8 juillet 2016

Le référendum n'est pas l'outil démocratique qu'on croit


Les votations suisses expriment des photos fugaces de l'opinion. Pas des opinions.
J’espère que les éditeurs de Libération ne verront pas malice après que je reproduis ci-dessous, une tribune parue dans le quotidien de ce matin. Le texte de Corine Pelluchon correspond en tous points à ce que je pense du référendum et de l’usage qui en est fait par les politiques. Si j’exclue Marine Le Pen, dont les objectifs sont trop clairs, J’invite Jean-Luc Mélenchon dont l’attachement à la République n’est plus à démontrer, à lire avec attention ce texte plus important qu’il y paraît. Même Sarkozy devrait s’en inspirer…à moins que son absence de scrupules le rende insensible aux arguments de la raison.

« Répondre par «oui» ou «non» à une question réductrice ne conforte pas la démocratie qui doit être reconstruite.
Contre celles et ceux qui estiment qu’il faut accepter comme étant démocratiques les résultats du référendum ayant eu lieu au Royaume-Uni, mais aussi à Notre-Dame-des-Landes, je voudrais apporter un démenti fondé sur certains arguments. Si je déplore, dans les deux cas, les résultats de ces deux référendums, j’aimerais me concentrer ici sur la légitimité démocratique de ce procédé et sur sa pertinence quand il s’agit de statuer sur des questions touchant la destruction irréversible d’un écosystème et l’avenir d’un pays.

Le premier argument concerne le sens politique accordé au référendum. On parle de vote, mais il s’agit plutôt d’un sondage auquel les individus sont appelés à réagir par «oui» ou par «non». Je dis bien : «réagir». Certes, les différents camps ont fait campagne afin de défendre leurs positions. Cependant, un référendum invite à une simplification des enjeux : on est «pour» ou «contre» un projet. Alors qu’une campagne électorale est cristallisée autour de personnalités incarnant un programme qui présente, même de manière sommaire, quelques idées ou propositions, et que l’élection d’un représentant le crédite, du moins au départ, de sa capacité à s’adapter aux situations imprévisibles et au contexte, le référendum fige la décision en amont et en aval. En amont, les individus n’ont pas eu à réfléchir aux conséquences multiples de leur choix ni à décentrer leur point de vue pour imaginer ce que pourraient être le point de vue et les intérêts des autres. En aval, parce qu’une fois que les résultats du référendum sont connus, il n’y a plus d’adaptation possible au contexte et plus de négociation, du moins pour ceux qui croient qu’il faut se soumettre à ce verdict.

Cela est très clair au Royaume-Uni. Or, celles et ceux qui ont voté pour la sortie de l’Europe ont des enfants et des petits-enfants. Mais, parce que le référendum est un procédé qui pousse à la réaction, et non à la délibération, ils n’ont pas pesé le pour et le contre, ni n’ont intégré dans leur jugement le bien commun, celui du pays et, en particulier, des jeunes.

Ainsi, le référendum est le contraire de la délibération. Celles et ceux qui jugent qu’il est démocratique d’accepter les résultats de la majorité confondent le référendum et le vote, prouvant leur méconnaissance de la démocratie délibérative. Or, celle-ci est la chance d’une reconstruction de la démocratie et le contrepoids indispensable à ce mélange entre démagogie et autoritarisme qui caractérise notre époque. Elle suppose que l’on se donne le temps de présenter une argumentation de qualité qui peut refléter les controverses sur un sujet, mais n’est jamais soluble dans des clichés. De même, la démocratie délibérative s’adresse à l’intelligence des citoyens et à leur sens de l’intérêt général, et elle les encourage.

Penser que le référendum est le lieu d’expression de la souveraineté populaire, c’est ignorer le sens même du terme «souveraineté populaire» et l’idée selon laquelle le peuple est à la fois le sujet et l’objet des lois, celui qui s’y soumet et celui qui contribue à leur élaboration, de manière directe (comme chez Rousseau) ou indirecte (comme dans la démocratie parlementaire). La souveraineté populaire renvoie aussi, en chacun de nous, à une dualité, puisque nous sommes des êtres de passion et des êtres de raison, des êtres égoïstes visant leur intérêt particulier et des êtres capables d’appréhender ce qui est universel ou universalisable, et même de comprendre que leur intérêt bien compris n’est pas séparable de l’intérêt général et du souci du long terme.

Le référendum est, au contraire, un procédé qui flatte ce qu’il y a de particulier et de corporatiste en chacun de nous. Il favorise l’expression des impulsions immédiates et du ressentiment. Dans ce jeu, les passions priment toujours sur les intérêts, ce qui divise sur ce qui unit, ce qui rompt et détruit sur ce qui réconcilie et construit, ce qui est immédiat sur le souci du long terme.

Non seulement ces deux référendums révèlent le manque de sens politique des décideurs, mais de plus leurs résultats trahissent l’oubli de la jeunesse et l’incapacité à opérer la transition vers un autre modèle de développement. Car il est une question qu’il faut se poser et qui est double, voire triple : à qui profite le système économique fondé sur l’extraction fossile, et donc sur la production et la consommation qui s’ensuivent ? A la majorité ou à une minorité ? Si nous passions à un autre modèle, est-ce que la population mondiale et les pauvres en France, et ailleurs, en souffriraient ? N’y aurait-il pas là une occasion de redéfinir les richesses et même d’en créer, en misant sur les énergies renouvelables, la relocalisation de l’industrie, du travail, sur les alternatives à l’alimentation carnée, etc. ? Ces questions et ces pistes de réflexion ne peuvent pas être abordées ni développées dans le cas d’une campagne précédant un référendum.

Or, s’il y a deux thèmes qui devraient être au cœur de la politique, en France et partout dans le monde, ce sont bien : 1) la transition vers un modèle de développement moins gourmand en énergies fossiles, plus respectueux des humains et des animaux et de leurs milieux, susceptible de créer de nouvelles richesses, dont certaines ne se réduisent pas à la croissance telle qu’elle est encore définie aujourd’hui. 2) la jeunesse. Qu’est-ce qu’une civilisation qui ne fait rien pour les jeunes ? Qu’est-ce qu’une démocratie qui étouffe la voix des jeunes qui osent dire qu’ils veulent un autre modèle de développement que celui que nous subissons, lié au capitalisme fossile, destructeur de la Terre et de ses habitants ? »


Dernier ouvrage paru : les Nourritures. Philosophie du corps politique, Le Seuil, 2015.


Aucun commentaire: