7 mai 2013

« Lettre ouverte à un électeur socialiste qui se pose (peut-être) des questions » par Marc-Antoine Jamet


Au soir de la victoire de François Hollande. (photo JCH)
François Hollande, 365 jours après le 6 mai. 

Cher(e) camarade, Cher(e) ami(e),

Il y a un an, grâce à ton vote, grâce à celui des millions de Français qui ont fait le même geste que le tien, François Hollande était élu à la Présidence de la République. Lui, Chef de l’Etat, il devenait ainsi, après François Mitterrand en 1981, le deuxième socialiste à accéder à la magistrature suprême sous la Cinquième République. Nous, ses partisans, ses militants, nous en étions fiers. Nous, ses soutiens, ses supporters, nous en étions même heureux. A la Bastille, revenait l’air d’une chanson que nous aimions bien. Le temps passe-t-il si vite ? Certains paraissent aujourd’hui ne plus se souvenir de cette joie qui faisait tressaillir le « Peuple de Gauche », de ces regards victorieux, de ses visages libérés. Commentant telle ou telle décision du pouvoir qu’ils ont contribué à désigner, ils osent faire la petite bouche ou, regrettant telle ou telle prise de position, ils laissent apparaître une triste figure. C’est selon.

Alors, il n’est pas inutile de leur rappeler l’atmosphère délétère qui, à droite, entoura une fin de campagne marquée par la fraternisation avec les idées les plus extrêmes, les plus obscures, le rejet qui entoura les derniers jours du président sortant, ses manières discutées, ses amis discutables, le mélange de dette et de déficit qui caractérisa sa politique cinq années durant. Prolongeant celles, toutes aussi néfastes, mais moins brutales, de son prédécesseur, ses erreurs constituent, de fait, la première explication à l’absence de croissance et au chômage de masse dont, désormais, nous sommes accablés. L’une comme l’autre ne sont pas apparus, comme par un soudain désenchantement, au soir d’un dimanche électoral. Le feu ne couvait pas sous la cendre. C’est parce que l’incendie était gigantesque et que les citernes étaient vides que le suffrage universel a désigné les socialistes.

On nous reproche déjà de peiner à réparer en douze mois ce qui a été -mal- fait en douze ans ? Soyons logiques. Imaginons ce qu’auraient été notre vie et, par la suite, notre tâche, si l’équipe néoconservatrice dont, comme un fardeau, nous portons désormais le bilan, creusant l’ornière, avait appliqué son programme cinq années de plus. Injustices fiscales, inepties économiques et inégalités sociales se seraient accrues au lieu d’être corrigées. Indubitablement. Tu n’as donc rien à regretter. Au contraire ! Voter Hollande était le bon choix et cela le reste. Fondamentalement.


Masochisme à Gauche et amnésie à droite

Bien sûr, les critiques n’ont pas tardé. L’angélisme consubstantiel à la Gauche s’y est quelque peu brulé les ailes. Ces flèches étaient pourtant prévisibles. D’abord, parce que c’est le sort de toute opposition qui devient majorité que de voir, contre elle, basculer les mécontents, s’emporter les impatients et s’auto-enflammer les partisans d’une radicalité tribunicienne, posture facile, fonds de commerce factice qui fit, il y a trente ans, les plus beaux jours du défunt Georges Marchais. Ensuite, parce que la situation laissée par le Gouvernement Fillon était si désastreuse et les dossiers dissimulés ou différés, comme le plan social de PSA à Aulnay, si nombreux que, sur son inertie, mot bien choisis, le bateau France ne pouvait, si ce n’est virer de bord, au moins changer de cap aussi vite que les passagers le réclamaient au nouvel équipage et au capitaine corrézien qu’ils s’étaient donné. Le soi-disant pédalo avait la taille du plus énorme des paquebots. Pas simple à manœuvrer quand les moteurs sont à l’arrêt. A cette impatience légitime, les attentes et les espoirs étant si grands, se sont ajoutés les effets moins rationnels de l’accélération, de la numérisation et de la mondialisation de l’information, de plus en plus déconnectée du temps nécessaire à l’action humaine que ce Gouvernement est sans doute le premier à éprouver avec une telle force. Enfin les ténors de la majorité sortie ont retrouvé dans leurs archives de les plus belles pages d’une partition qu’ils ont toujours maîtrisé à ravir : le grand air du déni, plus couramment appelé en médecine l’amnésie. Ils en ont usé et abusé. En virtuoses. NKM, Baroin, Pécresse, Lemaire, Copé, ministres faillis, rejetés et battus ? Allons donc. Vous avez du rêver. Convenons que nous n’avons pas rechigné à tomber dans ces différents pièges. Avouons que notre Gouvernement, où l’expérience était rare, a parfois donné l’impression des prendre son temps pour prendre ses marques. Nous savions cela. On pouvait le craindre. Nous ne l’avons pas supporté. Nous voulions tout. Tout de suite. Soyons honnêtes : après 4 500 jours de Raffarinades et de Filloneries, comment cela eut-il pu être possible ?


