10 février 2021

Pierre Mendès France un « perdant magnifique » en podcast sur France Inter

L'hommage de François Mitterrand à l'Assemblée nationale après le décès de PMF. (photo JCH)

 

Fabrice Drouelle, journaliste et animateur radio sur « France Inter » a choisi, avec la complicité de l’historien Jean Garrigues, d’ouvrir (la semaine dernière) une saison consacrée aux perdants magnifiques de la 5e République. Perdants ? Pourquoi pas ? Mais magnifiques…en quoi la perte du pouvoir ou l’impossibilité d’y accéder à nouveau pourrait-elle être ainsi qualifiée ? La première personnalité choisie pour illustrer sa série n’était autre que Pierre Mendès France. Cette heure de grande écoute nous a fait un plaisir immense. Pensez donc. Une heure à évoquer la carrière d’un homme d’Etat d’exception qui ne transigea jamais sur l’essentiel : la démocratie représentative contre le pouvoir personnel. L’information du peuple contre le secret. Et surtout l’intérêt général avant les intérêts particuliers. Ces exigences portées haut par l’ancien maire de Louviers s’accommodaient mal avec les querelles partisanes de la 4e République et encore moins avec les institutions voulues par le général De Gaulle. Pierre Mendès France en paya le prix malgré sa grande popularité.

 

Pierre Mendès France, jeune membre du Parti radical de la 3e République est précoce en tout. Doté d’une grande intelligence, il est bachelier, licencié en droit, avocat, parlementaire avant tout le monde. Par ses dons et son talent, par sa culture économique si chevillée au corps, il entre comme sous-secrétaire d’Etat dans un ministère Blum et après s’être évadé de la prison de Clermont-Ferrand où Pétain l’avait fait condamner pour une désertion inventée de toutes pièces dans l’affaire dite du Massilia (1), Pierre Mendès France rejoint le général de Gaulle et la France libre. Il s’y distingue en combattant au sein du groupe aérien Lorraine (il était navigateur) et rejoint Alger en novembre 1943 dans le gouvernement provisoire formé par le général de Gaulle qui ne manque pas de faire appel à lui. Quelques temps plus tard, le général, recevant la lettre de démission de PMF du gouvernement en 1945 (pour des désaccords sur la stratégie financière) parle de lui en affirmant : « Mendès France n’est pas un cheval qu’on attelle ». Ce fut le titre de l’émission de Fabrice Drouelle.

 

En effet, pendant toute sa vie politique, Pierre Mendès France ne reniera jamais ses engagements ni ses principes ni ne cédera à la facilité. Hostile à la prise de pouvoir du général De Gaulle en 1958 (un homme qu’il admira pourtant pour son refus de l’armistice et son opposition au régime de Vichy) après un coup de force soutenu par les parachutistes de Massu (déjà) il demeurera un adversaire résolu de l’élection du président de la République au suffrage universel au contraire de François Mitterrand. Comme il avait été hostile à la constitution de la 5e République qui, en son article 16, donnait les pleins pouvoirs à un homme seul à la tête du pays.

 

Pendant les sept mois, onze jours de sa présidence du Conseil, il fut, dans bien des domaines, un précurseur, un visionnaire. Il ne se contentait pas de gérer les affaires de l’Etat. Il y ajoutait une faculté d’anticipation favorisée par un entourage de professionnels et d’experts, de personnalités d’exception telles Georges Boris, son ami, et tant d’autres devenus ministres malgré les différences d’étiquettes politiques que Pierre Mendès France ne plaçaient pas forcément au premier plan eu égard à la situation politique complexe générée par les clans et les partis.

 

De ces quelques mois au pouvoir on retient, par exemple, la fin de la guerre d’Indochine et sa lutte contre l’alcoolisme. C’est très réducteur même si c’est important. On retient aussi ses causeries adressées aux Français(çaises) et destinées à expliciter les choix de l’exécutif. Ses orientations dans les domaines scientifique, culturel, scolaire, économique, financier, ont préfiguré la France des trente glorieuses et une volonté de combat contre les inégalités qu’il avait constatées comme avocat à Louviers dès les années trente.

 

A Louviers, justement, où sa famille possède toujours une maison aux Monts, on cultive avec soin la mémoire de cet homme d’Etat. Battu en 1958 dès le premier tour des élections législatives par Rémy Montagne, gaulliste opportuniste, PMF en éprouva un légitime chagrin même s’il  nous confia en 1981 que, finalement, les électeurs(trices) étaient les maîtres du jeu et que s’ils(elles) lui manquèrent alors c’est bien parce qu’un tsunami avait décidé de ramener le général de Gaulle au gouvernail d’une France malade de la guerre d’Algérie que les gouvernants de la 4e République n’avaient pas su (ou voulu) ni comprendre ni maîtriser. Il se trouve que PMF, en 1956, avait proposé une voie que personne n’osa emprunter qui conduisit d’ailleurs à sa démission du gouvernement Mollet. Un regret, peut-être, que son action locale et départementale n’ait pas été suffisamment évoquée au cours de cette bonne émission rythmée par les interventions de PMF.

 

Alors, perdant magnifique ? Perdant aux élections, l’homme politique doit admettre la réussite de ses adversaires. D’erreurs, Pierre Mendès France n’en commit aucunes relatives à ses principes d’action et de vie. D’ailleurs les Grenoblois surent bien — en 1967 — approuver son opposition au général de Gaulle après que ce dernier avait pratiqué une politique libérale bien peu favorable aux Français les moins aisés. L’Institut Mendès France (présidé par André Azoulay) auquel j’ai l’honneur d’adhérer, continue d’organiser colloques et symposiums en référence à l’action de Pierre Mendès France. C’est dire le rôle éminent qu’il tient toujours dans les cœurs et dans les esprits.

 

(1) Le Massilia est le nom de ce bateau sur lequel Pierre Mendès France, Jean Zay et Georges Mandel, notamment, se sont embarqués pour gagner le Maroc et poursuivre la lutte contre les nazis. Pétain signa l’armistice et fit accuser ces anciens ministres de la 3e République de « désertion ». Si PMF a réussi son évasion de la prison de Clermont-Ferrand (après un procès et une condamnation iniques) Jean Zay et Georges Mandel furent assassinés par la milice de Darnand en 1944.


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