Ce texte est paru sur le site du Huffington Post :
« Fillon
et Juppé annoncent qu'ils veulent abolir le tiers payant instauré par Marisol
Touraine et qui avait suscité l'hostilité de l'ensemble des syndicats de
médecins libéraux. Tous les deux s'engagent à respecter les principes de la
charte de la médecine libérale adoptés 1927 dont le paiement direct au médecin
et la liberté totale d'installation (y compris donc dans les bassins de vie
sur-dotés en médecins et y compris pour les médecins s'installant en secteur 2
comportant un droit aux dépassements d'honoraires). Tous deux, pour réduire la
place coûteuse de l'hôpital, veulent renforcer celle des médecins généralistes
traitants dans la prise en charge des personnes atteintes de maladies
chroniques et dans la permanence des soins. Tous les deux veulent réduire
l'aide médicale d'Etat (AME) pour les malades sans ressource et sans papier.
Enfin tous les deux sont hostiles à la PMA en dehors du traitement de
l'infertilité et opposés à la GPA pour des raisons éthiques.
Mais ils
divergent fortement sur deux sujets majeurs pour l'avenir de notre système de
santé : la place de la Sécurité sociale dans le financement des soins et le
statut de l'Hôpital public
Pour
réduire les dépenses publiques de santé, François Fillon propose d'augmenter la
dépense privée en transférant la prise en charge des soins courants (hors
hospitalisation et affections graves) aux assurances complémentaires
(mutuelles, instituts de prévoyance et compagnies d'assurance). Elles sont
pourtant moins justes (la cotisation ne dépend pas ou peu des revenus et
augmente avec l'âge et la charge de famille), moins égalitaires (le
remboursement des soins dépend du niveau de la cotisation) et moins efficientes
(les frais de gestion se situent autour de 20% du chiffre d'affaire pour les
complémentaires contre 6% pour la Sécurité sociale). De plus François Fillon
souhaite instaurer une « franchise
médicale universelle fonction des revenus dans les limites d'un seuil et d'un
plafond, le reste à payer étant pris en charge par les assurances
complémentaires ». Voilà un remède énergique qui va tuer à coup sûr le
malade ! Très vite en effet les personnes appartenant aux classes moyennes,
bien portantes, ayant une bonne hygiène de vie et sans risque génétique connu,
en auront assez de payer deux fois pour la santé : une fois la Sécurité sociale
au titre de la solidarité avec les personnes ayant une maladie grave et avec
les très pauvres, alors que l'Assurance maladie ne leur remboursera plus
pratiquement aucun soin, et une deuxième fois leur assurance privée de plus en
plus chère pour eux et leur famille. Ils en viendront logiquement à réclamer la
fin du monopole de la Sécurité sociale. Et ce sera la fin du modèle solidaire
mis en place en 1945 que beaucoup de pays nous envient. Les assurances privées
complémentaires regroupées depuis 2004 dans l'UNOCAM, ayant en charge le
financement des soins courants, auront toute latitude pour exiger
l'organisation de filières de soins concurrentielles par conventionnement
sélectif des médecins. Les médecins y perdront une part de leur indépendance et
les patients une part de leur liberté. Le "libéralisme médical"
cédera le pas à la liberté des assureurs, bien sûr régulée par l'Etat.
Alain
Juppé, dans son document programme "agir pour la santé", s'engage "pour
le prochain quinquennat à maintenir le niveau de prise en charge par
l'Assurance maladie des dépenses de santé des Françaises et des Français"
(soit en moyenne 76.5%). Pour cela il compte sur la "lutte contre les
fraudes, sur une réduction du coût de fonctionnement de l'assurance maladie
obligatoire" et sur "la tolérance zéro pour les actes inutiles ou
redondants qui ne sont pas sans danger pour la santé et coûtent extrêmement
cher à l'assurance maladie". "La clé" dit-il "c'est la
poursuite déterminée de la pertinence des soins ...par des dispositifs
d'évaluation élaborés avec les professionnels". Les bases de données de
l'hôpital et de la Sécurité sociale complétées par la constitution d'une base
de données spécifique pour la ville permettraient un pilotage médicalisé visant
à réduire les disparités non justifiées des actes et des prescriptions . De
plus à la question de savoir "s'il faut encourager financièrement les
assurés à adopter une bonne hygiène de vie ?" Fillon répond, comme les
assureurs, « Oui, les mesures incitatives
sont un levier » et Juppé répond « Non,
je suis hostile à des remboursements en fonction des comportements, c'est la
porte ouverte à toutes les discriminations ».
Reste
l'Hôpital public mis à mal d'une part par les conditions dans lesquelles y a
été appliquée la Loi Aubry-Jospin sur les 35 heures et d'autre part par la loi
HPST Bachelot-Fillon visant à faire fonctionner l'hôpital comme une entreprise
commerciale.
L'un et
l'autre veulent revenir sur les 35 heures : 39 tout de suite payés 37 pour
Fillon et augmentation du temps de travail après négociations intégralement
payée pour Juppé. Tous deux veulent réintroduire un ou deux jours de carence en
cas d'arrêt de travail dans l'espoir de réduire l'absentéisme. Simple mesure
symptomatique et non traitement étiologique. La cause du mal en effet a été la
généralisation de la tarification à l'activité( T2A) dans le cadre d'un budget
de plus en plus contraint entrainant automatiquement une baisse régulière des
tarifs et une course sans fin à l'activité au détriment de la qualité. D'où la
perte de sens et la démotivation. François Fillon dans la suite de la loi HPST
propose de revenir à la convergence tarifaire entre l'hôpital public et les
cliniques commerciales organisant une concurrence totalement déloyale.
Logiquement il envisage de transformer progressivement l'hôpital public en
établissement privé à but non lucratif (ESPIC). Ainsi comme dans une clinique
commerciale, le directeur aura plus de liberté pour embaucher ou débaucher,
pour faire varier la rémunération des professionnels en fonction de leur
rentabilité, pour choisir les activités médicales jugées rentables (la
chirurgie de l'obésité, la dialyse, l'opération de la vésicule ou des varices...)
étant entendu que le but n'est pas de coûter moins cher à la Sécurité sociale
mais au contraire d' "optimiser les recettes de l'établissement». Et puis
l'avantage d'un ESPIC, c'est qu'il peut en cas de déficit être mis en faillite
et racheté par la Générale de Santé. Alain Juppé veut également "donner
plus d'autonomie budgétaire aux hôpitaux" mais il promet de
"maintenir le statut de la fonction publique hospitalière et faire évoluer
la tarification hospitalière" en développant non la concurrence mais la
complémentarité entre le public et le privé. Il insiste : "Faire évoluer
l'hôpital n'exige en rien de casser le statut de la fonction publique
hospitalière".
Voilà
pourquoi les personnes attachées à la Sécurité sociale et au Service public
hospitalier ne devraient pas voter pas pour François Fillon.
André Grimaldi Professeur
émérite, CHU Pitié Salpêtrière
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