J'ai connu Henri Fromentin lorsque j'étais jeune. Mon père et lui avaient l'habitude de se retrouver sur le terrain de pétanque du ESSI avec MM. Souvrain, Planterose, Chemin, Astégiani, (des noms qui disent quelque chose aux Lovériens) où se disputaient des parties mémorables. C'est là que j'ai lancé mon premier cochonnet.
Je suis rentré dans les services municipaux en 1966. Ernest Martin était maire (après avoir battu d'un siège la liste de Rémy Montagne en 1965) et Paul Astégiani, secrétaire général de la mairie. Deux hommes trempés dans le fer des convictions à gauche et dans une mutuelle admiration pour Pierre Mendès France. Paul Astégiani était le beau-frère d'Henri Fromentin.
Durant mes six années passées à la mairie de Louviers comme rédacteur, j'ai tout appris de la vie politique, des injustices, des coups fourrés, du fonctionnement difficile, en interne et en externe de la démocratie vécue comme une passion. Mais au-dessus de tout, il y avait un homme, un chemin, une volonté. L'homme c'était Ernest Martin, le chemin, c'était apprendre à se diriger soi-même, la volonté, c'était celle de ne jamais se laisser humilier ou culpabiliser, toujours chercher à avoir l'estime de soi-même. Et cela démarre quand on est enfant dans la relation qu'il noue avec sa mère et ses parents. Quand on a compris cela on a tout compris du sens de la politique, la vraie.
Message difficile
Ce message est difficile à faire passer politiquement. C'est si vrai qu'il en reste peu de chose sous l'ère Franck Martin. Aujourd'hui, on gère, on est pragmatique, on divise pour mieux régner. Où est le fond ? Où est l'engagement ? Qu'est devenue l'expression libre ? Qu'est devenue la non sélection des activités par l'argent, qu'est devenue la nécessité du « beau » pour tous ! Qu'est devenue la priorité du social sur l'injustice, de la confiance en l'autre alors que des caméras de vidéo surveillance fleurent partout (je consacrerai plus tard un article complet à ce sujet) ! Autres temps, autres mœurs !
Un homme debout
Henri Fromentin était un homme debout. Dans son imprimerie de la rue du Matrey que nous fréquentions comme un un lieu de rendez-vous pour la discussion, la rédaction, la mise en page, la sortie du journal militant du Comité d'Action de gauche constitué après 1968 et du nom de Devenir, il restait égal à lui-même. Souriant, à l'écoute, compréhensif des contradictions, et amateur de conclusion…ferme. Il montrait déjà son sens du capitanat intelligent.
Et comme la droite était aux commandes à la mairie, il fallait se battre, jour après jour, mener l'opposition pour tenter de restaurer l'esprit de mai 68 qui n'était autre que l'esprit d'une mairie où chacun se sentirait concerné par son avenir et pèserait sur lui. Utopia ! Il y avait les Louis Vallée, les Pierre Quéméner, les Gérard Martin, les Elisabeth Boutelet, les Isabelle Martin, les Jean-Charles Houel, les Claude Dumer et bien d'autres.
A côté, la gauche traditionnelle des partis de gouvernement nous trouvait trop localiste, trop lovéro-lovériens. Pas assez dans la revendication nationale, pas assez contre le gouvernement. Nous disions : que peut un citoyen non ou mal informé ? Que peut un citoyen qui ne participe pas ? Que peut un citoyen qui ne peut pas ou ne veut pas participer ? Il en reste quelque chose aujourd'hui même si à l'époque le concept de démocratie participative avait un autre nom. En fait, le travail d'Ernest Martin, d'Henri Fromentin et de quelques autres dont j'étais était un travail pédagogique. Il est toujours nécessaire. Plus que jamais nécessaire quand on voit le nombre d'habitants qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou qui ne votent pas.
Le résistant
Mais résumer Henri Fromentin à l'homme politique serait très réducteur. Henri, c'était aussi le résistant, le lycéen Ebroïcien qui à 18 ans, sur dénonciation, fut arrêté à Evreux, interné à Rouen puis déporté en Allemagne en 1943. Il revint en 1945 mais jamais je n'ai vraiment réussi à le faire parler de cette période très dure. Le jumelage avec Holzwickede fut pour lui l'occasion de retourner en Allemagne en tant que maire et je sais, parce qu'il me l'a dit, que ce fut un gros effort sur lui-même et un effort qu'il accomplit pour les autres. C'était la période 1976-1983, la période où Henri présidait aux destinées de la mairie, la période où les chantiers étaient immenses. Malgré un bon bilan, Odile Proust le battit, nous battit en 1983, et ce fut un déchirement.
