Portraits de tsiganes internés. Les familles Léger, Waiss, Saultier…et tant d'autres.© Jean-Charles Houel |
Pendant quelques mois, de
1940 à 1941, une carrière située au pied de la falaise crayeuse de la cote d’Elbeuf,
à la sortie de Louviers, a servi de camp d’internement où 200 adultes et
enfants de tous âges, considérés comme des êtres « asociaux et dangereux » ont
vécu dans des conditions effroyables. Ces gens du voyage, ces tsiganes, après
avoir été fichés, surveillés pendant des décennies, ont été plus de 20 000 en
France à subir les affres et les souffrances de la marginalisation xénophobe ou
raciste ou sont morts en déportation dans les camps de la mort nazis pour
plusieurs centaines d’entre eux.
A l’initiative de Vanina
Gasly, archiviste de la CASE, encouragée par Bernard Leroy, président de l’agglomération
,une conférence a été donnée ce samedi, au Moulin, devant une salle comble
narrant l’histoire si méconnue de « ces Français pourtant sans Histoire » rehaussée par la participation de lycéens de Val-de-Reuil. Ces derniers, encadrés
par plusieurs professeurs du lycée Marc Bloch, ont travaillé en effet sur l’itinéraire
de ces familles dont les noms et les photographies appartiennent dorénavant à l’histoire
locale et régionale. Donner un nom, mettre un visage, n’était-ce pas le premier
pas de la réinsertion dans la communauté ?
Jamais je n’aurais imaginé,
moi qui ai fréquenté tous les quartiers de Louviers pendant des années, que le
site ayant permis l’aménagement d’un broyeur à ordures ménagères (dans les années
soixante-dix) avait servi bien des années auparavant de « refuge » obligatoire (entouré de barbelés, avec maintes interdictions à respecter scrupuleusement) à
des familles françaises qu’un régime sans conscience voulait « sortir » de la
société.
Les chefs de famille ont dû
tout vendre : roulottes, chevaux, matériels divers, certains habitant même
dans les grottes si peu hospitalières. Un témoignage filmé et projeté en fin de
rencontre nous apprend que pendant quelques semaines, les occupants du camp
purent continuer à rempailler, préparer les paniers, notamment, spécialités
manuelles de ces familles nombreuses. Elles comptaient sept huit voire dix
enfants qu’il fallait vêtir et nourrir dans les pires conditions. Vanina Gasly
a réussi à restituer leur mémoire à ces familles françaises en narrant leur
parcours de Louviers à Jargeau, dans le Loiret, où elles ont été internées jusqu’en
1945 après avoir quitté Louviers. Le fait est que, placé sous administration française, ces dernières ont
eu la vie sauve mais après quelles privations : de liberté, de mouvement,
de nourriture, de dignité bien sûr.
Profitant du 125e
anniversaire de la naissance de la Société d’études diverses qui a servi de
cadre à ces récits mémoriels, une cinquantaine de personnes, dont le maire François Xavier Priollaud, ont participé,
samedi matin, à la pose d’une plaque souvenir près du camp aujourd’hui disparu.
Il faut croire que le secret de l'existence de ce camp fut bien gardé puisqu’il n’existe que peu de
documents d’archives sur cet épisode de la seconde guerre mondiale, certains
Tsiganes ayant pourtant dû contribuer à l’évacuation des gravats d’un Louviers
bombardé !
Les Lycéens de Marc Bloch avec Bernard Leroy (CASE), Jean-Pierre Binay et Claude Cornu (SED). ©JCH |
Au-delà de l’émotion compréhensible
des descendants de ces familles, présents au Moulin hier, s’ajoutait un climat général
empreint de compassion mais aussi d'une forme de «culpabilité» partagée à l’égard d’actions
menées au nom de l’Etat français, un état qui ne pouvait plus porter le nom de
République puisque la liberté, l’égalité et la fraternité avaient évidemment
disparu. La SED est évidemment dans son rôle quand elle contribue à élargir le
domaine de nos connaissances générales et particulières. D'autres initiatives seront à mettre à son actif en 2018.
(1) D'après le titre du livre d'Henri Rousso et Eric Conan.
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