Maurice Pons en 1976. |
D'autres diront mieux que
moi quelle fut la place (importante) de l’œuvre littéraire de Maurice Pons,
mort ces derniers jours des suites de maladie, dans l’histoire des écrivains
français. Ils seront mieux à même d’y lire ce mélange de fantastique et de
rêverie poétique propre à cet homme d’une trempe d’exception dont je ne
souhaite retenir que les rapports amicaux tissés au fil des décennies dans une
loyauté et une fidélité à toute épreuve.
Avec des amies, déjeuner devant le Moulin |
J’ai le souvenir — ancien — de
ce chauffeur à la voiture rouge qui venait chercher les enfants de Suzanne
Lipinska, sa muse de toujours, à la sortie des classes du lycée de Louviers. Il
me subjuguait déjà mais j’ignorais alors combien Maurice Pons menait tambour
battant et plume magique sa carrière d’écrivain, de traducteur, de scénariste,
de…militant antifasciste et antiraciste, favorable à l’émancipation des
peuples. Le manifeste des 121 (1) faisait alors les gros titres des journaux.
Justement, une journaliste du Monde écrivait, hier, comment Maurice Pons est
passé de l’admiration qu’il portait à Jules Romain à une carte du Parti
communiste dont il resta jusqu’à la fin de sa vie un compagnon de route lucide.
Au Moulin d’Andé, — « il s’est éteint sereinement là où il a toujours vécu, écrit,
pensé, rêvé » comme l’écrit si bien Suzon, la présence de Maurice était partout. Elle régnait
surtout dans son coin à lui, en prise directe sur la prairie et la Seine, dans
cette chambre qui lui servait à la fois de bureau, de standard téléphonique, de
salon de réception et de lieu de fête. J’y ai rencontré tant d’hommes et de
femmes à l’intelligence vive, issus des mondes de la presse (une
presse qu’il consultait quotidiennement) ou littéraire car Maurice ne
s’embarrassait pas des habitudes ou des manies qu’on prête trop vite à ceux
qu’on connaît mal. Des musiciens, des peintres, des sculpteurs, des
circassiens, des plasticiens, des comédiens (Ah Simone Signoret…), des écrivains, des politiques
aussi, se pressaient chez lui où il les attirait pour remplir un livre d’or
devenu la mémoire vive du Moulin d’Andé. C’était ainsi : il voulait
marquer pour la postérité l’histoire collective du Moulin au travers des destins
individuels durables ou éphémères. Ces livres d’or, ils sont le beau récit
d’une aventure née pendant les trente glorieuses dont Suzanne Lipinska et
Maurice Pons demeurent à tout jamais les auteurs d’un labeur, véritable défi au
temps qui passe. Rien ne mourra donc jamais totalement puisque leur œuvre
commune leur survivra.
Avec le peintre Vladimir Bougrine sur sa terrasse. |
Maurice Pons, qu’on le
veuille ou non, s’il était né à Strasbourg, était assez Parisien. Le Paris du
quartier latin, le Paris des concours littéraires, le Paris du mouvement. Le
Paris du travail, des relations avec les éditeurs, le Paris de la rue de
l’Université où il possédait un pied à terre pour les besoins de son métier. Le
Moulin d’Andé fut donc pour lui un refuge permanent, un lieu d’amour, de
tendresse, un lieu familial, une résidence, d’artiste certes, mais surtout d’amitié,
de création car d’écriture et d’échanges. Il aimait raconter comment, pour « la
Disparition » de Georges Pérec, les résidents avaient pour tâche de construire
des phrases sans la lettre E, travail commun en forme d’élucubrations
oulipiennes.