Contre l'hégémonisme
Henri cessa-t-il la politique pour autant ? Bien sûr que non. Il suffisait de lui rendre visite rue du Matrey et la discussion s'entamait comme si c'était hier. Il avait une dent contre le PS, le PC aussi, et contre l'hégémonisme. Il n'aimait pas les entraves et en homme de gauche, il préférait avoir raison tout seul plutôt que se plier à des ordres contradictoires ou opportunistes. Il favorisa, comme il put, l'accession de Franck Martin au pouvoir. En 1995, Franck avait des cohortes de supporteurs. En 2001 aussi…
Lorsque j'ai rendu visite à Henri, il y a six ou sept semaines, à l'hôpital de Louviers où il se trouvait depuis près d'un an, je lui ai tout dit des raisons de la dissidence municipale, de ma candidature aux cantonales, je l'ai serré contre moi comme on serre dans ses bras un ami dont on sait que les semaines, les mois sont comptés. Il me fit un très léger sourire, ce qui dans sa situation, ressortissait d'un bonheur intense. Je lui ai dit combien il pesait dans notre conscience collective, combien il représentait l'âme de la gauche et symbolisait ce combat pour le progrès qui ne cesse jamais. Je crois bien avoir aperçu une larme au coin de l'un de ses yeux.
Il n'aimait pas le pouvoir
Henri Fromentin avait un gros défaut : il n'aimait pas le pouvoir. Il savait ce que le pouvoir engendre de mégalomanie, d'excès, d'isolement. Il savait que le pouvoir sépare les hommes ou les femmes, défait les amitiés, attise les conflits, suscite des amertumes et des jalousies. Il n'aimait pas les conflits non plus. Et pourtant, quand il fallait y aller, il y allait avec sa voix posée, solide, qui n'attirait pas de contre-partie. Il y allait avec la force du juste. Qui parle quand il faut.
Henri était un homme aimé. Par sa famille, par son épouse Geneviève, disparue trop tôt, ses sœurs, ses enfants, Claire, alex, Michèle, sa compagne des heures douloureuses, Marie-Claire. Il était sublimé par les amateurs de lyonnaises qui appréciaient son humour et son talent dans la victoire comme dans dans la défaite. Il était aimé par tous ses amis, par les Lovériens d'une génération qui, peu à peu, nous quittent, par les hommes et les femmes de gauche, et aussi d'autres horizons, qui voyaient en lui une petite lumière s'éteignant doucement à cause de la maladie mais qui éclaire loin et qui porte encore. Et qui surtout, ne s'éteindra pas.
Je suis rentré dans les services municipaux en 1966. Ernest Martin était maire (après avoir battu d'un siège la liste de Rémy Montagne en 1965) et Paul Astégiani, secrétaire général de la mairie. Deux hommes trempés dans le fer des convictions à gauche et dans une mutuelle admiration pour Pierre Mendès France. Paul Astégiani était le beau-frère d'Henri Fromentin.
Durant mes six années passées à la mairie de Louviers comme rédacteur, j'ai tout appris de la vie politique, des injustices, des coups fourrés, du fonctionnement difficile, en interne et en externe de la démocratie vécue comme une passion. Mais au-dessus de tout, il y avait un homme, un chemin, une volonté. L'homme c'était Ernest Martin, le chemin, c'était apprendre à se diriger soi-même, la volonté, c'était celle de ne jamais se laisser humilier ou culpabiliser, toujours chercher à avoir l'estime de soi-même. Et cela démarre quand on est enfant dans la relation qu'il noue avec sa mère et ses parents. Quand on a compris cela on a tout compris du sens de la politique, la vraie.
Message difficile
Ce message est difficile à faire passer politiquement. C'est si vrai qu'il en reste peu de chose sous l'ère Franck Martin. Aujourd'hui, on gère, on est pragmatique, on divise pour mieux régner. Où est le fond ? Où est l'engagement ? Qu'est devenue l'expression libre ? Qu'est devenue la non sélection des activités par l'argent, qu'est devenue la nécessité du « beau » pour tous ! Qu'est devenue la priorité du social sur l'injustice, de la confiance en l'autre alors que des caméras de vidéo surveillance fleurent partout (je consacrerai plus tard un article complet à ce sujet) ! Autres temps, autres mœurs !
Un homme debout
Henri Fromentin était un homme debout. Dans son imprimerie de la rue du Matrey que nous fréquentions comme un un lieu de rendez-vous pour la discussion, la rédaction, la mise en page, la sortie du journal militant du Comité d'Action de gauche constitué après 1968 et du nom de Devenir, il restait égal à lui-même. Souriant, à l'écoute, compréhensif des contradictions, et amateur de conclusion…ferme. Il montrait déjà son sens du capitanat intelligent.
