11 juillet 2011

François Loncle émet des doutes et des réserves sur l'intervention en Libye

(photo JCH)
« L'intervention en Libye soulève maintes réserves. Le Gouvernement doit fournir des éclaircissements et dire comment sortir de cette situation. Quatre mois de bombardements soulignent l'impréparation et l'imprévoyance d'une opération, qui était présentée au départ comme facile et rapide et qui répondait surtout au souci de faire oublier la pusillanimité, voire la complaisance, du gouvernement français à l'égard des régimes renversés par le « printemps arabe ».

   
— Nous avons condamné le régime brutal et répressif de Kadhafi. Nous avons critiqué  la pompe avec laquelle le dirigeant libyen a été accueilli en France en 2007. 
  
— Nous avons approuvé et soutenu la résolution 1973 qui visait à protéger la population civile de Benghazi d'une attaque imminente des forces de Kadhafi avec l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne. Il s'agissait alors d'une intervention humanitaire. 

— La résolution 1973 est, depuis longtemps, totalement outrepassée. On assiste à un détournement du droit international. La coalition internationale n'est plus une force d'interposition mais elle a pris clairement partie dans un conflit qui s'est transformé en guerre civile. La France a été encore plus loin en parachutant des armes aux rebelles, ce qui est une flagrante entorse à l'embargo sur les armes imposé par l'ONU le 26 février 2011, en vertu de la résolution 1970. L'intervention ne consiste plus à protéger les civils, ce qui a été atteint rapidement, mais vise à renverser Kadhafi par la force (voire le liquider physiquement), ce qui ne correspond pas au texte onusien. L'interprétation extensive donnée par la France à la résolution 1973 affaiblit singulièrement la légitimité de l'intervention qui est basée sur la notion de « responsabilité de protéger ». Le concept de « responsabilité de protéger », qui avait avantageusement remplacé le très contestable « devoir d'ingérence », a été dévoyé et il sera très difficile d'y faire appel de nouveau.

—La résolution 1973 n'exige absolument pas de changement de régime. Or, la coalition a multiplié les tentatives d'assassinat du chef libyen, au point de concentrer désormais les tirs sur Tripoli ou les résidences supposées de Kadhafi. 

—Les principaux pays participant à l'intervention, et notamment la France, revendiquaient à l'origine le soutien de l'Union Africaine (UA) et de la Ligue arabe. Or, ces deux organisations se sont à présent nettement distanciées de la coalition internationale et multiplient les reproches à l'encontre de cette opération militaire. L'Union africaine a critiqué la mise en examen par la Cour pénale internationale de Kadhafi, arguant que cela compliquait davantage la recherche d'une issue politique et refusant de coopérer avec la CPI. Quant à la Jordanie et au Qatar, leur participation à la coalition est minimale.  

Le détournement d'armes prend une ampleur très préoccupante. Des groupes islamistes organisent un vaste trafic à partir de la Libye. Des caisses d'armes et de munitions ont été interceptées dans la région du Sahel. Ainsi, l'armée nigérienne a saisi, le 1é juin, 640 kg d'explosifs et de détonateurs provenant des arsenaux libyens.

La crise libyenne favorise les infiltrations d'AQMI. Les terroristes se sont emparés d'armements, de munitions, d'explosifs, voire de missiles sol-air. Ils se sont renforcés sur le plan militaire. AQMI en profite également pour étendre ses activités, en implantant des cellules au Sénégal et au Nigéria. 

La crise libyenne a déjà eu des répercussions sur les pays voisins et fait craindre une déstabilisation de toute la région.

Il y a un risque d'enlisement des opérations militaires et de multiplication des « dommages collatéraux », des « bavures ». De leur côté, les rebelles se sont livrés à des exactions, notamment à l'encontre des travailleurs africains accusés souvent à tort d'être des mercenaires à la solde de Kadhafi. 
 La crise libyenne a exacerbé les tensions et les désaccords au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, de l'Alliance atlantique et de l'Union européenne. La Russie et la Chine (ainsi que le Brésil et l'Afrique du Sud) manifestent ouvertement leur opposition à la manière dont est menée l'intervention militaire. Mais nous n'avons pas du tout approuvé que le commandement de l'opération soit rapidement  transférer à l'OTAN, sans que l'Assemblée nationale soit consultée sur cette décision très importante. De plus, au sein de l'OTAN sont apparus de graves dysfonctionnements et des faiblesses structurelles. L'organisation atlantique ne peut agir sans les capacités opérationnelles et logistiques des Américains. Enfin, l'UE a été incapable de définir une position commune, a exposé au grand jour ses profondes divergences et révélé l'inefficacité de son service de politique extérieure.
 
La prolongation imprévue des opérations militaires entraîne un coût très élevé. L'intervention en Libye grève lourdement les finances publiques.  

Les opérations militaires mettent en valeur les limites des capacités d'intervention françaises: le porte-avions Charles de Gaulle risque d'être immobilisé pendant toute une année; la formation des jeunes pilotes pâtit de la mobilisation des avions de combat et de transport sur le théâtre libyen.

La résolution 1973 n'évoque pas le Conseil national de transition (CNT) de Benghazi dont la légitimité morale et politique pose problème. Au demeurant, ce CNT comprend des personnages hétéroclites, certes des opposants mais aussi des islamistes, des monarchistes et des transfuges du régime, à tel point que l'ancien numéro 2 (le général Younès, ancien ministre de l'Intérieur et actuel chef d'état-major des forces rebelles) et l'ancien numéro 3 (Moustapha Abdeljalil, ancien ministre de la Justice impliqué dans la condamnation des infirmières bulgares) du régime affrontent le numéro 1! 

La confusion régnant en Libye est propice aux détournements d'armements et au pillage des arsenaux. Des interlocuteurs mauritaniens m'ont certifié que les arsenaux de Libye avaient été pillés par des djihadistes d'AQMI.  Le 11 mai, devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, Soumeylou Boubèye Maiga, ministre des affaires étrangères du Mali, confirmé que « la crise a accentué le trafic des armes », ce qui « aggrave l’insécurité et peut profiter autant aux trafiquants qu’aux terroristes ». 

La Libye et toute la région se retrouvent déstabilisées. Des dizaines de milliers de personnes ont fui le pays et se sont réfugiées dans les pays limitrophes ou vers l'Europe. La France a adopté une position schizophrénique, en protégeant les populations sur place mais en empêchant les Libyens qui fuient les combats de trouver refuge dans l'Union européenne.

Rechercher une solution politique :

Le temps de l'intervention militaire doit s'achever et faire place au temps de la diplomatie. Dès lors que les forces aériennes de Kadhafi sont détruites, dès lors que le danger planant sur les villes aux mains des insurgés est écarté, il est possible d'imposer un cessez-le-feu à toutes les parties belligérantes. Il convient d'entamer sans tarder des négociations politiques, de préférence sous l'égide de l'Union africaine.

François Loncle, Député de l'Eure, vice-Président du Groupe socialiste



Aucun commentaire: