« C’est ce titre qu’avait choisi Jean Ziegler pour son avant-dernier livre dans lequel il disait tout le mal qu’il pense du néolibéralisme et des agissements des sociétés transcontinentales, pour l’essentiel américaines, qui tiennent, de par leur puissance financière, les pays du Sud dans un état d’asservissement de plus en plus préoccupant.
À l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, Jean Ziegler, ex rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, était interviewé récemment sur France-Inter. Il a rappelé les promesses qu’avaient faites il y a une dizaine d’années l’ensemble des pays développés, d’éradiquer le lancinant et terrible fléau que représente la faim dans le monde.
La faim dans le monde, c’est aujourd’hui 923 millions d’êtres humains qui ne mangent pas chaque jour à leur faim ; c’est un enfant qui meure toutes les 5 secondes et 100.000 personnes qui meurent chaque jour, ou de la faim, ou de ses conséquences immédiates. Sans parler des ravages que font les carences alimentaires sur le développement physique et intellectuel des enfants mal-nutris. Il fallait pour cela dix ans à raison de trois milliards de dollars par an.
30 milliards de dollars, comparés aux 700 milliards de dollars du plan de M. Henry Paulson pour tenter de sauver l’économie américaine, ou encore aux 1 500 milliards d’euros du plan qu’à mis en place l’Europe de la zone Euro pour stabiliser le système bancaire, c’est me direz-vous, une goutte d’eau.
Mais cette goutte d’eau, les gouvernants des pays riches n’ont pas en dix ans réussi à la trouver. Et, loin de s’améliorer, la situation au regard du problème de la faim dans le monde s’aggrave chaque jour. Cette situation est totalement scandaleuse, car c’est bel et bien là un crime contre l’humanité que nous sommes en train de commettre, nous les pays riches, ainsi que le dénonce Jean Ziegler, crime dont nous aurons un jour à rendre compte.
Les organismes internationaux dépendant de l’ONU, chargés de venir en aide à ces pays ou d’organiser les échanges : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dirigés pour ces deux derniers, on ne le soulignera jamais assez, par MM. Dominique Strauss-Kahn et Pascal Lamy, des socialistes – c’est surréaliste –, sont totalement noyautés par les États-Unis d’Amérique et leur affidés. Ces organismes ne sont là, en réalité sous la caution morale que fournit l’étiquette de leurs dirigeants, que pour défendre les intérêts des sociétés transcontinentales les plus riches et accroître la dépendance et la misère des pays les plus pauvres par le moyen de la dette et de son corollaire la faim qui empêchent tout développement.
Jean Ziegler dénonce le double langage insupportable tenu par l’Occident envers les pays du Sud : le droit à l’alimentation, les droits de l’Homme, la démocratie. Et pendant ce temps-là, les Etats-Unis torturent en Irak, en Afghanistan, à Guantanamo. Pendant le même temps, ils retirent du marché mondial de l’alimentation 138 millions de tonnes de maïs et de blé pour en faire le bioéthanol nécessaire à faire rouler leurs voitures, faisant ainsi exploser les prix et affamant davantage les pays du Sud. Pendant le même temps l’Union européenne organise la famine en Afrique par le dumping agricole qui ruine la petite paysannerie.
Nul ne peut douter que cela va conduire à court terme à la Haine de l’Occident (2) c’est le titre qu’a donné Jean Ziegler à son dernier ouvrage. On voudrait encourager le terrorisme qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Ce sera, comme on peut le craindre, si rien n’est rapidement fait pour mettre un terme à cette honte, l’arme du désespoir qu’utiliseront les populations affamées face à l’étalage toujours plus arrogant de la richesse incommensurable d’une poignée d’hommes, situation dont nous devenons chaque jour davantage par notre impuissance ou notre indifférence, les complices involontaires.
Reynald Harlaut
(2) Jean ZIEGLER, La Haine de l’Occident, Éd. Albin Michel, Paris, 2008.
(1) Jean ZIEGLER, l’Empire de la honte, Librairie Arthème Fayard, Paris, 2005, Le Livre de poche, réédition 2008.
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