M. Jean-Louis Ernis m'a adressé un commentaire publié à la suite de mon billet (1) sur le livre que Mme Françoise Chapron a consacré à l'action de Pierre Mendès France. J'aurais pu à mon tour commenter l'argument de M. Ernis mais j'ai préféré laisser la parole à Mme Chapron. N'ai-je pas écrit qu'elle connaissait Pierre Mendès France comme personne ? Fort aimablement, elle a accepté de répondre à M. Ernis dont elle ne désapprouve pas, par ailleurs, certains des propos.
« J'ai éprouvé quelque perplexité devant le commentaire posté par une
personne qui au moins a donné son nom mais que je ne connais pas, à propos de
la présentation faite par Jean-Charles Houel de mon ouvrage consacré à Pierre Mendès France la République
en action. Les motivations et éléments avancés ne semblent pas très limpides, voire
tendancieux.
Sur le point de litige
L' auteur, qui se dit
admirateur de PMF, avance un fait précis le refus de celui-ci du vote du traité
du Marché commun en 1957 comme élément attestant du caractère visionnaire de
PMF face à l'échec aujourd'hui,
selon M.Ernis, de ce traité créant une Europe ultra libérale.
Afin de justifier cette opinion
qui appartient à son auteur,
opposant de gauche sans doute au traité de 2005, celui-ci se livre à une
attaque en règle de Jean-Charles Houel dans des termes agressifs voire
injurieux, au motif que celui ci n'aurait pas cité ce vote négatif dans les
moments importants de la carrière de PMF.
Sur la pertinence du reproche
Le manque de cet élément dans l' énumération des décisions courageuses
de PMF, faite par JCH à la fin de son quatrième paragraphe, pouvait faire
l'objet d'une observation
pertinente sur l'absence du vote sur le traité du marché commun en
disant pourquoi ou en quoi. Mais
quand on rend compte d'un ouvrage, on peut hiérarchiser ses choix. Peut-être
aurait il été utile de mettre par
prudence des points de suspension !
Pour autant, citer en priorité
la démission de 1945 et celle de 1956 en tant que membre du
gouvernement sur deux questions
majeures de notre histoire de la France contemporaine qui ont eu des conséquences
dramatiques et anticipées par Pierre Mendès France, n'est pas choquant.
On aurait pu citer ce fait aussi dans les actes de courage cette décision
que nul n'avait prise de présenter au Parlement, ce traité de la CED voulu par
la France et non ratifié , qualifié de « crime du 30 août » d'autant
que la solution négociée ensuite dans les Accords de Londres et Paris
instituant le Traité de l' UEO, plus équilibré et moins soumis au leadership
unique des Etats Unis, est encore en vigueur en 2016.
Pourquoi réagir ?
Ce qui m'a décidée à intervenir est de l'ordre de l'exigence d'honnêteté
intellectuelle que prônait Pierre Mendès France et du respect des ouvrages des
historiens qui n'ont pas vocation à être des polémistes ou ils l'assument
clairement.
Pour ma part je n'apprécie pas que l'on cite des ouvrages à l'appui d'un
argument d'opinion comme la biographie d'Eric Roussel que je connais bien, fort
documentée par des archives, dans laquelle je ne vois pas qu'il élude ce vote
de 1957.
Quand à moi, je rassure notre interlocuteur sur ma connaissance du texte
en son entier des débats de 1957. Pour écrire des biographies telles que les nôtres
(ma thèse initiale compte 683 pages et un volume d'annexes de 131 pages que
j'ai réduit à 185 pages pour ce modeste ouvrage de synthèse grand public), il
est en effet nécessaire d'effectuer un gros travail de lecture et dépouillement
de kilos d'archives et lire les débats de l'Assemblée nationale: discours,
propositions de lois, questions écrites, (environ 15000 par législature) comme
ceux des assemblées départementales ou municipales. C'est la base même du métier
d'historien, comme de vérifier les faits pour un journaliste digne de ce nom.
L'attaque portée contre Jean-Charles Houel dont je sais la déontologie
journalistique, qui n'exclut pas un regard engagé sur le monde, légitime du moment qu'il y a un souci d'honnêteté
intellectuelle, et que je connais et apprécie depuis 1980, début de mes
recherches, est déplacée et
ressemble à une mauvaise polémique ad hominem dont mon ouvrage semble le
prétexte.
Lire avant de critiquer
Surtout, comment se
permettre de contester le contenu du compte rendu d'un ouvrage qu'on n’a pas
lu. Et l'avouer naïvement. Certes il est d'usage trop fréquent chez certains
commentateurs ou hommes politiques et quelques critiques culturels de
s'aventurer à commenter ou
critiquer ce qu'ils ne connaissent pas ou n'ont pas lu ou vu. Cela n'en est pas
moins une pratique détestable et condamnable.
A la lecture de mon ouvrage, que je lui recommande vivement car s'il
aime Pierre Mendès France, il le retrouvera dans son action politique régionale
très mal connue, il aurait pu constater que j'ai mis en valeur à chaque fois
que nécessaire le côté visionnaire ou la pertinence anticipatrice du « Cassandre »
de la République dans différentes périodes ; des exemples concrets d'anticipation
sont cités largement de 1930 à 1962.
Sur le Marché Commun (pages 126-127) j'explique que « sur le
vote du traité, il a avancé des critiques comprises comme une opposition à la
construction européenne, alors qu'il a surtout mis en garde sur la fragilité économique
de la France dans le nouvel ensemble et les dangers de législations sociales et
fiscales nuisibles pour la compétitivité économique de la France, ainsi que le
risque de chômage et de concurrence avec l'Allemagne en regrettant le choix
d'un processus de construction trop libéral ». Il fera de même sur le danger des institutions de la V° république au risque de l'échec en 1958 et 1962.
Oui, PMF fut par son
intelligence et son sens de l'intérêt de la France et des citoyens, une sorte
de « lanceur d'alerte » agissant avant que ne se produisent les événements
et assurément certaines de ses analyses sont encore d'actualité. Comme celle
sur la probité de la vie publique (voire privée, ce qu'il ne séparait pas). Donc
je n'ai pas de désaccord sur le propos de M. Ernis.
Une polémique sans raison historique
Mais l'esprit et la méthode sont bien peu fidèles à l'exigence de
respect des idées et de vérité qui
caractérisait Pierre Mendès France, lui qui travaillait à fond ses dossiers,
pour ne dire que la vérité des faits puisée aux meilleures sources, écoutait et
dialoguait avec chacun sans préjugé même si il mettait quelque entêtement à
convaincre ses interlocuteurs.
Dommage d'avoir créé une navrante polémique sur un fait que la lecture
préalable de mon ouvrage aurait désamorcée d'emblée. A moins que ce message ne
relève que d'une forme de mauvaise querelle consternante s'adressant au
blogueur !
Mon livre étant en cause sans être lu, j'ai demandé à répondre en historienne, me sentant
solidaire de JC Houel, petitement
mis en cause. Pierre Mendès France aurait détesté la procédure employée.
« Beaucoup de bruit pour rien finalement » et Talleyrand
disait que « tout ce qui est excessif est insignifiant ». Merci à Jean Charles d'avoir mis en valeur avec talent, lui aussi, cet
ouvrage. Et de m'avoir laissé la parole Ici. »
(1) Pour ceux qui n'auraient pas lu le commentaire de Jean-Louis Ernis, je le publie à nouveau : « Jean-Charles Houel ne dit pas tout ! Faire l’éloge d’une personnalité remarquable comme fut Pierre Mendès France nécessite une totale indépendance d’esprit.
Faire les commentaires d’un livre oblige à tout dire, même si ce livre fait des impasses historiques. Je n’ai pas lu l’ouvrage de Mme Françoise Chapron, j’en ai lu d’autres, celui d’Eric Roussel par exemple.
Je ne sais si l’ouvrage en question évoque le positionnement de PMF sur le Traité de Rome, mais faire des commentaires en mettant en exergue les moments forts de la carrière de cet homme en « oubliant » le vote négatif du Député de Louviers sur le Traité de Rome le 18 janvier 1957 à l’Assemblée Nationale, m’interroge. Faire l’impasse sur le discours complet et détaillé justifiant le positionnement de Mendès France me sidère. Et pourtant, quelle clairvoyance.
Cinquante ans après, nous sommes en plein dans la situation qu’il redoutait. Jean-Charles Houel n’est pas le seul à biffer cet évènement historique. A l’heure où le rejet de cette construction ultralibérale de l’Union Européenne fait monter l’extrême droite dans toute l’Europe, il y en a encore qui se comportent comme l’équipage d’un navire voyant les récifs se rapprocher dangereusement, obstrue la longue vue et fonce à toute allure sachant que l’échouage est assuré !
Oui, Pierre Mendès France était un visionnaire, y compris sur la construction européenne. »
Faire les commentaires d’un livre oblige à tout dire, même si ce livre fait des impasses historiques. Je n’ai pas lu l’ouvrage de Mme Françoise Chapron, j’en ai lu d’autres, celui d’Eric Roussel par exemple.
Je ne sais si l’ouvrage en question évoque le positionnement de PMF sur le Traité de Rome, mais faire des commentaires en mettant en exergue les moments forts de la carrière de cet homme en « oubliant » le vote négatif du Député de Louviers sur le Traité de Rome le 18 janvier 1957 à l’Assemblée Nationale, m’interroge. Faire l’impasse sur le discours complet et détaillé justifiant le positionnement de Mendès France me sidère. Et pourtant, quelle clairvoyance.
Cinquante ans après, nous sommes en plein dans la situation qu’il redoutait. Jean-Charles Houel n’est pas le seul à biffer cet évènement historique. A l’heure où le rejet de cette construction ultralibérale de l’Union Européenne fait monter l’extrême droite dans toute l’Europe, il y en a encore qui se comportent comme l’équipage d’un navire voyant les récifs se rapprocher dangereusement, obstrue la longue vue et fonce à toute allure sachant que l’échouage est assuré !
Oui, Pierre Mendès France était un visionnaire, y compris sur la construction européenne. »
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