Et comme la droite était aux commandes à la mairie, il fallait se battre, jour après jour, mener l'opposition pour tenter de restaurer l'esprit de mai 68 qui n'était autre que l'esprit d'une mairie où chacun se sentirait concerné par son avenir et pèserait sur lui. Utopia ! Il y avait les Louis Vallée, les Pierre Quéméner, les Gérard Martin, les Elisabeth Boutelet, les Isabelle Martin, les Jean-Charles Houel, les Claude Dumer et bien d'autres.
A côté, la gauche traditionnelle des partis de gouvernement nous trouvait trop localiste, trop lovéro-lovériens. Pas assez dans la revendication nationale, pas assez contre le gouvernement. Nous disions : que peut un citoyen non ou mal informé ? Que peut un citoyen qui ne participe pas ? Que peut un citoyen qui ne peut pas ou ne veut pas participer ? Il en reste quelque chose aujourd'hui même si à l'époque le concept de démocratie participative avait un autre nom. En fait, le travail d'Ernest Martin, d'Henri Fromentin et de quelques autres dont j'étais était un travail pédagogique. Il est toujours nécessaire. Plus que jamais nécessaire quand on voit le nombre d'habitants qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales ou qui ne votent pas.
Le résistant
Mais résumer Henri Fromentin à l'homme politique serait très réducteur. Henri, c'était aussi le résistant, le lycéen Ebroïcien qui à 18 ans, sur dénonciation, fut arrêté à Evreux, interné à Rouen puis déporté en Allemagne en 1943. Il revint en 1945 mais jamais je n'ai vraiment réussi à le faire parler de cette période très dure. Le jumelage avec Holzwickede fut pour lui l'occasion de retourner en Allemagne en tant que maire et je sais, parce qu'il me l'a dit, que ce fut un gros effort sur lui-même et un effort qu'il accomplit pour les autres. C'était la période 1976-1983, la période où Henri présidait aux destinées de la mairie, la période où les chantiers étaient immenses. Malgré un bon bilan, Odile Proust le battit, nous battit en 1983, et ce fut un déchirement.
Contre l'hégémonisme
Henri cessa-t-il la politique pour autant ? Bien sûr que non. Il suffisait de lui rendre visite rue du Matrey et la discussion s'entamait comme si c'était hier. Il avait une dent contre le PS, le PC aussi, et contre l'hégémonisme. Il n'aimait pas les entraves et en homme de gauche, il préférait avoir raison tout seul plutôt que se plier à des ordres contradictoires ou opportunistes. Il favorisa, comme il put, l'accession de Franck Martin au pouvoir. En 1995, Franck avait des cohortes de supporteurs. En 2001 aussi…
Lorsque j'ai rendu visite à Henri, il y a six ou sept semaines, à l'hôpital de Louviers où il se trouvait depuis près d'un an, je lui ai tout dit des raisons de la dissidence municipale, de ma candidature aux cantonales, je l'ai serré contre moi comme on serre dans ses bras un ami dont on sait que les semaines, les mois sont comptés. Il me fit un très léger sourire, ce qui dans sa situation, ressortissait d'un bonheur intense. Je lui ai dit combien il pesait dans notre conscience collective, combien il représentait l'âme de la gauche et symbolisait ce combat pour le progrès qui ne cesse jamais. Je crois bien avoir aperçu une larme au coin de l'un de ses yeux.
Il n'aimait pas le pouvoir
Henri Fromentin avait un gros défaut : il n'aimait pas le pouvoir. Il savait ce que le pouvoir engendre de mégalomanie, d'excès, d'isolement. Il savait que le pouvoir sépare les hommes ou les femmes, défait les amitiés, attise les conflits, suscite des amertumes et des jalousies. Il n'aimait pas les conflits non plus. Et pourtant, quand il fallait y aller, il y allait avec sa voix posée, solide, qui n'attirait pas de contre-partie. Il y allait avec la force du juste. Qui parle quand il faut.
Henri était un homme aimé. Par sa famille, par son épouse Geneviève, disparue trop tôt, ses sœurs, ses enfants, Claire, alex, Michèle, sa compagne des heures douloureuses, Marie-Claire. Il était sublimé par les amateurs de lyonnaises qui appréciaient son humour et son talent dans la victoire comme dans dans la défaite. Il était aimé par tous ses amis, par les Lovériens d'une génération qui, peu à peu, nous quittent, par les hommes et les femmes de gauche, et aussi d'autres horizons, qui voyaient en lui une petite lumière s'éteignant doucement à cause de la maladie mais qui éclaire loin et qui porte encore. Et qui surtout, ne s'éteindra pas.
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