2 octobre 2020
Au Sénat la gauche est condamnée à l'opposition pour toujours
Durant toute ma vie d’électeur, je n’ai pas eu de remords dans les votes qui ont été les miens jusqu’à aujourd’hui. Certes, il m’a fallu souvent faire un choix « contre » plutôt que « pour » mais comme j’ai toujours privilégié mes principes à ceux et celles qui étaient sensés les incarner, je n’ai pas à rougir de mes votes. J’ai quand même un regret.
En 1969, le général de Gaulle a proposé un référendum visant à supprimer le Sénat dans sa forme actuelle. On sortait de mai 68, le général incarnait une forme désuète de la pratique du pouvoir mais avait largement triomphé aux élections législatives et une majorité pléthorique le soutenait. La Gauche était encore à la recherche d’une union, le parti communiste dominait de la tête et des épaules la gauche socialiste et radicale. A droite, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Du moins apparemment. La proposition de référendum devait permettre au général de reprendre la main. Nenni. Ce fut l’occasion pour les centristes de se singulariser et de dire non au général comme le proposaient tous les opposants, dont Jean Lecanuet et Valéry Giscard d’Estaing. Un tremblement de terre politique allait s’en suivre.
Fidèle à lui-même, le général avait prévenu. Si le non l’emporte avait-il affirmé, « je cesserais à midi (lundi) d’exercer mes fonctions. » Alain Poher, devenait ainsi président de la République par intérim. J’ai voté « non » comme beaucoup à gauche dont les représentants préconisaient de voter contre le général. Mais avait-on assez réfléchi ? Avait-on mesuré que la seconde chambre du Parlement allait être dominée ad vitam aeternam par la droite et qu’ainsi, quelle que soit la majorité dans le pays « réel » comme disent les populistes, ce sénat allait donner du fil à retordre à tous les gouvernements même quand ils étaient de couleur bleu…la couleur préférée de la droite française.
En disant non au général, nous n’avons pas répondu à la question posée. N’avons-nous pas raté une belle occasion de remettre en cause ce bicamérisme et donc l’existence du sénat où l’alternance (sauf exception de 2014 à 2017) est quasi impossible ? Le Sénat, sur le papier, est le représentant des territoires. Ces territoires où les villes, les agglomérations et les métropoles sont sous-représentées au bénéfice des territoires ruraux puisque l’immense majorité des électeurs et des électrices sont des élu(e)s des campagnes. Ce sont ceux et celles qui ont voté dimanche dernier. Et ces élu(e)s n’appartiennent pas souvent au camp que Pierre Mendès France appelait « le camp du progrès. » Ainsi, eu égard au système, la gauche a vocation à demeurer éternellement minoritaire au sénat — les résultats récents en sont encore la preuve — rendant compliquées voire impossibles les modifications constitutionnelles quand il ne s’agit pas des lois ordinaires. Pour échapper à la majorité des 2/3 des parlementaires, seul un référendum populaire peut pallier cet obstacle.
Il est mal vu, encore aujourd’hui, de proposer la suppression du Sénat comme il est mal vu de remettre en cause l’existence des départements. Aucune majorité ne prendra le risque de proposer l’une ou l’autre. Et pourtant. Sans sous-estimer le rôle de contrôle des actes du gouvernement par les deux chambres, je crois avoir eu tort, en 1969, d’avoir répondu non à la question posée par le général de Gaulle. Le Sénat, tel que proposé par le chef de l’Etat d’alors, aurait été profondément modifié et les régions auraient vu le jour dès cette époque puisque la régionalisation était le second volet du référendum. Que de temps perdu et quelle occasion ratée !
L’élection de M. Gérard Larcher à la présidence du Sénat, sans opposant, ne fait que confirmer la domination d’un courant de pensée qui, sous des noms différents (LR, UDI, MODEM, RDSE, Nouveau centre etc…) défend peu ou prou la même politique. A l’Assemblée nationale, les clés du pouvoir sont dans les mains des représentants du peuple. Même si on n’apprécie pas toujours les résultats des législatives, ils s’imposent à tous et à toutes. Et l’alternance y est possible. Le Sénat, lui, demeurera encore longtemps une forteresse pour une droite indétronable.
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