Erçic Lafon. (photo Jean-Charles Houel) |
« Que reste-t-il de nos
amours ? » ou plutôt « Que reste-t-il du Front populaire ? » La plupart des
personnes interrogées répondront : «
Les congés payés et la semaine de 40 heures. » L’image du tandem (voir photo ci-dessous) circulant
sur le remblai bordant la plage des Sables d’Olonne ajoute à la légende d’une
période faste pour les droits des salariés. Le 80e anniversaire du
Front populaire n’a pas été fêté comme on aurait pu s'attendre qu’il le fût de
la part d’un gouvernement de gauche. Avec mai 68, l’arrivée au pouvoir de Léon
Blum représente, pourtant, dans l’imaginaire collectif, un moment de progrès et
d’avancées sociales considérables. Peut-être Mme El Khomri, la ministre du
Travail, de la Formation et de l’Emploi, se sent-elle coupable d’une forme
d’abandon des catégories de population qu’elle est censée défendre ?
Eric Lafon, directeur
scientifique du musée de l’histoire vivante de Montreuil, invité ce samedi par
la Société d’études diverses de Louviers à répondre à la question devant une
salle à l’écoute, reconnaît que les légendes et les mythes concernant cette
période ont la vie dure. Il a donc pris le temps de détailler, en historien (1)
la genèse de la constitution du gouvernement présidé par Léon Blum, composé de
ministres de la SFIO et du parti radical socialiste soutenu par les
communistes… Les partis de gauche se sont rassemblés après les événements du 6
févier 1934 organisés par les ligues factieuses d’extrême-droite qui voulaient,
dit-on, renverser le gouvernement Daladier.
Les années 1934 et 1935 auront
été mises à profit par la gauche française pour élaborer une plateforme commune
susceptible de les conduire au pouvoir et de favoriser un projet dit de gauche.
Eric Lafon insiste sur un point : quand les élections législatives de 1936
ont lieu, la SFIO et le PCF n’ont pas la majorité au Palais Bourdon, pour
gouverner il leur faut le soutien des radicaux-socialistes forcément plus modérés.
Ce soutien aura évidemment des conséquences sur le contenu de l’accord
puisqu’il ne s’agit pas, selon le mot de Blum, « d’une majorité prolétarienne.
» Léon Blum et ses ministres (socialistes et radicaux) travailleront
bien : congés payés, 40 heures, accords de Matignon avec augmentation des
salaires, conventions collectives, auberge de la jeunesse, soutien direct aux
républicains engagés dans la guerre d’Espagne pendant quelques mois…sans oublier le fameux
mot de Maurice Thorez « il faut savoir
terminer une grève…dès lors que les principales revendications sont
satisfaites. » En mai et juin 1936, de nombreux travailleurs(euses) sont en
effet en grève. Ils dansent, ils chantent, font preuve de fraternité et
d’exigence de dignité car ils veulent, enfin, être reconnus dans la fabrique de
l’histoire. Le patronat va lâcher sur les salaires et le temps de travail tout
en espérant rebattre les cartes un peu plus tard…
la conférence fut abondamment illustrée. |
Avec le temps, raconte Eric
Lafon, les réussites et les échecs du Front populaire seront analysées plus objectivement
eu égard aux recherches entreprises sur la base des archives publiques et
privées. Elles éclaireront aussi bien la volonté de changement des gouvernants
avec Jean Zay, Roger Salengro, Vincent Auriol, Pierre Cot (dont le rôle fut
majeur pour venir en aide aux républicains espagnols) Camille Chautemps et la
présence de trois femmes (2) que l’action bâtie sur le triptyque « le pain, la
paix, la liberté ». Eric Lafon assure que le trait d’union des partis de gauche
c’est d’abord et avant tout la lutte antifasciste. En Italie et en Allemagne, Mussolini
et Hitler ont pris le pouvoir et ne cachent nullement qu’ils souhaitent faire
la guerre aux démocraties. Mais la fin de l’expérience est proche. En 1938,
Léon Blum propose modifier la politique financière de la France et se heurte à
l’opposition du Sénat. Cette dernière entraîne sa démission et l’arrivée de
Daladier au pouvoir. Exit le Front populaire. L’épopée commence. De même que
les 7 mois et quelques jours…du gouvernement Mendès France ont marqué
l’histoire de la gauche et affirmé sa crédibilité à gérer les affaires du pays,
le Front populaire a joué un rôle considérable dans la capacité d’un
gouvernement de gauche à contribuer au progrès social. Le contexte
international, très défavorable, n’a pas empêché Léon Blum et ses ministres
emblématiques de faire d’invention. La mémoire collective et les mémoires
individuelles, en France et ailleurs, éprouvent encore une nostalgie certaine à
l’évocation des noms de Salengro (poussé au suicide) Jean Zay (assassiné par la
milice) et bien sûr Léon Blum homme d’état supérieurement intelligent et
véritable animateur du Front populaire.
(1) Une exposition itinérante : 1936, nouvelles
images, nouveaux regards sur le Front populaire se tient actuellement au Musée
de l’histoire vivante de Montreuil.Les auteurs/commissaires de
l’exposition sont : Éric Lafon, directeur scientifique au musée de l’Histoire
vivante, Frédéric Cépède (journaliste à l’Office universitaire de recherche
socialiste), Jean Vigreux (professeur d’histoire contemporaine à l’Université
Bourgogne).
(2) Dans
le gouvernement de Front populaire de Léon Blum, trois femmes ont été nommées
ministres (ou « sous-secrétaires d'État ») alors qu'elles n'étaient, comme
toutes les femmes de leur temps, ni électrices ni éligibles. Il s’agit de
Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d'État à l'Éducation nationale, Irène
Joliot-Curie, sous-secrétaire d'État à la Recherche scientifique, d'ailleurs
démissionnaire dès le 28 septembre 1936, et Suzanne Lacore, sous-secrétaire
d'État à la protection de l'enfance.
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