Marc-Antoine Jamet avec Gérard Thurnauer et Jean-Eudes Roulier. (photo JCH) |
« L'architecte et urbaniste Gérard Thurnauer
vient de mourir, peu avant Noël, à l'âge de 88 ans. C'était un grand homme, à
la fois très beau et très bon. Son regard limpide en imposait. Son intelligence
également. Sa simplicité aussi. Il pétillait d'esprit et de charme. Son
charisme ne laissait personne indifférent.
Né aux confluents du judaïsme et du
protestantisme, résistant à 15 ans, élève des Beaux-Arts de Paris à 20 ans, à
l'origine de travaux sur l'agencement moderne de Karachi, au Pakistan, à 25
ans, avant de se passionner pour le renouveau de quartiers populaires de
Paris (La Villette, en 1984, ou la Goutte d'Or, en 1986), la transformation de
Bagnolet (en 1986) ou, plus récemment, en 2000, pour l'aménagement de la baie
de Tarhazoute, au Maroc, auteur, parmi d'innombrables projets de logements ou
d'équipements, du siège d'EDF à Issy-les-Moulineaux (auquel une exposition à la
Cité de l'Architecture avait rendu hommage avant sa destruction), de la Petite
Bibliothèque Ronde de Clamart (Hauts-de-Seine) qu'il affectionnait, du bâtiment
264 d'Aubervilliers, du centre des Mureaux ou du Village de Vacances du Merlier
à Cap Camarat (Var) qui devait précéder d'importantes réflexions sur l'Île de
Porquerolles ou, encore, artisan du choix de l'Arche de Spreckelsen pour conclure
le quartier d'affaires de La Défense grand prix national d'architecture en
1981, il était, avec l'atelier de Montrouge (fondé avec Jean Renaudie, Pierre
Riboulet et Jean-Louis Véret), le concepteur de la Val-de-Reuil.
Influencé évidemment par Le Corbusier,
inventeur de son plan de voirie en grille, adepte d'une construction de forme
scandinave, passionné d'écologie avant l'heure voulant une "ville-pilote
en matière de qualité environnementale", il avait toujours soutenu la
"cité contemporaine". Elle occupait dans son cœur une place à part
et, comme au premier jour, il y croyait dur comme fer, s'enthousiasmant de
chacune de ses réalisations, même les plus récentes ou les plus lointaines.
Comme Jean-Paul Lacaze, ancien directeur de l'établissement public du
Vaudreuil-Ville-Nouvelle et autre père fondateur de notre commune, décédé l'année
dernière, dont la sévérité amère à l'égard de notre Commune avait peu à peu
disparue devant ses efforts, il y voyait le renouveau ou la prolongation
de son propre dessein. A grands pas, veste de tweed, pantalon de velours,
chemise écossaise, épaisses et élégantes chaussures de marche, écharpe de
laine, il arpentait la dalle qu'il voulait poursuivre jusqu'à la Gare nouvelle
pour donner de l'urbanité à l'Eure, pour lui extension naturelle, sur l'eau, de
Val-de-Reuil. Il y était chez lui. Chaque année amenait une de ses visites de
chantier. C'était une tradition sacrée. Nous nous réunissions autour de lui. Ce
n'était ni un prophète, ni un oracle, encore moins un des ces pénibles gardiens
du temple implorant qu'on ne change rien à rien. Pourtant ce n'était un témoin.
Il était resté un acteur proposant des solutions, des évolutions, des
réparations. Jamais il ne critiquait. Il commentait. Il conseillait. Il
corrigeait. Avec bienveillance. L'humain était au cœur de sa démarche. Le
renouvellement urbain, celui de l'ORU, celui de l'ANRU, celui du PNRU2, n'avait
pas de plus grand partisan. Il en demandait des nouvelles, guettait ses avancées,
constatait, avec délectation, ses résultats. Subtil, moderne et drôle, il était
tout sauf un conservateur et détestait qu'on enveloppe son œuvre dans une
naphtaline imbécile.
La Ville Nouvelle se souvient de sa
participation au dernier débat d'orientations budgétaires de la municipalité,
en février 2014, où, déjà malade, il avait
donné à chacun une leçon de courage, de force, d'engagement. Le Monde du 26 décembre
rappelle que c'est à Val-de-Reuil, évoquant une donation d'une soixantaine d'œuvres
qu'il souhaitait faire aux Rolivalois, qu'il avait déclaré : "les sociétés
modernes ne peuvent survivre sans l'art et sans regarder le passé". Il
était, en effet, notre avenir. Depuis le 22 décembre et son départ, la plus
jeune commune de France est orpheline. Nous portons tous ce chagrin et ce
deuil. »
Marc-Antoine JAMET
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