Cécile-Anne Sibout. (photo JCH) |
La presse locale a-t-elle
encore un avenir ? Pour l’écrire autrement, la presse locale est-elle
morte…ou sur le point de mourir ? Le modèle économique sur lequel elle a été
bâtie : acheteurs, abonnements, publicité…n’est plus viable. La
concurrence des réseaux sociaux et des sites d’informations met à mal cette
presse trop longtemps cloisonnée dans un carcan idéologique « neutre » ne
permettant pas au lecteur de ressentir une humeur, de vivre des émotions ou d’apprendre
sur le monde alentour. Pourtant, cette presse a connu ses trente glorieuses.
Après guerre et jusque dans les années soixante dix la presse locale touchait
de nombreux citoyens, les taux de pénétration étaient exceptionnels et de
nombreuses plumes de qualité exerçaient leur métier d’informateurs avec une
vraie passion et aussi une vraie reconnaissance économique.
La conférence donnée par Mme
Cécile-Anne Sibout, samedi dans la salle Pierre Mendès France de Louviers et
consacrée à l’histoire de Paris-Normandie a ouvert bien des chemins. D’un grand
quotidien régional tirant à 180 000 exemplaires sous la direction de Pierre René
Wolf, le journal de l’Eure et de la Seine-Maritime ne diffuse plus qu’à 40 000
exemplaires ? Placé en procédure de redressement judiciaire, le groupe
Ouest France attend patiemment que le quotidien rouennais termine sa vie de sa «
belle » mort ou plutôt soit condamné à la liquidation, les biens matériels
(imprimerie, locaux, bureaux régionaux) ne représentant plus que les seuls
actifs.
Il y a belle lurette, en
effet, que Paris-Normandie n’est plus le journal de référence régional haut
normand. La cause ? Les multiples conséquences de la mainmise de Robert
Hersant d’abord et de son fils ensuite lors de tractations peu morales et à une
gestion déplorable de contrôleurs à la petite semaine intronisés directeurs de
journaux. Quand il y a à ce point fêlure entre les lecteurs de bilans et ceux
qui ont soif de nouvelles, la chute finale n’est jamais loin. François Charmot,
ancien journaliste de PN et membre de la SED, organisatrice de la conférence, a
témoigné de la lente agonie du journal qui l’employait. J’ai moi-même rappelé
comment La Dépêche avait fini par tomber dans les mains de Ouest-France après
que le groupe Hersant avait racheté l’hebdo de l’Eure en 1994 et en avait fait
plus une feuille qu’un outil culturel ou d’enquêtes. On ne peut tout miser sur
les gratuits de publicité et en même temps attendre des journalistes et des
lecteurs un succès éditorial…Et pourtant, si j’en crois la conférencière, l’avenir
d’une presse digne de ce nom résiderait dans le développement de l’investigation,
de papiers personnels et de magazines, dans la conquête d’une nouvelle clientèle
rajeunie et renouvelée comme dirait l’ancien maire de Louviers, Franck Martin.
François-Xavier Priollaud,
maire et conseiller régional, est conscient de la fragilité de la presse
locale. Il pense pouvoir l’aider en incitant la Région à acquérir des espaces
de publicité pour faire de l’information d’intérêt général plutôt qu’en éditant
elle-même son journal. L’ancienne majorité de gauche privilégiait l’approche
interne. Celle de droite semble préférer la délégation…on verra à l’usage
sachant que la région compte plus de trois millions d’habitants, que cinq départements
très dissemblables la peuplent et que le nombre important d’hebdomadaires est
trompeur puisque dans les mains du seul groupe Ouest-France bientôt unique
diffuseur de presse papier dans notre région. Cette situation de monopole n’est
pas saine car la démocratie a besoin de pluralisme. Je sais bien que l’Etat
aide la presse d’opinion en difficulté et que la presse locale a nécessairement
besoin d’élargir son champ de convictions. Le groupe Ouest France, fort diversifié, n'a pas besoin des aides directes de l'Etat…Il vit sur ses acquis et ses parts de marchés. Jusqu'à quand ?
FX Priollaud veut aider la presse locale en achetant des espaces. |
Les aides indirectes (taux
de TVA, tarifs postaux, aides fiscales) bénéficient, elles, à l’ensemble des journaux
contrôlés par l’OJD (office de justification et de diffusion) mais cette presse
sous perfusion ne sera jamais guérie des maux qui la rongent : le vieillissement
du lectorat, le désintérêt des jeunes (ils préfèrent les Smartphones !) l’absence
d’interactivité si prisée des lecteurs d’aujourd’hui (avec son pendant négatif
l’anonymat) et aussi le contenu… à l’évidence, il faudra plus que la vie assez
banale des associations pour attirer de nouveau les lecteurs vers la presse de
proximité. Et Cécile-Anne Sibout d'insister sur l'obligation faite aux journaux locaux, s'ils veulent survivre, de se tourner vers l'investigation.
Alors quelles solutions ?
La création de sites régionaux type Mediapart, est-elle possible, est-elle
souhaitable ? Daniel Jubert, ancien directeur d’un journal du groupe
Hersant, y est favorable : La réussite économique du site créé par Edwy
Plenel est éclatante : 115 000 abonnés, des bénéfices sensibles en fin d’année,
des journalistes professionnels chasseurs de scoops et auteurs d’articles profonds,
une rédaction conséquente, seul bien réel de la société car bien immatériel culturel
irremplaçable. Et surtout outil de contrôle démocratique des élus en place. Sans
Médiapart, par d’affaires Bettencourt ou Cahuzac !
A ce titre, les blogs (dont
le mien) animés par des bénévoles concernés peuvent également jouer un rôle
dans la diffusion des informations locales avec tel ou tel angle permettant,
comme on dit, une mise en perspective des informations. Cela nécessite du temps,
de la curiosité, une volonté de partage et aussi le désir de continuer à apprendre.
Aucun événement n’est banal. Dès lors qu’on l’explique, on entre dans ce monde mystérieux
et divers des comportements humains. Voilà un sens à donner à la vie. Bien sûr,
on aurait besoin d’un Paris-Normandie de la belle époque. On ne refait pas l'Histoire.
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