Serge Bove aura vécu très difficilement les quinze dernières années de sa vie. Après la disparition prématurée de sa fille, Marie-Françoise, Serge a entamé une forme de réclusion en accompagnant son épouse dans un chagrin inextinguible. S'il parvenait encore à descendre en ville faire ses courses, il avait de plus en plus de difficultés à affronter le quotidien. Auprès de son épouse, dépressive, il luttait lui-même contre une maladie cruelle qui, il faut le souligner, n'a jamais entamé sa verve, son souci d'être informé, sa joie de rencontrer des amis. Il savait cacher sa peine.
Avant de devenir premier adjoint sur la liste d'Union des Gauches conduite par Ernest Martin, en 1965, Serge Bove était connu à Louviers comme enseignant. Je l'ai eu moi-même comme instituteur à l'école Jules Ferry. Je dois avouer que j'en conserve un souvenir éclatant. Il était de ceux qui rendent les élèves intelligents, qui les poussent, qui leur enseignent du contenu, avec méthode, rigueur, exigence de résultat. Des poèmes à apprendre et à retenir (je les connais encore par cœur) des leçons de géographie avec polycopiés sentant bon l'odeur de l'alcool et de l'encre du stencil. Et la langue française ? Il adorait Prévert (le Cancre). Il faisait aimer la géométrie et n'oubliait pas de nous préparer au spectacle de fin d'année sur l'estrade installée dans la cour de la mairie. Il était un de ces enseignants comme on les affectionne : laïque, imprégné d'égalité des chances, défenseur farouche des valeurs de la République qui forment des citoyens.
A la mairie, je l'ai connu drôle, ouvert, s'amusant des choix « révolutionnaires » d'Ernest Martin qu'il aimait comme un frère et pour lequel il avait une vraie tendresse. Avec Paul Astégiani, secrétaire général de la mairie et Daniel Marinier, directeur des services techniques, Serge travaillait en plaisantant, plaisantait en travaillant. C'était l'époque de la culture pour tous, de l'accès libre aux équipements, des ateliers d'expression, des contradictions de la Gauche noyée dans mai 68. Il m'expliqua, par le menu, le sens de la révolte estudiantine et pourquoi ce joli mois de mai allait devenir un tournant de notre histoire.
Après la défection des élus communistes en 1969 et la constitution du Comité d'Action de Gauche, Serge fut pendant des années un compagnon fidèle, un soutien indéfectible du combat que nous menions alors contre une Droite qui vilipendait (encore aujourd'hui) l'héritage de mai 68 et débinait une action municipale si novatrice.
Il ne fut pas de l'équipe rassemblée autour d'Henri Fromentin en 1976-1977 mais il y prodigua ses encouragements et fut sincèrement heureux du retour de la Gauche au pouvoir. Des problèmes personnels contribuèrent à l'éloigner des préoccupations politiques locales mais lors de nos rencontres en ville, il n'éludait aucun problème de la Gauche, aucun fait qu'il considérait comme une erreur ou un silence coupable.
Comment ne pas mettre en exergue sa générosité, sa chaleur humaine…je me souviens qu'en 1957, on lui avait offert en cadeau de fin d'année un coffret des chansons d'Yves Montand, qu'il aimait beaucoup. Pas le Montand de la crise mais le Montand de Saint-Germain et de l'existentialisme, le Montand de Prévert, de l'appel de stockholm…Il se reconnaissait sans doute dans ce Montand-là, le jeune gamin italien des quartiers de Marseille devenu ce quelqu'un à la renommée mondiale et avec cette voix si particulière. Car la voix de Serge aussi savait chanter.
Serge Bove a fait une chute cette semaine et s'est brisé une jambe. Hospitalisé à l'Hôpital des Feugrais, il est mort des suites d'une embolie cérébrale à l'âge de 82 ans. Je communiquerai la date de la cérémonie de ses obsèques dès que j'en aurai connaissance. A Philippe, Nathalie et leurs enfants, j'exprime toute ma sympathie et leur adresse une pensée très amicale.
3 commentaires:
Cher Jean Charles,
Je tenais de tout coeur à apporter mon soutien à ses proches, et à votre ami.
Ne le connaissant pas ce grand homme, dont je partage certaines choses qui me ressemble dans vos ecrits.
Avec mes hommages distingués
Dr Ludovic Zanker
Diplomate Honoraires RFA
Il y a un an et quelques mois, j'avais eu l'occasion, dans ces fameuses course du matin, de discuter avec Serge BOVE et Michel BOUTELET, tous les 2 se savaient malades, de la vie et de la mort. Aujourd'hui ils sont partis, je ne retiendrai que leurs leçons de vie. Mes pensées vont vers les proches de Monsieur Bove.
Serge a souhaité être inhumé sans cérémonie et sa famille respecte ses dernières volontés.
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