Le journal « Le Monde » publie aujourd'hui, un texte
de Pierre Jacquemain, conseiller auprès de la ministre Myriam El Khomri depuis
plusieurs mois. En total désaccord avec l'esprit et la lettre du projet de loi
Travail, il vient de démissionner de ses fonctions. Il explique pourquoi il s'oppose au
texte.
« Pour faire
de la politique,
il faut rêver.
Peut-être ai-je été trop naïf sur la capacité de la ministre du travail, Myriam
El Khomri, à faire rêver et progresser
les travailleurs de notre pays ? A incarner
une parole de gauche, une parole libre, une parole utile, une parole forte. Une
parole juste. Celle qui dénonce la paupérisation de la société, celle qui s’insurge
devant la précarisation du monde
du travail qui conduit des millions de Français à vivre
au jour le jour – avec toujours cette peur du lendemain.
La réforme de Myriam El
Khomri devait porter
l’exigence d’un nouveau modèle de société. C’était, je le crois, l’ambition de
la huitième ministre du gouvernement. Une place de choix dans la hiérarchie
gouvernementale. Un porte-voix exceptionnel pour donner
le la à une réforme majeure du quinquennat dans un gouvernement au parti
pris libéral assumé. Le président de la République lui-même avait fait de cette
réforme l’un des tournants de son quinquennat. Ce devait être
une réforme de progrès, ce sera au mieux une réforme de compromis – voire de
compromission. Au pire, cela restera comme une trahison historique – et destructrice
– d’une gauche en mal de repères.
Pourtant, Myriam El Khomri
a gagné des batailles. C’est une militante qui n’a peur de tenir
tête ni au premier ministre ni au président de la République. Son parcours, ses
engagements, son action à la Ville de Paris
et au secrétariat d’Etat à la politique de la ville auraient pu – auraient dû –
la conduire
à porter haut et fort les revendications des travailleurs.
A défendre
les salariés d’Air France
quand 3 000 postes sont menacés. A s’opposer fermement au travail du
dimanche. Ou encore à ne rien céder
sur les commandes patronales, notamment en matière de licenciement. J’y ai cru.
Et nous avons échoué. Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. Myriam
El Khomri y croit encore. Je n’étais donc plus utile à ses côtés. J’ai quitté
son équipe sur un désaccord politique et stratégique majeur. D’ordinaire, un
conseiller ministériel, petite main de l’ombre, ça ferme sa gueule.
Autoritarisme de Matignon et
poids de la technostructure
Mais, parce que je suis
profondément convaincu que cette réforme nous entraîne collectivement dans le
mur, parce que j’ai la conviction qu’elle sert les intérêts politiques de
quelques-uns et les intérêts économiques de quelques autres (privilégiés),
enfin parce que je suis déterminé à ce qu’une autre voix pèse à gauche, j’ai
assumé publiquement le désaccord qui m’opposait à la ministre. C’est déloyal
diront certains. Je ne le pense pas. Il ne s’agit aucunement de remettre
en cause une ministre en exercice, qui m’a fait confiance au cours de ces dix
derniers mois et que je respecte pour ses qualités humaines.
Il s’agit d’attaquer sur le
fond un texte droitier, une réforme libérale qui déshonore la gauche – pis, l’atomise,
alors que cette gauche-là est en responsabilité. Et quelle responsabilité !
Comment peut-on avoir
raison contre tous ? A quel moment et de quel droit pense-t-on avoir
raison contre ses propres alliés ? Pour qui parlent-ils ? D’où
parlent-ils ? Ils ont tué la gauche.
Aujourd’hui, le malaise est
partout. Dans les cabinets ministériels, sur les bancs de l’Hémicycle, à
droite, à gauche, sur Internet. Et bientôt dans la rue. L’histoire se répète. Prenez Villepin,
mettez Valls. Dix ans plus tard, même remède, même combat. Souhaitons à cette réforme
le même sort que le CPE. Parce qu’il faut tout réécrire. Tout. Qui peut croire
par exemple que favoriser
les licenciements va permettre
de lutter
contre le chômage ? Qui pense sérieusement que la dématérialisation des
fiches de paye est une révolution sociale ? Qui peut décemment parler
de démocratie sociale, au plus près de l’entreprise, quand on sait le rapport
de force qui se joue, au quotidien, entre employeur et employé ?
Ce texte est un non-sens économique.
Une aberration politique. Il résulte d’une équation terrifiante : d’une
part, l’autoritarisme matignonnesque et, d’autre part, l’invasion, à tous les étages,
de la technostructure. La technocratie aura-t-elle raison de la politique ?
Le renouvellement générationnel de nos dirigeants n’est en vérité qu’une façade,
une illusion. Un faux-semblant. Et je veux croire qu’une autre voie est
possible. Elle est possible, souhaitable, et nécessaire. Dehors à présent. Pour
construire
l’alternative à gauche. La politique est une affaire de conviction, de colonne
vertébrale, de vision, de transformation, et de rêve, disais-je. Parce que,
pour faire de la politique, il faut rêver. »
Pierre Jacquemain
Ancien conseiller de Myriam El
Khomri
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