Un public nombreux et attentif aux propos d'Yvette Petit-Decroix. (photo Jean-Charles Houel) |
Petite annonce : cherche thésard(e) et (ou) président(e)
d’association apte à passer quatre ou cinq années à éplucher les nombreux
documents et archives relatifs au domaine de Louis Renault dans la boucle de
Seine d’Herqueville-Connelles-Daubeuf-Muids et Andé.
Yvette Petit-Decroix
trouvera-t-elle la perle rare ? Après le travail immense engagé par elle-même
au titre de la pure connaissance et de la joie de transmettre, il serait bien
qu’une âme passionnée s’attachât à poursuivre cette patiente et rigoureuse
obsession.
La salle Pierre Mendès
France de l'hôtel de ville de Louviers a connu une belle affluence, hier, répondant ainsi avec élégance à l’invitation
de la Société d’études diverses à laquelle appartient Yvette Petit-Decroix très
à l’aise devant son micro pour narrer une aventure humaine colossale.
Le domaine de Louis Renault,
tout le monde en parle mais personne ne sait vraiment de quoi il retourne. Les
pires fantaisies circulent : 20 000 hectares…un tunnel jusqu’à Château-Gaillard…Drieu
La Rochelle y séjournait…que de rumeurs !
La réalité est plus prosaïque
mais non moins surprenante. A son apogée, en 1939, le domaine Renault couvre
2000 hectares, il comprend une dizaine de fermes productives et surtout un
ensemble de constructions neuves ou restaurées à usages professionnel et privé.
Il est le résultat d’une attention permanente et d’une inlassable série d’acquisitions
fruit d’une fortune évidente. Le constructeur automobile a tout compris du système
puisqu’il réussira à acquérir des chemins communaux ou des équipements publics
allant même jusqu’à rénover l’église d’Herqueville !
Louis Renault, bricoleur de
génie, a découvert la boucle de Seine par hasard, il jette sur elle son dévolu
au début du 20e siècle imaginant y développer un domaine agricole très
varié : céréales, vaches laitières, beurre, porcs, volailles, lapins et même
le cidre ! N’en jetez plus la cour est pleine. Situé près de Paris, relié à
la capitale par route et voie ferrée, dans un site merveilleux, le domaine
exceptionnel de Louis Renault lui permettra d’exprimer tous ses talents d’industriel,
d’inventeur, de bâtisseur.
Yvette Petit-Decroix. |
Au fil des années, les
hectares s’accumulent, les châteaux et les fermes s’embellissent, les
productions se diversifient. Maison de matelots en bord de Seine, château d’habitation
sur les hauteurs, architecture anglo-normande, mécanisation des outils de
production, ordre et organisation rationnelle, régisseurs, chefs de fermes, à l’évidence
sans la seconde guerre mondiale, le domaine Renault se serait encore considérablement épanoui
et aurait fait de notre région immédiate l’une des plus enviées de l’ouest
parisien.
Yvette Petit-Decroix ne dira
mot de la fin de vie de Louis Renault. Comme on le sait, ses usines de Billancourt
seront nationalisées quelques mois après sa mort par le gouvernement du général
De Gaulle pour faits de collaboration économique. De 1940 à 1944, des chars,
des camions et d’autres engins sont sortis des usines de l’île Seguin et ont
immédiatement équipé l’armée allemande. Décédé en octobre 1944 (1) dans la cellule
qu’il occupait à la prison de Fresne, il n’aura donc jamais été jugé. Certains ont
expliqué la mort de Louis Renault par de mauvais traitements qu’on lui aurait
infligés. Il semble, en réalité, qu’il soit mort des suites de maladie. Il
avait 67 ans. Son fils Jean-Louis a tenté de poursuivre l’œuvre entreprise mais
en 1962, le domaine est éclaté et c’est la fin de l’histoire. Fin provisoire, peut-être, si, comme je le crois, une bonne âme accepte de se saisir du flambeau brandi par Mme Petit-Decroix. Parmi les nombreux propriétaires actuels des châteaux, maisons, terrains, il en est qui ignorent l'origine de leur bien. Cette conférence et le livre de Mme Petit-Decroix éveilleront sans doute des vocations d'historien parmi ces successeurs de Louis Renault.
(1) En 2011, sept des
petits-enfants de Louis Renault engagent une procédure afin d'obtenir une
indemnisation du préjudice causé par la nationalisation. Ils tentent de faire
valoir une question
prioritaire de constitutionnalité, en arguant du fait que l'ordonnance N°
45-68 du 16 janvier 1945 qui institue la nationalisation serait contraire aux
droits fondamentaux, de la propriété notamment. Ils sont déboutés le 11 janvier
2012 : le tribunal de grande instance de Paris se déclare incompétent pour
statuer sur leur demande. Leurs avocats annoncent leur décision de faire appel.
Le 21 novembre 2012, la cour d'appel de Paris confirme la décision du tribunal
de grande instance de Paris et déboute la famille Renault.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire