20 mars 2015

La « calinothérapie » de Dominique Seux devant l'Université populaire de Val-de-Reuil


Dominique Seux. (photo JCH)
Dominique Seux ? Un Janus assuré sur le passé et prudent sur l’avenir. Un vrai économiste quoi. Invité par Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil et Dominique Cantrelle, proviseur du lycée Marc Bloch, dans le cadre de l’Université populaire rolivaloise, Dominique Seux savait que les trois quarts du public présent seraient des lycéens. Quand on est conscient de l’importance du choix des mots et qu’on doit donc faire preuve d’un talent pédagogique, le Hollande Bashing n’a pas lieu d’être non plus qu’une ode au libéralisme absolu dont chacun mesure aujourd’hui, notamment dans les pays du sud de l’Europe, les limites. Pour les peuples et en particulier pour les jeunes. 

En prenant pour sujets l’état de la France, la nécessité des réformes et les conséquences de la mondialisation, l’éditorialiste de France Inter, directeur de la rédaction des Échos, a choisi une voie médiane et pratiqué une calinothérapie sans aspérités ni fautes de goût. Il est vrai que l’alignement favorable des « planètes »  — taux d’intérêt bas, pétrole pas cher, dollar faible — aide à dynamiser une économie nationale en panne depuis 2008 lors de la crise économico-financière partie des États-Unis avec les subprimes. Le ruissellement actuel de liquidités des banques centrales ira-t-il jusqu’aux plus faibles et aux plus défavorisés ? La désinflation sera-t-elle bien combattue ? La planche à billets créera-t-elle des bulles à vocation explosive ? Autant de thèmes sur lesquels les experts (1) sont partagés.

Si on ne voit pas, aujourd’hui, la reprise en France, « on sait, affirme l’orateur, qu’elle va venir, qu’elle vient. » A l’aide de slides comme autant d’exemples concrets, le conférencier situe la France dans l’Europe et dans le monde en comparant le temps de travail, les dépenses publiques, les aides sociales, et aussi la fiscalité européenne si différente en Irlande, au Luxembourg, à Londres ou à Francfort. « En matière de dépenses publiques, la France est 7e dans le monde avec la Finlande à ses côtés parmi les pays développés ». Et cela ne fait pas plaisir à Monsieur Seux. Il explique ce phénomène par la pléthore de collectivités et l’addiction (réelle ou prétendue) des Français à l’impôt. Peut-être aurait-il dû expliquer le manque cruel d'adhésion aux charges contributives que les Révolutionnaires de 1789 avaient pourtant inscrites dans la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen ?

La France souffre, selon lui, de handicaps anciens et d’une désindustrialisation massive. Il soutient la loi Macron, le pacte de compétitivité, le crédit emploi-recherche, considère que le gouvernement actuel avance dans le bon sens mais regrette que la loi sur les 35 heures n’ait pas été modifiée (2) : « On ne pouvait pas, assure-t-il, baisser le temps de travail sans baisser les salaires. » Il en conclut que seuls les cadres ont profité de cette loi, une loi positive pour les insiders — ceux qui ont un emploi — et négative pour les outsiders, les chômeurs et les travailleurs précaires…

Et L’Europe ! Ah l’Europe ! Pour nos parents, elle fut synonyme de paix. Pour nous et notre génération, de libertés. De circulation, d’échanges économiques et culturels. Pour nos enfants, quel sens a-t-elle ? Est-elle honnie, détestés, cette Europe si décriée, critiquée…où la règle de l’unanimité empêche toute réforme d’amplitude et notamment une harmonisation fiscale souhaitable pour une concurrence équitable.

Il y aurait cependant quelques raisons d’espérer. « La « démondialisation » avance, doucement, mais elle avance. » L’augmentation des salaires, en Chine notamment, réduit les écarts de coût avec l’occident : les producteurs ont de moins en moins d’intérêt à délocaliser. La décennie à venir sera-t-elle celle d’une résurrection dans un rapport « qualité-prix » faisant pencher le fléau de la balance dans le bon sens pour la France et l’Europe ? Le taux de croissance français serait de 1,1% en 2015 et 1,7% en 2016, une embellie permettant de créer des emplois et d’inverser la fameuse courbe du chômage chère à notre président…

J’avais, dans le papier annonçant la conférence, taxé Dominique Seux de libéro-libéral. Face au public venu nombreux dans la magnifique salle de conférence de l’ensemble sportif Jesse Owens, le journaliste l’a joué serein. Une manière de faire oublier les joutes animées qui l’opposaient à Bernard Maris, l’oncle Bernard de Charlie Hebdo, assassiné par les  frères Kouachi en janvier dernier à Paris. Je suggère à Marc-Antoine Jamet et Dominique Cantrelle, s’ils souhaitent élargir la palette des théoriciens de l’économie, d’inviter Frédéric Lordon, « économiste atterré » et directeur de recherches au CNRS. Les lycéens de Marc Bloch découvriraient ainsi une autre face du capitalisme, comme la face cachée de la lune…

(1)  Coluche avait une belle définition des experts : « Ils ont un avis sur tout, ils ont surtout un avis. »
(2)  Le temps de travail n’est pas un élément suffisant de comparaison avec les autres pays européens. Il convient de prendre également en compte la productivité des salariés. Si l’on produit plus en moins de temps…

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