10 juillet 2011

L'état des canalisations d'eau est catastrophique : qui va payer la note ?

«L’état des canalisations est catastrophique », a révélé Jacques Dolmazon, président de la Fédération  « canalisateurs de France ». Vieillesse des tuyaux, absence d’entretien, vétusté des installations, 6 milliards de mètres cubes fuient des canalisations chaque année, soit 25% de la consommation d’eau en France. L’urgence est réelle et le rythme actuel des travaux n’atteint même pas 0,6% du réseau. Selon Jacques Dolmazon, « il faut investir immédiatement 1,5 milliard d’euros par an pour remplacer les milliers de kilomètres et rattraper le retard ». De son côté, Marc Reneaume, directeur général adjoint de Veolia Eau, dénonce ce catastrophisme et assure « de la qualité de ses installations ».

Augmenter la facture d’eau et les impôts 
Qui va payer? Pour répondre à cette question stratégique, les entreprises de canalisations ont laissé répondre un député invité à  la présentation du rapport. André Flajolet, vice président du Conseil national de l’eau et député UMP du Pas-de-Calais : « Les contribuables et les usagers de l’eau devront être sollicités, de façon raisonnable. » Une solution simple et efficace. Mais, curieusement, ce député, reconnu pour son expertise du secteur et des entreprises de l’eau, ainsi que les canalisateurs, ont oublié que les consommateurs avaient déjà payé, depuis des années, une partie de la facture.

Le magot des provisions pour renouvellement
Jean-Luc Touly
Explications. Jusqu’en 1998, sur chaque facture d’eau, une petite somme (quelques euros) était prélevée par les entreprises du secteur (Veolia, Suez, Saur) pour réparer les réseaux. Les petites rivières faisant les grands fleuves, les distributeurs d’eau ont ainsi engrangé entre 3 et 10 Milliards d'euros, selon les estimations. Et ils n’ont pas tout dépensé en travaux. En novembre 2003, Jean-Luc Touly, salarié de Veolia, et Roger Lenglet publient un livre* explosif dans lequel ils révèlent que Vivendi (ex-Générale des eaux), sous la houlette de Jean-Marie Messier, siphonnait depuis des années l’argent des tuyaux vers une filiale en Irlande pour revenir à la maison mère. Pour légaliser ce tour de passe-passe, Jean-Marie Messier avait eu l’idée « géniale » de transformer les milliards des provisions en prime de garantie en cas d’accidents du réseau. Du coup, dans toute la France, des collectivités et des associations sont montées au créneau pour réclamer ces sommes indûment perçues. Ainsi, à Lille, la chambre régionale des comptes a épinglé les distributeurs d’eau, estimant à 160 Millions d'euros les travaux non réalisés. Quant à Paris, l’équipe Delanoë, avec Anne Le Strat, PDG de la Sagep (Eaux de Paris), a obtenu un retour, sous forme de travaux, de plus de 150 Millions d'euros détenus par Veolia et Suez. Comme par miracle, le taux de fuite a chuté de 10 à 3,5%. Une belle performance qui n’a pas empêché les deux géants de l’eau de se faire éliminer de la capitale avec le retour en régie

* « Multinationales de l’eau, les vérités inavouables », Ed. Fayard.

« Un parfum de scandale sur ces tuyaux », Jean-Luc Touly, membre du Comité national de l’eau. Propos recueillis par E.G. | 07.07.2011, 07h00. Ce salarié de Veolia, trublion du secteur, a animé plus de 1 000 débats dans toute la France pour alerter sur les problèmes de l’eau. Notamment à Val-de-Reuil à l'invitation de l'association pour la protection de l'environnement.

Le réseau d’eau est dans un état catastrophique. C’est une surprise?

JEAN-LUC TOULY. Non, les entreprises privées n’ont pas entretenu a minima ces canalisations et ne les ont pas renouvelées à temps. Les canalisations ont une durée de vie de cinquante à cent ans et on les change au bout de cent cinquante ans. Il y a un parfum de scandale sur ces tuyaux, que je dénonce depuis des années.
Le député André Flajolet réclame une augmentation de la facture de l’eau et des impôts, le député, je le connais, je siège aussi au Comité national de l’eau. Il avait déjà fait cette proposition. Soyons sérieux, cet élu de la République a la mémoire qui flanche. Si tout le monde s’accorde sur la gravité de la situation, il faudrait déjà que les grandes entreprises de l’eau rétrocèdent jusqu’au dernier centime les milliards versés pendant des années par les usagers. On le sait, une partie de cet argent n’a jamais servi aux travaux. Heureusement, la loi de décembre 2006 a changé les règles du jeu et oblige les sociétés privées à reverser le surplus des sommes non utilisées.

Pourquoi les canalisateurs ont des trous de mémoire sur cette affaire de provisions?

Ils sont parfaitement au courant, mais ce qu’ils veulent, c’est faire du chiffre d’affaires. Ils ne vont pas se mettre à dos les distributeurs, avec qui ils ont des intérêts croisés. C’est facile de demander aux citoyens de payer la note. Note qu’on va leur resservir une deuxième fois.  (Le Parisien)

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