Parmi les entretiens qui se sont déroulés au cours du dernier G8 de
Deauville, la réunion qu’a organisée Nicolas Sarkozy avec les principaux
acteurs privés mondiaux de l’Internet ne manque pas de poser des questions sur
les mobiles réels que poursuit le président de la République. En premier lieu, pourquoi choisir comme uniques interlocuteurs les
milliardaires de l’Internet ? Comme si les structures associatives, les éditeurs
de logiciels libres, les acteurs des réseaux sociaux n’existaient pas. La seule
légitimité en la matière serait-elle une fois de plus celle de l’argent ?
En second lieu, interrogeons-nous sur la teneur de son discours ? Un
discours sur la nécessité de « moraliser » l’Internet. On savait déjà
l’exigence de vertu dont sait faire preuve à l’usage des autres Nicolas
Sarkozy. N’avait-il pas déjà claironné à qui voulait l’entendre après la crise
de 2008 qu’il était nécessaire de « moraliser le capitalisme » ?
On sait ce qu’il en est advenu. Derrière un même mot : « moraliser » - qui sonne étrangement
dans la bouche d’un président de la République dont ce n’est pas la fonction –
se dessinent pourtant selon l’objet auquel il s’applique, deux intentions
radicalement différentes.
« Moraliser le capitalisme », c’était un vœu pieux destiné au bon
peuple pour calmer son indignation face aux vrais responsables de la crise et
ainsi mieux l’enfumer. « Moraliser l’Internet » procède d’une toute autre démarche. Par
tous temps et en tous lieux, le pouvoir quel qu’il soit a toujours cherché d’une
manière ou d’une autre à contrôler l’information. Que sont devenues les
ordonnances de 1944 sur la presse, faisant partie du programme du Conseil
national de la Résistance, afin que plus jamais, elle ne soit dépendante des
puissances d’argent ? Même François Mitterrand, qui pourtant les avait
remises à son programme, ne se hasarda pas à affronter Robert Hersant (1). Aujourd’hui,
les principaux médias sont sans exception entre les mains de l’oligarchie.
Le pouvoir a peur d’Internet parce qu’Internet est un instrument de liberté.
Il le craignait déjà avant que ne survienne la révolte des Tunisiens et des Égyptiens.
Désormais, il sait que les réseaux sociaux sont les possibles instruments d’un
contournement du « discours officiel » d’un État. Face à l’exaspération
des peuples qu’on sent partout monter en Europe : en Islande, en Grèce, au
Portugal, en Espagne, le pouvoir est à présent pris d’une sourde inquiétude. Il
suffit de constater combien les médias « officiels » ont en France
tardé à répercuter les informations sur le mouvement citoyen en provenance d’Espagne.
Et comment les forces de l’ordre ont mis fin hier soir, manu militari, à l’occupation de la place de la Bastille qui commençait
à s’installer à Paris sur le modèle espagnol.
Vous pensez que j’exagère. Le CSA vient de prendre la décision suivante qui
s’applique immédiatement. Il est désormais interdit sur les médias publics de
citer les noms de Facebook ou de Twitter, au seul motif qu’il s’agirait là de
marques commerciales auxquelles il serait ainsi fait de la publicité. Est-ce à
dire que demain, on ne pourra non plus citer le nom des journaux desquels on
tirera des informations ou des citations pour la même raison ? Après tout,
et de ce point de vue, Le Figaro, Le Monde, Le Point, Le Nouvel Observateur,
etc. sont aussi des marques, lesquelles peuvent tirer bénéfice de se voir citées. Décidément, pour ce pouvoir autoritariste et réactionnaire, plus sa crédibilité
s’affaiblit et plus il devient inquiétant. Nos concitoyennes et concitoyens s’en
rendent-ils vraiment compte ?
Reynald Harlaut
Parti de Gauche, membre du Front de Gauche
(1) Reynald oublie que le Conseil constitutionnel avait menacé d'annuler les projets de loi de la Gauche contre la concentration. François Mitterrand y était pourtant très favorable. Il dut renoncer à ses projets.
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