En six mois, Hollande a déjà tenu les 2/3 de ses promesses.

Pourtant, et ce qui aurait dû frapper les observateurs, c’est la rapidité -justement- qui a prévalu. Les engagements de la campagne, pour les deux tiers d’entre eux, ont été tenus en six mois. S’il n’y a pas eu le moindre état de grâce, dans l’opinion, dans la presse, il n’y a pas eu non plus de période de rodage, de délai de mise en route. Les promesses n’ont pas tardé à se transformer en actes aussitôt entrés en vigueur. L’allocation scolaire revalorisée de 25% a été décidée à la première rentrée, l’augmentation du nombre d’enseignants et d’adultes encadrants à l’école initiée dès l’été, la réforme des rythmes scolaires entamée sans tergiverser. La création des zones de sécurité prioritaires a rappelé la fermeté du Gouvernement en matière de sécurité. Le rétablissement de la retraite à 60 ans pour ceux qui ont travaillé tôt a démontré que la Gauche était fidèle à ses valeurs. La baisse de 30% des rémunérations du Président, du Premier ministre et des ministres, une nouvelle manière de se comporter au pouvoir, qui a fait sourire, mais qui, en Scandinavie ou en Allemagne, est devenue habituelle depuis des décennies, malgré la défection d’un homme rongé par ses démons, ceux de l’argent qui en frappe tant, ont façonné l’empreinte de la république irréprochable qui ne méprise pas, qui n’écrase pas. Moins de morgue et moins de brutalité sont des éléments centraux -et qu’il ne faut pas minimiser- de la présidence normale. On tremble moins dans les préfectures, les ambassades, les rectorats. L’accord compétitivité emploi, les emplois d’avenir, le contrat de génération ont jeté les bases d’un sursaut économique. Rien de tout cela n’était caché. Ce sont autant de propositions phares de la campagne du candidat Hollande. Le Parlement n’a jamais autant et si concrètement travaillé depuis dix ans. Moins sollicité, on lui aurait reproché son inactivité. Régulièrement consulté, on le dit embouteillé. C’est le goût français pour le paradoxe…


Gouverner en accord avec ses valeurs

La Gauche n’est pas là que pour gérer la transformation sociale et le redressement productif laissant à d’autres le soin de légiférer sur les principes. D’eux découle le reste. Ce sont des bases, des repères. Sur ce chapitre, une année a suffi pour renouer avec l’esprit des avancées républicaines. Quelle grande liberté fondamentale a-t-elle été obtenue, confortée, développée grâce à Nicolas Sarkozy en cinq ans ? Pas évident de répondre. A l’inverse, depuis le 6 mai 2012, des pages nouvelles d’égalité et de fraternité ont été écrites. Les écoliers du XXIème siècle les apprendront-ils dans leurs manuels scolaires ? Peut-être pas. Ce n’est pas parce que les socialistes sont au pouvoir que la société française va retrouver du jour au lendemain les chemins de la vertu civique. Des années de crise morale et économique, les années Tapie, les années Messier, les années Bettencourt, sont passées par là et ont tout lessivé. Recommençons pas à pas. Nous avons appris à l’école que la première femme ministre a été nommée par Léon Blum. Nos enfants apprendront que lorsque François Hollande est devenu Président de la République, pour la première fois dans l’histoire de la vie politique française, une parfaite parité gouvernementale a été instaurée. Nous avons soutenu Simone Veil lorsqu’elle s’est battue pour la légalisation de l’IVG. En 2013, le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a permis son remboursement à 100% et mis à la disposition des très jeunes filles une contraception afin de faire reculer le nombre des grossesses précoces. L’écart de rémunérations entre les hommes et les femmes est de 25% en moyenne. A partir de 2013, les entreprises qui n’appliqueront pas l’égalité salariale seront pénalisées faisant ainsi voler en éclats le plafond de verre qui opprimait dirigeantes, ouvrières, employées et cadres. Il a fallu attendre 1982 pour que l’homosexualité ne soit plus considérée comme un délit dans le code pénal. En 2013 les couples de même sexe ont acquis le droit de se marier. C’est pour l’Egalité que ces décisions ont été prises. D’autres sont à prendre et je pense naturellement, élu d’une commune cosmopolite et paisible, au droit de vote des étrangers aux élections locales.  Il ne faut pas cependant au nom de ce qui reste à faire nier ce qui vient d’être fait. Le pessimisme, maladie infantile du socialisme ?


