 emplois. Et
comme le reconnaît un des concepteurs, « donner un chiffre aujourd’hui n’est pas sérieux »,
d’autant moins que la plupart de ces emplois seront nécessairement saisonniers,
le parc n’étant appelé à fonctionner que 6 mois par an.
Quant à la prétendue dimension éducative, elle est triplement suspecte. Le
principe d’un spectacle et de son « effet waouh », jouant de surcroît
fortement sur l’émotion, est intolérable eu égard aux drames qui se sont déroulés
pendant le Débarquement et la bataille de Normandie. L’argument selon lequel seules
les technologies de pointe permettraient de retenir l’attention des nouvelles générations
est aussi révélateur d’un certain mépris de la jeunesse chez qui la visite des musées et des sites liés au Débarquement ne
susciterait ni réflexions ni sentiments. Enfin, l’ambition de faire
tenir toute cette période de l’histoire en 45 minutes est un non–sens pédagogique.
En fait, plutôt que la transmission aux jeunes générations, il semble bien que
tout ce projet vise surtout les tour operators,
supposés être en mesure de fournir, par bus entiers, les centaines de visiteurs
qui rempliront la tribune mobile 6 à 10 fois par jour.
Si le tourisme mémoriel est d’abord
du tourisme, avec tout ce que cela implique sur les plans commercial et économique,
il touche aussi au sacré. Un spectacle qui ne dit pas son nom, mais qui se sert
de la mort de 140 000 soldats et civils pour produire du cash, déshonorerait ses promoteurs et la
Normandie toute entière et traduirait un complet manque de respect pour les
victimes et leurs familles.
Il est encore temps d’y renoncer !
Ce texte est soutenu
par les comités d’opposition au projet, par des associations « descendants
Kieffer », IVY, MRAP, Cercle Jean Moulin et par de nombreuses personnalités. Citons les
comédiens François Morel et Philippe Torreton ou le cinéaste Xavier Beauvois. Côté
politique, l’ancienne députée Isabelle Attard, la sénatrice UDI de l’Orne
Nathalie Goulet, les socialistes Gérard Leseul (député de Seine-Maritime) et Nicolas
Mayer-Rossignol (maire de Rouen) et l’ancien ministre PS Henri Nallet sont également
cités. Tout comme la romancière caennaise Belinda Cannone et les
historien(ne)s Jean-Pierre Azema, Sonia Combe ou encore Olivier Wieviorka.
Contact :
comit50480@orange.fr