André Comte-Sponville (photo ci-contre) est évidemment
un philosophe important. Il appartient en tout état de cause à cette élite
intellectuelle dont les propos pèsent dans les débats qui intéressent les Français
notamment à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle.
Invité dans l’émission C polémique sur la 5, hier, consacré à « morale et
politique » André Comte-Sponville a prononcé une phrase dont je ne suis pas
certain qu’il en ait mesuré toute la portée. S’adressant à une journaliste de Mediapart,
au demeurant pertinente et remarquable dans ses propos, le philosophe s’est
aventuré sur un terrain scabreux. « Et si
Pénélope ou François Fillon en venait à se suicider…» a-t-il lancé pour
interpeller les journalistes d’investigation et les conduire à s’interroger sur
leur comportement à l’égard du couple Fillon. Celui-ci est pris dans une
tourmente qu’Henri Guaino, également invité, juge oppressante, politiquement et
psychologiquement. Ce que M. Comte-Sponville a voulu dire est simple : « votre responsabilité morale de journaliste
serait engagée, pourriez-vous vous regarder dans un miroir ? »
C’est ce qu’on appelle
inverser la charge de la preuve. Les coupables ne seraient pas ou plus les
auteurs de l’éventuel délit mais bien les journalistes dont les écrits et les révélations
pourraient pousser nos politiques aux actes extrêmes. Soyons clairs : les
journalistes décrivent les turpitudes des politiques. Ils accomplissent leur
mission et personne, à condition qu’ils s’appuient sur des faits étayés et
recoupés, ne peut leur reprocher d’exercer leur métier. Personne ne peut les «accuser»
de révéler des faits permettant de comprendre la personnalité des protagonistes
à l’élection suprême et d’interroger la cohérence de leur comportement
individuel eu égard à leurs propositions collectives. Eva Joly a raconté
comment des journalistes d’investigation avaient « fouillé » dans sa vie en
Norvège et en Islande lors de sa candidature aux présidentielles : « On exige probité et exemplarité de la part
de ceux et celles qui aspirent aux plus hautes fonctions et c’est normal. »
Ce qui choque dans l’affaire
Fillon, c’est évidemment et d’abord le montant des sommes versées à Pénélope
Fillon (peut-être pour un emploi fictif) mais c’est aussi et surtout le choc créé
par cette situation de favoritisme et le contenu du programme abrasif, pour le
moins, du candidat de la droite et du centre. Un programme fondé sur le serrage
de ceinture. Henri Guaino n’est pas un gauchiste. Depuis la publication des
principales mesures du projet Fillon, il dénonce les excès et les outrances de
ce programme. M. Comte-Sponville a donc tort de chercher je ne sais où les
responsabilités dans l’affaire Fillon. François Fillon est le seul à pouvoir et
à devoir répondre de ses actes si tant est que sa femme n’ait été qu’un
instrument — c’est du moins l’opinion de Ségolène Royal ! — dans ce qu’on
pourrait lui reprocher. Il appartiendra à la justice de dire si François Fillon
est coupable ou non. Les citoyens jugeront.
Eva Joly, députée européenne,
a intelligemment commenté les propos des uns et des autres : le salaire d’un
parlementaire permet de vivre très correctement, en un quart d’heure elle peut
justifier du travail effectif et concret de ses trois assistants
parlementaires. Il serait, selon elle, abusif de condamner à une inéligibilité à
vie tout élu condamné pour corruption ou détournement de fonds publics car dans
notre droit, les peines sont individualisées et adaptées à chaque situation. Elle
précise que les journalistes jouent un
rôle de vigie et sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie.
Sachant que la démocratie à
un prix et donc un coût, la compétence et l’efficacité de nos élus se
mesure-t-elle au montant de leurs indemnités ? « Comment convaincre des
jeunes, intelligents, compétents, courageux, de se lancer dans la vie politique
si le privé leur offre des salaires trois ou quatre fois supérieurs ? » C’est
une vraie question et M. Comte-Sponville a raison de la poser. Avec la fin du
cumul des mandats et donc celui des indemnités, le prochain gouvernement devra
moraliser, encore et encore, les conditions d’exercice du mandat parlementaire.
En réduisant le nombre de députés ? En augmentant leurs indemnités ? En
supprimant le Sénat ? En contrôlant mieux l’usage de l’IRFM (1) ? En
interdisant d’employer des membres de sa famille comme assistants
parlementaires ?
(1) L'Indemnité représentative de frais de mandat.
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