Nonna Mayer |
Nonna Mayer en connaît un
rayon sur le vote FN. Voilà trente ans qu’elle ausculte ce parti politique et
essaie de comprendre et d’expliquer pourquoi l’extrême-droite française
parvient à accroître ses scores et à conquérir de nouveaux territoires. J’ai suivi
avec attention le débat organisé en direct par le journal numérique Mediapart
au soir du premier tour des élections cantonales. Nonna Mayer y était invitée à
commenter les résultats du Front national qui a obtenu près de 25 % des
suffrages.
Avec une grande lucidité et
une profonde connaissance de l’électorat du FN, Nonna Mayer explique comment
depuis 1984, le vote FN a évolué. Dans ces années-là, les électeurs de
Jean-Marie Le Pen se recrutaient plutôt dans les milieux bourgeois et chez les
nostalgiques d’une idée de la France à l’opposée de celle du général de Gaulle.
Avec le temps, le vote a conduit des citoyens d’origines diverses à donner leur
voix au parti xénophobe. Justement, la haine de l’étranger, la peur de l’autre,
est au cœur du vote FN. C’est bien pourquoi les thèmes favoris des leaders du
FN sont l’immigration, l’insécurité et le chômage qui en seraient les conséquences
directes. Même si les statistiques dont on dispose démentent ces affirmations,
de plus en plus de Français considèrent qu’il y a trop d’étrangers en France,
qu’ils bénéficient d’avantages sociaux et économiques dont seraient privés les
Français « de souche » comme dirait le président sous une forme humoristique
mal comprise. On dit même que les jeunes âgés de 18 à 24 ans se plaisent à
voter FN en révolte contre leurs parents et contre l’ordre établi ! A mon
époque, on se révoltait en manifestant aux côtés des grévistes, des sans
papiers kurdes, ou des mouvements féministes…
L’électeur FN est d’ailleurs
plutôt un homme (1) sans diplôme, il est âgé de 30 à 50 ans, vit une forme de
précarité juste au-dessus du seuil de pauvreté, habite dans les campagnes ou
les zones péri-urbaines, est sensible au « tous pourris » et au «tous corrompus»
(2) considère que la gauche et la droite ont échoué et qu’on peut donc essayer
du nouveau avec Marine Le Pen même si ses qualités pour diriger la France ne
semblent pas du plus haut niveau. La « préférence nationale » — thème fort au
FN — est adoubée tout comme le besoin d’un état fort et très administré. C’est
pour cette raison que Sarkozy peut affirmer sans barguigner que les
propositions économiques de l’extrême-droite sont semblables à celles de
l’extrême-gauche même si, personnellement, je considère qu’il s’agit là d’un abus
de langage et d’une tromperie sur l’analyse.(3)
De plus, l’électeur FN
(ancien électeur de gauche ou de droite) est aujourd’hui plus prompt à
enclencher une dynamique de mobilisation alors même que les électorats
traditionnels de la gauche, par exemple, se réfugient dans l’abstention pour
exprimer leur mécontentement. S’agissant de l’abstention, les études montrent
que les villes où le taux de chômage augmente ne sont pas celles qui
s’abstiennent le plus. Par contre le second enseignement d’une étude
conduite lors des municipales de 2014 montre un lien très net entre le niveau
de chômage et celui du FN : moins le premier est élevé, moins le second est
important ; plus le premier est fort, plus le second l'est aussi. La résolution
du problème du chômage serait donc un moyen de faire baisser le Front national…
En écoutant Nonna Mayer, on
apprend aussi que les arguments moraux et historiques ne sont d’aucune prise
sur les électeurs du FN. Ils culpabilisent de moins en moins et la réponse
qu’ils font aux sondeurs est de plus en plus en prise avec le réel de leur
vote. C’est sans doute pourquoi les instituts se sont largement trompés sur le
score obtenu par le FN lors du vote de dimanche dernier. Les instituts
donnaient de 3 à 6 points de plus au FN ce qui n’est pas rien. Odoxa a même situé
le rassemblement bleu marine à 33 % soit 8 points au-dessus de son score réel.
Les politiques et les
électeurs ne pourront pas dire, comme l’a suggéré Martine Aubry, qu’ils ne
savaient pas ce qu’ils faisaient en soutenant ou en votant pour le FN. Je me
tue (c’est une image) à répéter que l’implantation du FN dans la vie politique
française ne sera pas durable. Certes, il se passera quelques années avant que
cette secte perde ses adeptes. Mais avec le retour de la croissance et donc de la baisse du chômage et d’un
comportement respectueux des promesses de la part des partis de gouvernement,
je ne doute pas que la vague frontiste reculera jusqu’à revenir à son étiage
originel : le vote des nostalgiques du Vichysme.
(1) Même si de plus en plus de femmes votent pour Marine Le Pen.
(2) Les affaires Cahuzac et Sarkozy ont dégoûté certains électeurs du bipartisme.
(3) Marine Le Pen s'est félicitée de la victoire de Syriza en Grèce.
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