Maurice Pons sut, au fil des
années, se rendre indispensable tant il connaissait les habitudes des uns, les
petites manies des autres et les susceptibilités qui font le commun des hommes
et des femmes singuliers. Il écrivait, bien sûr, mais il manifestait envers
Suzanne une attention si grande qu’il croyait la protéger quand c’est sur lui,
Maurice, que Suzanne veillait…Et les soirées télé mémorables, les repas où
chacun donnait du sien, les fêtes du Moulin de juin, les discussions
interminables sur des domaines aussi variés que l’émancipation des peuples, les
données géopolitiques, la vie littéraire, la psychanalyse ou l’avenir de
l’URSS…
Lucienne Hamon accueillie au Moulin par Suzon et Maurice. |
Je le revois à sa table,
entouré de ses objets familiers, de ses cendriers (du moins quand il fumait
encore) de son coupe-papier légendaire et des œuvres qui jalonnaient ses
relations avec les artistes. Je revois les tableaux de Pierre Garcette, sa
collection de cartes postales, tous ses livres et ceux des autres où il puisait
son immense culture avant de lire « le Monde » daté du jour dont « bénéficient
» si je puis dire les provinciaux. Je salue son imagination fertile, celle qui pouvait
donner naissance aux « Saisons » dont Denis Lavant lut quelques pages en 2014
permettant de mieux apprécier le style ciselé de l’artisan attaché au mot
précis, à la phrase juste, cohérents avec l’histoire globale du roman. « Ecrire c’est facile, disait-il, tous les mots sont dans le dictionnaire. La
difficulté c’est de bien les agencer. » De leur donner un sens et de la vie. Avec « Les Saisons » Maurice Pons fut
« Goncourable »…et de ce roman naquit un petit club d’initiés comprenant les
admirateurs (trices) de cet écrivain inventeur d’histoires fantastiques et fantasmatiques. Dans
la liste de ses livres, il ne faudrait pas oublier Rosa, Mlle B, les Souvenirs
littéraires, les Virginales, les Mistons dont François Truffaut tira un court
métrage non plus que son recueil de nouvelles primé par l’Académie…L'Académie ? Quelle
horreur ! Son verbe était si élégant, son style si inscrit dans la
tradition de notre belle langue et si travaillé que les hommes en habits verts
ne pouvaient pourtant que lui décerner leur prix !
La vie de Maurice Pons, né
en 1925, fut tellement riche. Pas riche de possession, pas riche de domination
mais riche de relations fortes et sincères, de sentiments, et surtout de toute
cette prose passionnée à partager. A l’heure de sa mort et maintenant qu’il est
passé dans l’au-delà païen, j’aimerais que les lecteurs de ce blog conservent
le souvenir d’un homme qui avait « pour
seule richesse mon papier et mes crayons » (2). Qu’on en juge encore :
« C’était un dimanche matin et comme tous
les matins, je m’étais réveillé à huit heures vingt. Ni huit heures et demi, ni
huit heures et quart, non, huit heures vingt. Il se trouve niché quelque part
en moi, dans ma tête ou dans mon cœur, ou dans mes yeux, une sorte de déclic
qui me fait resurgir à la vie chaque jour très exactement à la même heure.
L’heure de ma naissance, je présume. J’ai souvent sur ce point interrogé ma
mère mais je n’ai pu obtenir que des réponses imprécises…»
Enfin quand je dis « réveillé »,
j’exagère un peu. J’étais dans cet état, extrêmement plaisant qui se situe
entre le sommeil et la veille. Immobile dans mon lit, allongé sur le dos, les
yeux à demi ouverts, je reste longtemps à contempler en rêvassant les grosses
poutres équarries du plafond. Sous les lumières de l’aube qui commence à
filtrer à travers les rideaux de toile rouge, dans le silence de la maison
endormie, je ne me lasse pas d’étudier les paysages que dessinent les nœuds
éclatés dans le cœur du chêne, les fentes, les crevasses, les traces de
gélivures qui marquent les frontières de l’aubier. J’y découvre des archipels
inconnus, des coquillages étranges, de troublantes noctuelles. L’une a la forme
enjouée d’un jeune pubis à peine nubile, une autre affecte les contours d’une
oreille facétieuse… »
Extrait de l’île engloutie texte de Maurice Pons
d’après un tableau de Paul Klee.
Un extrait des « Saisons ». |
Le corps de Maurice Pons
sera incinéré cette semaine. Sa belle et longue vie sera évoquée par ses
proches, ses amis, au cours d’une cérémonie intime. Comme Christine Lipinska qu’il
adorait, nous serons nombreux à nous poser cette question : « Comment
imaginer que Maurice Pons n’est plus au Moulin d’Andé ? » La réponse est
simple : personne ne peut l'imaginer.
Maurice Pons acteur dans un film de Christine Lipinska. |
(1) 121 acteurs, écrivains, artistes publièrent un texte pour demander qu'on mette fin à la guerre d'Algérie et, surtout, qu'on autorise l'insoumission. Cette initiative vers l'indépendance de l'Algérie valut à Maurice Pons d'être invité aux cérémonies célébrant le trentième anniversaire de cette indépendance.
(2) Cette phrase est prononcée par Siméon, héros principal des Saisons.
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