La France écoutée, crue et respectée

C’est parfois de l’extérieur que viennent les jugements les plus lucides sur le changement français. Je ne parle pas des gros titres de la presse qui, ailleurs comme ici, vend plus de papier ou de clics avec ce qui va mal qu’avec ce qui va bien. Dans le monde, Paris est perçu autrement. Avons-nous seulement vu le soulagement des chancelleries européennes et des gouvernements alliés à voir notre pays retrouver à son sommet doctrine, cohérence et stabilité ? La prévisibilité et la clarté sont des éléments déterminants des relations internationales. Elles sont indispensables à la diplomatie française. Le moins que l’on puisse dire est qu’elles n’avaient pas été privilégiées depuis 2007. En opposition totale avec les improvisations, les errements et la surprise qui marquèrent la conduite de la France face aux printemps arabes, passant en quelques secondes d’une coupable bienveillance pour les dictateurs Ben Ali, partenaires pour certains ministres UMP de contrats immobiliers, et Kadhafi, invité comme jadis les cosaques de Koutouzov à dresser sa tente à l’ombre des arbres des Champs-Elysées, à une intervention militaire en Lybie qui sauva des vies, mais éparpilla armes et djihadistes dans toute la région, le  triumvirat Hollande-Fabius-Le Drian a réalisé un sans-faute. Le retrait annoncé et exécuté d’Afghanistan en est une illustration. L’intervention au Mali en est une autre. La France, loin des méthodes de la Françafrique, a répondu présent pour défendre un Etat qui s’apprêtait à tomber aux mains des terroristes. Cette politique a été plébiscitée. Pas besoin de tapes dans le dos de Poutine ou de « Barack et moi on va sauver le monde ensemble », mais des images fortes de John Kerry venant à Paris refonder, en français, avec les Etats-Unis, une confiance qui avait manifestement disparue, de l’Inde réconciliée avec Paris après les incidents qui émaillèrent le dernier quinquennat ou, encore, de François Hollande premier Chef de l’Etat reçu par le nouveau Président chinois et avec les égards d’un déjeuner privé qu’aucun autre ne s’était vu proposer jusqu’à présent. A l’inverse d’une habitude prise par les deux précédents locataires de l’Elysée, le Président de la République envisage la politique internationale, non pour se tenir à distance des difficultés de politique intérieure, mais pour servir une stratégie de diplomatie économique et répondre aux préoccupations quotidiennes des Français, au premier rang desquelles figure évidemment l’emploi. 


Retrouver croissance et emploi

Car la politique extérieure, aussi importante soit-elle, ou les réformes de société, qui font émerger le visage inquiétant d’une droite si réactionnaire qu’elle fait peur à ses propres leaders, ne peuvent masquer l’enjeu fondamental des quatre prochaines années : redonner au pays de la croissance et inverser la courbe du chômage.  C’est l’objectif de ce Gouvernement. Pourquoi ne pas le croire ? C’est le but que lui a fixé le Président. Y parviendra-t-il ? Il l’affirme et veut s’en donner les moyens, du crédit de compétitivité à l’introduction de cours d’entrepreneuriat au collège en passant par la Banque Publique d’investissement et la réhabilitation de l’entrepreneur. C’est la fameuse boîte à outils dont ne plaisantent que ceux qu’épargne la panne sociale. Ce faisant, il prend sans doute un risque, mais c’est celui du courage et du volontarisme, lorsqu’il persiste à évoquer, devant les Français de Shanghai voici deux semaines, le calendrier qui permettrait à ces mesures de conduire notre économie vers la réussite. Cela d’autant plus que cette dynamique connaît des échecs. Il en est de symboliques. Certains font mal comme Petroplus. D’autres en sont-ils vraiment comme Florange ? Quoi qu’il en soit, croyait-on vraiment que François Hollande mènerait un combat facile là où, depuis Lionel Jospin qui inversa la courbe du chômage, nul n’a connu de succès. En attendant, le Président agit et conduit une révolution demeurée trop silencieuse pour être populaire. A situation historique, attitude responsable, ce Gouvernement est, de fait, le premier depuis longtemps, peut-être depuis celui de 1984, à vouloir réhabiliter l’ambition industrielle. Elle existe au plus haut niveau de l’Etat. C’est elle qui a sauvé M’Real dans l’Eure. C’est elle qui protège l’usine Renault de Flins et donne du travail à celles de Sandouville et Cléon. La création de filières d’excellence, la promotion du « made in France », la constitution d’un tissu de PME nous redonneront un avantage comparatif. C’est la voie de l’avenir et il repose sur trois axiomes. Pour partager des richesses, ce qu’exige la solidarité, il faut en créer. Pour combattre les déficits, il faut vendre plus que nous achetons. Pour produire des services, ce qui est sain, on ne peut se dispenser de créer des biens.


Sérieux, rigueur ou austérité

Mais il est un autre pilier à la politique économique de ce début de quinquennat. Il n’a pas bonne presse. Il est peu esthétique et aucunement valorisant, du moins en France, quand il s’agit de rassurer et de séduire des citoyens, contribuables ou épargnants, qui s’alarment d’être traités par la finance internationale incarnée, à leurs yeux, par Charybde et Scylla, la Chancelière allemande et la patronne du FMI, comme l’ont été les PIGs[1]. C’est la sacro-sainte réduction de la dette. On dit qu’elle cache la rigueur et l’austérité. Je te dirai qu’elle valide notre sérieux et conditionne notre crédibilité. Ce n’est pas un objectif. C’est un impératif. Il est cependant conditionné à une autre exigence : celle de la solidarité fiscale qui implique que chacun contribue honnêtement, par l’impôt, selon ses moyens, à l’assainissement de nos finances publiques, bref que l’individu se place au service du collectif ce qui, par les temps que nous vivons, vaut assurément mieux que le contraire.

Certes, la dette abaissée et la confiance des investisseurs retrouvée, la croissance ne ressurgira pas comme par miracle, instantanément. Ce lien automatique et immédiat serait absurde. Dans nos mairies où le déficit est interdit par la Loi, l’opulence n’est pourtant pas toujours, c’est un euphémisme, au rendez-vous. Mais parce que l’Etat retrouvera une marge d’impulsion économique, il pourra de nouveau jouer des régulateurs et des multiplicateurs que la Commission Européenne l’abjure de ne pas utiliser, même si elle a introduit, la semaine dernière, un peu de souplesse dans cet interdit, tout comme elle avait versé un peu de croissance, à la demande du Président Français, dans son dernier « paquet » Euro. Si François Hollande réussit à redresser les finances du pays et à faire évoluer Bruxelles, les deux n’étant pas sans relations, il vérifiera une règle d’or, la seule et unique qui vaille, celle de 1997, celle qui dit que la Gauche, au pouvoir, gère mieux que la droite.

Voilà, cher(e) camarade, cher(e) ami(e), ce que j’avais à cœur de t’écrire. Les bilans de cette première année de mandat que tu liras dans les journaux seront probablement très différents de celui que j’ai décrit, mais si les éditorialistes ont un droit absolu à la critique, car c’est une part de leur métier, de sa beauté et de leur liberté, il me semble qu’un militant a le devoir entier de soutenir son Président, son Gouvernement, son Programme, car c’est le premier de ses engagements. Je le fais. Je t’incite à le faire.


Marc-Antoine JAMET

Premier secrétaire de la fédération de l’Eure du Parti socialiste




[1] Les premières lettres du Portugal, de l’Italie et de la Grèce, forment le mot cochon en anglais coc.

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