29 septembre 2010
L'eau ne doit plus être une marchandise
Jean-Luc Touly (1) est l’auteur de « l’eau des multinationales, les vérités inavouables » (Fayard) licencié il y a 5 ans par Veolia, il vient d’être réintégré après une décision du conseil d'Etat. Retour sur une belle victoire.
-Pourquoi Veolia avait donc voulu ta peau ?
J’ai été viré pour avoir dénoncé les drôles de relations que tisse cette multinationale. Cadre et syndicaliste CGT, j'avais d’abord cherché à défendre l’indépendance de mon syndicat tout en militant contre l’augmentation des prix et des bénéfices sur l'eau, et aussi pour le retour en régie des contrats venant à échéance. Mais peu à peu je me suis retrouvé affaibli à l'intérieur de la CGT.
Comment Veolia avait fait pour te débarquer ?
En 2003, mon premier livre va m’amener deux procédures en diffamation de la part de Veolia et deux autres de la part de la CGT Veolia et de la Fédé CGT des services publics.
En parallèle, deux procédures de licenciement pour fautes graves vont finir par un licenciement en mars 2006 avec l'autorisation du ministre du travail Larcher, qui n’a d’ailleurs même pas pris la peine de le motiver.
Tu viens d'être réintégré ? Comment cette victoire a-t-elle été obtenue ?
J’ai en effet retrouvé mon ancienne agence début septembre. Cela fait suite à deux recours : au Tribunal Administratif, puis à la Cour d'Appel de Paris. Ma réintégration est un solide point d'appui pour obtenir celle des deux derniers de mes cinq camarades syndicalistes licenciés, tous FO d’ailleurs, qui ont comme moi eu le tort de prendre leur mandat au sérieux : Stéphane Connan et Christophe Mongermont. Christophe, licencié depuis 6 ans, est toujours le secrétaire général de FO chez Véolia eau. Face à l’intimidation généralisée, les réintégrations sont un encouragement formidable. Même si la direction joue sa dernière carte, avec un recours au Conseil d’Etat qui statuera dans 2 ou 3 ans, mais en attendant elle a été obligée de me réintégrer, et on ne va pas bouder notre plaisir.
Comment ça se passe pour toi dans l’entreprise ?
Pour l'instant, ça va. On m'a confié des tâches qui ne sont pas trop importantes, comme la gestion des fontaines publiques, mais on ne peut pas dire que je sois au placard
Le fait que tu ais été élu conseiller régional « Europe écologie » a-t-il joué ?
Je suppose plus largement que le fait que je commence à être connu finit par produire certains effets, mais c’est difficile à estimer. Pour la petite histoire, j’avais auparavant été élu maire-adjoint chargé de l'environnement à Wissous (91), puis mon maire PS m’a retiré mes délégations ! Certaines vérités dérangent, à bien des niveaux et dans les milieux les plus divers.
Où en est la bataille contre la privatisation de l'eau ?
En France, 80% du service de l'eau est délégué au privé. Mais les trois géants qui se partagent le gâteau (VEOLIA, ONDEO, et SAUR) sont confrontés à un mouvement de fond : des centaines de collectifs agissent pour la gestion publique, et de ce fait le mouvement des collectivités qui ne renouvellent pas ou rompent les contrats grossit à vue d’œil : ainsi, après Paris ou Brest, Rouen revient en régie, avec comme partout une baisse de tarif d’environ 20%, un meilleur entretien du réseau et un moindre gaspillage.
L'Association pour le Contrat Mondial de l'Eau (ACME), que tu animes avec Danielle Mitterrand, fait partie des initiateurs de la « coordination pour un forum social de l'eau ». De quoi s'agit-il ?
Il s’agit de commencer à construire un Forum alternatif pour riposter au battage médiatique et étatique qui entourera le Forum mondial de Marseille de mars 2012. Il s’agit là d’un Forum business organisé par le Conseil Mondial de l'Eau, organisme sans légitimité aux mains des dirigeants d'entreprises privées du secteur. Or la crise écologique ne nous laisse guère de temps : réchauffement climatique, pollution, à ce rythme, d’ici 25 ans la moitié des réserves mondiales aura disparu. Dans 51 pays, il y a des risques de guerre pour l'eau. Cette dégradation mondialisée se fait sous l’égide de l'OMC, et 1,5 milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau potable, 2,6 milliards de personnes n'ont pas accès à un service d'assainissement, le manque d'eau potable est la première cause de mortalité dans le monde. Il est indispensable d’obtenir la reconnaissance de l'accès à l'eau comme un droit humain. L’eau est en effet un bien commun qui ne doit pas être considérée comme une marchandise, et doit donc faire l’objet d’une une gestion publique, démocratique et transparente.
Propos recueillis par Pierre Vandevoorde et reproduits sur ce blog avec son aimable autorisation avant parution dans l'hebdomadaire du NPA.
(1) Jean-Luc Touly sera dans la région prochainement avec Danielle Mitterrand. Nous en reparlerons.
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