6 février 2017

Affaire Fillon : attention de ne pas se tromper de coupable !


André Comte-Sponville (photo ci-contre) est évidemment un philosophe important. Il appartient en tout état de cause à cette élite intellectuelle dont les propos pèsent dans les débats qui intéressent les Français notamment à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Invité dans l’émission C polémique sur la 5, hier, consacré à « morale et politique » André Comte-Sponville a prononcé une phrase dont je ne suis pas certain qu’il en ait mesuré toute la portée. S’adressant à une journaliste de Mediapart, au demeurant pertinente et remarquable dans ses propos, le philosophe s’est aventuré sur un terrain scabreux. « Et si Pénélope ou François Fillon en venait à se suicider…» a-t-il lancé pour interpeller les journalistes d’investigation et les conduire à s’interroger sur leur comportement à l’égard du couple Fillon. Celui-ci est pris dans une tourmente qu’Henri Guaino, également invité, juge oppressante, politiquement et psychologiquement. Ce que M. Comte-Sponville a voulu dire est simple : « votre responsabilité morale de journaliste serait engagée, pourriez-vous vous regarder dans un miroir ? »

C’est ce qu’on appelle inverser la charge de la preuve. Les coupables ne seraient pas ou plus les auteurs de l’éventuel délit mais bien les journalistes dont les écrits et les révélations pourraient pousser nos politiques aux actes extrêmes. Soyons clairs : les journalistes décrivent les turpitudes des politiques. Ils accomplissent leur mission et personne, à condition qu’ils s’appuient sur des faits étayés et recoupés, ne peut leur reprocher d’exercer leur métier. Personne ne peut les «accuser» de révéler des faits permettant de comprendre la personnalité des protagonistes à l’élection suprême et d’interroger la cohérence de leur comportement individuel eu égard à leurs propositions collectives. Eva Joly a raconté comment des journalistes d’investigation avaient « fouillé » dans sa vie en Norvège et en Islande lors de sa candidature aux présidentielles : « On exige probité et exemplarité de la part de ceux et celles qui aspirent aux plus hautes fonctions et c’est normal. »

Ce qui choque dans l’affaire Fillon, c’est évidemment et d’abord le montant des sommes versées à Pénélope Fillon (peut-être pour un emploi fictif) mais c’est aussi et surtout le choc créé par cette situation de favoritisme et le contenu du programme abrasif, pour le moins, du candidat de la droite et du centre. Un programme fondé sur le serrage de ceinture. Henri Guaino n’est pas un gauchiste. Depuis la publication des principales mesures du projet Fillon, il dénonce les excès et les outrances de ce programme. M. Comte-Sponville a donc tort de chercher je ne sais où les responsabilités dans l’affaire Fillon. François Fillon est le seul à pouvoir et à devoir répondre de ses actes si tant est que sa femme n’ait été qu’un instrument — c’est du moins l’opinion de Ségolène Royal ! — dans ce qu’on pourrait lui reprocher. Il appartiendra à la justice de dire si François Fillon est coupable ou non. Les citoyens jugeront.

Eva Joly, députée européenne, a intelligemment commenté les propos des uns et des autres : le salaire d’un parlementaire permet de vivre très correctement, en un quart d’heure elle peut justifier du travail effectif et concret de ses trois assistants parlementaires. Il serait, selon elle, abusif de condamner à une inéligibilité à vie tout élu condamné pour corruption ou détournement de fonds publics car dans notre droit, les peines sont individualisées et adaptées à chaque situation. Elle précise que les journalistes jouent un  rôle de vigie et sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie.

Sachant que la démocratie à un prix et donc un coût, la compétence et l’efficacité de nos élus se mesure-t-elle au montant de leurs indemnités ? « Comment convaincre des jeunes, intelligents, compétents, courageux, de se lancer dans la vie politique si le privé leur offre des salaires trois ou quatre fois supérieurs ? » C’est une vraie question et M. Comte-Sponville a raison de la poser. Avec la fin du cumul des mandats et donc celui des indemnités, le prochain gouvernement devra moraliser, encore et encore, les conditions d’exercice du mandat parlementaire. En réduisant le nombre de députés ? En augmentant leurs indemnités ? En supprimant le Sénat ? En contrôlant mieux l’usage de l’IRFM (1) ? En interdisant d’employer des membres de sa famille comme assistants parlementaires ?

(1) L'Indemnité représentative de frais de mandat.

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