Le
groupe d'experts internationaux spécialisés sur la biodiversité (IPBES), créé
en 2012 sur le modèle du groupe international d'experts sur le Climat (Giec), a
publié le 26 février son premier rapport qui alerte sur le déclin au niveau
mondial des espèces pollinisatrices, à l'occasion de sa quatrième réunion
plénière, à Kuala Lumpur (Malaisie).
Ce rapport, de 800 pages, a été réalisé par
77 experts. Il est le fruit de deux années d'analyses des données disponibles,
alors que les études scientifiques se succèdent sur la mortalité des colonies
d'abeilles, confirmant le rôle d'agents infectieux et de pesticides qui sont
susceptibles d'interagir entre eux.
L'abeille domestique à miel européenne (Apis
mellifera) est "le pollinisateur le plus répandu dans le monde,
produisant près de 1,6 million de tonnes de miel par an, selon les estimations.
A elles seules, les abeilles sauvages
comptent environ 20.000 espèces", soulignent les experts de
l'IPBES. Des espèces de papillons de jour et de nuit, de guêpes, de
coléoptères, d'oiseaux, de chauves-souris et d'autres vertébrés contribuent
également à la pollinisation.
La perte des pollinisateurs impacte la
sécurité alimentaire
Le rendement des cultures "dépend
tant des espèces sauvages que des espèces domestiques". Le rapport
rappelle "l'importance de la pollinisation pour la sécurité alimentaire
mondiale". 80% des cultures à travers le monde sont dépendantes de
l'activité des insectes pour la pollinisation, au premier rang desquels les
abeilles domestiques et sauvages.
16% des espèces de pollinisateurs vertébrés
(oiseaux, chauves-souris) sont menacées d'extinction à l'échelle mondiale et
jusqu'à 30% sur les îles. "Et cette tendance risque de
s'accentuer", préviennent les chercheurs, en s'appuyant sur les
statistiques de la liste rouge de l'UICN. En Europe par exemple, 37% des
populations d'abeilles, sauvages et domestiques, et 31% des papillons
sont déjà en déclin, tandis que 9% de ces espèces sont menacées d'extinction.
La valeur annuelle des cultures mondiales, directement touchées par les
pollinisateurs, est estimée "entre 235 et 577 milliards de
dollars", précise l'IPBES.
Un résumé du rapport d'une
trentaine de pages, à l'intention des décideurs, vise à les aider à impulser
une politique afin d'enrayer les pressions. "Ce résumé a été validé par
les représentants d'une centaine de pays. Il tire 22 messages clés, un
ensemble de faits essentiels et surtout une palette d'outils pour l'action dont
les décideurs publics ou privés sont invités à se saisir. La délégation
française est intervenue pour faire en sorte que tout l'état de la science y
soit pris en compte", a souligné Jean-François Silvain, président de
la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) qui anime le
Comité français pour l'IPBES.
Effets des néonicotinoïdes
démontrés en laboratoire
Le déclin des pollinisateurs sauvages est
principalement dû "à des changements dans l'utilisation des terres, aux
pratiques de l'agriculture intensive et à l'utilisation de pesticides, aux
espèces invasives [frelon asiatique,
ndlr], à des agents pathogènes [parasites dont le varroa, ndlr]
et au changement climatique", a résumé Robert Watson,
le nouveau président de l'IPBES.
Le rapport pointe en effet les pratiques
agricoles intensives, dont l'usage massif des pesticides
néonicotinoïdes (imidaclopride, clothianidine et
thiamethoxame). Leurs "effets létaux et sublétaux" sur les
abeilles ou bourdons sont démontrés en laboratoire. Le rapport souligne
toutefois le manque de données "concluantes en conditions
réelles", tout en notant qu'une étude récente a montré des effets
négatifs sur les pollinisateurs sauvages. Cette étude, menée sur le terrain en
Suède, montre que "l'utilisation d'un insecticide à base de
néonicotinoïdes [clothianidine par le biais de pollen de colza, ndlr] a une
incidence négative sur la reproduction des abeilles sauvages, mais n'a aucun
effet sur les colonies d'abeilles à miel".
Pour rappel, la Commission européenne a
décidé en 2013 de restreindre l'usage de ces trois substances (thiaméthoxame, clothianidine,
imidaclopride), au vu des risques suspectés pour les insectes pollinisateurs,
et de lancer une ré-évaluation. "Les évaluations actualisées,
qui se pencheront sur l'utilisation de ces substances en tant que traitement
des semences et granules, seront finalisées pour janvier
2017", a précisé l'Autorité européenne de sécurité
des aliments (Efsa). Deux autres substances néonicotinoïdes (acétamipride et
thiaclopride) sont actuellement inscrites dans un programme de réexamen en vue
de leur ré-approbation dans l'UE.
"L'incidence directe et
indirecte des insecticides a été un des moments
forts lors de la validation du résumé pour décideurs. Les experts suggèrent de
réduire l'exposition des pollinisateurs. Le rapport invite à poursuivre les
efforts pour évaluer les impacts, notamment à long terme et sur un ensemble
large d'espèces", a précisé Jean-François Silvain.
Les experts recommandent de réduire l'usage des pesticides, via des techniques
alternatives de lutte contre les
ravageurs, le soutien à l'agriculture biologique,
l'agroforesterie
ou encore la rotation des cultures.
Mais selon Le Monde,
la présence de deux salariés des industries agrochimiques Bayer et Syngenta,
parmi les experts de l'IPBES chargés d'élaborer ce rapport, a suscité la
polémique durant cette session plénière, accusés de conflits d'intérêt. "La
vraie question est de savoir si les scientifiques liés à l'industrie aident ou
empêchent les progrès scientifiques", a répondu l'IPBES. Elle estime
nécessaire d'impliquer les experts qualifiés de cette industrie "dans
la recherche de solutions".
Impacts des plantes transgéniques : des
lacunes de connaissances
Quant aux cultures OGM, leurs effets
sublétaux et indirects sur plusieurs pollinisateurs "ne sont pas encore
bien compris", indiquent les experts de l'IPBES. "Il est
important de souligner ces lacunes de connaissances. L'incidence des plantes
génétiquement modifiées sur les pollinisateurs est un domaine où il y a encore
un gros travail à faire", a indiqué le président de la FRB. Or,
"l'évaluation des risques, avant l'agrément de mise sur le marché ne
prend pas suffisamment en compte les effets sublétaux et indirects des plantes
transgéniques résistantes aux insectes ou celles tolérantes aux herbicides, en
partie liée à ce manque de données", a-t-il prévenu.
Selon l'IPBES, la tolérance aux
herbicides "réduit la disponibilité de mauvaises
herbes", qui constituent une source d'alimentation pour les
pollinisateurs. Au contraire, la résistance aux insectes "se traduit
souvent par une diminution de l'utilisation d'insecticides et peut contribuer à
atténuer les pressions qui s'exercent sur les insectes utiles, y compris les
pollinisateurs".
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