La fin de la pauvreté ? C’est le titre d’un film documentaire de Philippe Diaz, présenté à La Semaine de la critique, à Cannes, en 2008. Il sort cette année en DVD chez Arte Éditions.
Laurence Garcia recevait sur France Inter, ce vendredi 14 mai, à 5H30 le réalisateur de ce film. Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt dit-on. Il faut la plupart du temps se lever très tôt ou se coucher très tard pour entendre sur ces questions un discours singulier tel que celui de Philippe Diaz. Radicalement différent du discours convenu, sorte de breuvage tiède et insipide que nous servent habituellement les médias aux heures de grande écoute.
"Avec tant de richesse dans le monde, pourquoi y a-t-il encore tant de pauvreté ? S'aventurant au-delà des réponses "populaires" sur les origines de la pauvreté, ce film s'interroge sur le fait que les véritables causes ne viennent pas d'une orchestration des pays riches pour exploiter les plus pauvres depuis l'époque coloniale..."
Le colonialisme, affirme Philippe Diaz, a débuté en Occident dès 1492 avec la conquête de l’Amérique par Christophe Colomb. C’est à partir de ce moment là que la plupart des pays occidentaux, dénués de ressources naturelles propres, ont pu démarrer un développement économique sans précédent en exploitant pour eux-mêmes les richesses des pays qu’ils avaient conquis. Que serait-il advenu de pays comme l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, l’Angleterre et la France sans la manne financière que représentèrent les métaux, précieux ou rares : l’or, l’argent, le cuivre, le nickel, mais aussi sans l’accaparement des ressources naturelles : le bois, la canne à sucre, le coton, l’arachide, le café, le cacao, etc. et plus récemment le pétrole et l’uranium ?
Nous vivons dans un monde fini, où l’Occident qui représente environ 20% de la population mondiale possède et consomme à lui seul 80% des richesses mondiales produites. La pauvreté des pays du tiers-monde ne résulte donc que de la confiscation de cette richesse par les pays développés. En dépit des beaux discours sur le développement, toutes les politiques conduites par les pays riches à l’égard des pays pauvres n’ont toujours eu pour seul véritable objectif que de les maintenir dans un état de dépendance et d’indigence sans lesquelles la richesse de l’Occident n’aurait pu ni se perpétuer, ni à fortiori croître.
La guerre de l’eau des paysans boliviens
C’est là un exemple très intéressant que Philippe Diaz a développé dans son film. La Bolivie a été pendant très longtemps gouvernée par des régimes politiques de droite ou d’extrême-droite, entièrement soumis aux volontés d’économistes américains pour servir les intérêts des États-Unis. La Bolivie a ainsi été utilisée sur une période très longue comme laboratoire de l’idéologie néolibérale avec pour unique objectif : tout privatiser.
C’est ainsi qu’avant l’arrivée au pouvoir d’Evo Moralès, l’actuel président, la Bolivie n’avait plus rien de bolivien. Qu’il s’agisse des télécommunications, de la médecine, de l’éducation et bien sûr de toutes les ressources naturelles, tout était alors entre les mains de sociétés étrangères, américaines pour la plupart. Ce qui expliquait que la Bolivie, pays doté de nombreuses ressources naturelles et faiblement peuplé était l’un des pays les plus pauvres du monde alors que ce pays aurait dû être un pays riche.
L’une des dernières ressources à ne pas être privatisée était l’eau. Lorsque la Bolivie, pour la dernière fois avant l’arrivée d’Evo Moralès a eu besoin de recourir à un emprunt auprès de la Banque mondiale, celle-ci a subordonné son accord à l’acceptation de la privatisation de l’eau dans l’ensemble du pays. Les six régions qui le constituent ont alors été chacune attribuées à de grandes sociétés internationales de l’eau, dont une filiale du groupe américain Bechtel.
Sur le papier, on retrouve toujours l’idée séduisante que la privatisation va permettre d’assurer les investissements nécessaires à la réalisation des grandes infrastructures de distribution de l’eau potable, avec bien entendu comme objectif de l’amener aux populations les plus pauvres. Mais la réalité est tout autre. Après deux ans de gestion de l’eau dans la région de Cochabamba attribuée au groupe Bechtel, peu de travaux avaient été engagés mais le coût de l’eau avait été multiplié par cinq, prix devenu impossible à payer par les populations pauvres qui se sont révoltées. En dépit d’une répression féroce, les Boliviens ont fini par gagner cette bataille de l’eau. Probablement selon Philippe Diaz, parce cette privatisation était pour eux culturellement et religieusement inacceptable. L’eau en Bolivie fait partie de la Pachamama, la Terre-Mère, la mère nourricière. Elle est un bien que personne ne peut posséder. La situation était devenue totalement absurde. Exigées par le groupe Bechtel pour protéger ses intérêts, des lois avaient été promulguées qui interdisaient aux paysans de puiser l’eau des rivières et de recueillir l’eau de pluie.
Le discours de Philippe Diaz est parfaitement clair. Les prêts accordés aux pays du Tiers-monde par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI) n’ont pas, comme on ne cesse de nous le répéter, pour objectif d’aider au développement de ces pays. Car bien entendu, dans ces deux organismes, la réalité du pouvoir est indissociable de l’importance de la contribution des pays qui y siègent. Les États-Unis, première puissance mondiale, en sont par conséquent les maîtres. La plupart du temps, les projets financièrement soutenus ont sciemment des objectifs totalement irréalisables en termes de développement et de progression du PIB. Ainsi se font piéger les pays pauvres qui, quelques années plus tard, ne pouvant rembourser la dette, doivent alors accepter de céder à vil prix leurs ressources naturelles ou en concéder l’exploitation à des multinationales. Mais parfois c’est aussi autoriser sur leur sol l’installation de bases militaires ou encore accepter de soutenir par leur vote la politique occidentale dans les organismes internationaux. Ainsi va le monde néolibéral qui court à la catastrophe.
Reynald Harlaut
Propos librement adaptés de l’interview de Philippe Diaz
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