14 février 2021

La prescription d'un crime (viol ou inceste) ne signifie pas nier son existence

Dans une tribune parue dans le journal « Le Monde » plusieurs avocats et avocates mettent en cause l'attitude des parquets (depuis une dizaine d'années) dans les affaires d’inceste ou de viols. Ils dénoncent le fait que la notion de prescription soit foulée au pied et qu’ainsi des affaires « éteintes » occupent la une de l’actualité. Ils regrettent que la pression médiatique prenne le pas sur l’attitude des procureurs ce qui aurait pour effet de mettre en valeur certaines affaires et d’en taire des milliers d’autres. Il est vrai que les victimes n’ont pas toutes l’occasion d’écrire un livre ou de tourner un film !


On ne peut pas sous-estimer ce danger. Il est réel. Et d’ailleurs les parquets prennent d’infinies précautions avant de rendre publiques les enquêtes préliminaires ouvertes lors de la révélation de crimes destinées à mettre au jour d’autres faits délictueux non frappés de prescription. On sait tous qu’il s’agit d’un prétexte destiné à permettre aux victimes d’être reconnues et de les déculpabiliser. Ce qui n’est pas rien. Il serait également contestable de nier le droit à l’information de la part des journalistes dont c’est le métier. Je ne place pas au même niveau les commentaires anonymes balancés sur les réseaux sociaux et les enquêtes journalistiques répondant à des critères professionnels : recherche de la vérité si tant est qu’elle est toujours  singulière, exigence du contradictoire en donnant la parole aux victimes et aux auteurs présumés à condition que les uns et les autres acceptent de répondre aux questions posées. Ce qui n’est pas le cas dans l’affaire Olivier Duhamel pour ne citer que la plus récente puisque ce dernier a choisi (pour l’instant) de se taire.

 

Quand la prescription est établie, l’action publique est terminée. Serait-ce pour autant la loi du silence ? Quand on connaît les conséquences de l’emprise d’un adulte sur un enfant, pour en rester aux affaires d’inceste, on peut comprendre qu’il se passe un temps long avant que la victime sorte de sa torpeur. Pour des raisons évidentes (éclatement de la cellule familiale, chantage, menaces, honte, humiliation…) et c’est le cas de Camille Kouchner évoquant son enfance et celle de son frère jumeau, il a fallu du temps (et une psychanalyse…) pour qu'elle écrive « la familia grande ».

Ce que les six avocat(e)s oublient (ou taisent volontairement) c’est que la révélation de faits mettant en cause des personnalités peut aider à libérer la parole des victimes « normalement » destinées à l’anonymat. Ce fut vrai avec le mouvement metoo et les violences sexuelles de toutes natures et cela est vrai également avec la publicité faite autour d’un livre qui n’a rien de sulfureux et qui a pour fonction (vertu ?) d’imposer le silence à une personnalité médiatique, journalistique, politique admirée par nombre d’observateurs et par une élite sensible à « l’entre nous ».

 

Les avocat(e)s ont raison de rappeler que la prescription est un principe fondamental en droit. La prescription, « c’est un droit à l’oubli » pour l’auteur d’une infraction. Si en 10 ans voire 20 ou 30 ans, l’action publique n’a pas d’éléments de preuves permettant de poursuivre quelqu’un, quelle serait la logique de poursuivre un éventuel auteur de crime après tout ce temps ? Prescrire une infraction ne signifie pas nier son existence et c’est bien pourquoi le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, réfléchit à revoir les délais de prescription en matière de violences sexuelles ou d’inceste.

 

 

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