« Pendant des années, il fut le "Monsieur
islam" du ministère de l'Intérieur,
conseiller de Jean-Pierre Chevènement
puis de Daniel Vaillant place Beauvau, entre 1997
et 2002, il a continué à suivre le dossier islam au Bureau central des cultes
jusqu'en 2014. Mais Bernard Godard n'a pas raccroché les gants. Il se penche
dans un livre qui paraît lundi sur ce qu'il
appelle, non sans provocation, "la question musulmane en France". En
2007, cet expert avait publié Les Musulmans en France (Laffont),
"un constat établi en évitant les angles", dit-il auprès de l'AFP.
Cette fois, assume-t-il, l'analyse est "plus critique". L'auteur
assume le côté "provocateur" du titre de son épais ouvrage publié
chez Fayard. « La problématique de la
visibilité dans l'espace public, de la persistance des affiliations à des pays étrangers,
de la proximité [...] avec des versions littéralistes, voire violentes, de la
religiosité » est « autant de motifs
qui légitiment cette question ».
En clair, les musulmans en France ont bien des efforts à faire pour devenir des
musulmans de France, selon Bernard Godard.
Son livre ne fera pas l'unanimité. Il a déjà
passablement indigné le Conseil français du culte musulman (CFCM), qui a dégainé
un communiqué dénonçant une "campagne malfaisante" émanant d'un «
aventurier en mal de reconnaissance ». Il faut dire que Bernard Godard n'épargne
pas le CFCM, estimant qu'il « n'a jamais été
et n'est toujours pas soucieux de penser l'islam de l'avenir ». Et de
moquer un réseau "ectoplasmique", celui de la Grande Mosquée de
Paris, dont le recteur Dalil Boubakeur préside le CFCM.
Trois tendances
Bernard Godard décrit les dynamiques à l'œuvre dans
la première communauté musulmane d'Europe. Il identifie d'abord un "islam
identitaire", en essor depuis les années 90. Il classe dans cette catégorie
les musulmans attachés à la progression du commerce halal, au développement de
la finance islamique, à la défense du voile (non intégral), à la solidarité
avec des causes musulmanes (palestiniennes notamment), à la promotion dans
l'espace médiatique du concept d'islamophobie... Cet islam « ne s'inscrit pas forcément en faux par rapport à l'universalisme,
mais il veut peindre en vert tous les aspects de la vie sociale et culturelle »,
affirme l'auteur.
Deuxième tendance "aujourd'hui
bien installée en France" : l'islam de rupture. C'est surtout le
salafisme, ce fondamentalisme wahhabite en quête d'une pureté mythique, celle
des "pieux prédécesseurs". « Il
ne s'agit pas forcément d'une rupture violente. Mais ce n'est pas un islam de
conciliation, de négociation avec la laïcité », prévient Bernard Godard. Très
largement quiétiste et hostile au Jihad guerrier, ce salafisme contrôle aujourd'hui "une centaine" de lieux de
culte en France (sur 2 300). La rupture peut toucher au « lien social, par exemple pour la scolarisation », souligne
l'auteur. Celui-ci invite à ne pas y voir principalement une influence extérieure,
venue du golfe notamment : « Ceux qui
sont les plus extrémistes,
entre guillemets, sont souvent ceux qui sont les plus français, avec notamment des convertis. Quelque part, ce sont
les nôtres », écrit Bernard Godard.
Mais le salafisme peut se faire djihadiste quand il
bascule dans une "spirale radicale", selon l'auteur, qui a achevé son
livre avant les attentats de janvier à Paris. « À leur lumière, j'aurais peut-être davantage analysé les griefs
complotistes ou victimaires, qui produisent des effets détonants »,
confie-t-il. Mais « dire que les frères
Kouachi sont des produits du salafisme, c'est un peu faire le grand écart.
L'aspect religieux ne me semble pas le facteur le plus important de leur
radicalisation », déclare-t-il aujourd'hui.
Enfin, Bernard Godard discerne un "islam comme
confession", discret mais toujours vivace : il s'articule entre
l'influence des pays d'origine (Algérie, Maroc, Turquie...) et l'attachement à
la citoyenneté française. C'est l'islam des grandes fédérations, mais aussi de
nombreuses mosquées de terrain.
La création en France d'un "organe de théologie"
est "absolument nécessaire et urgente" pour répondre aux questions et
besoins des fidèles, souligne Bernard Godard. Il espère que les pouvoirs
publics pourront "traiter avec l'islam comme ils le font avec les autres
cultes, tout simplement, par des contacts continus". À la condition de se
résoudre à ne pas avoir "une seule tête" en face d'eux.
Bernard GODARD. La question musulmane en France. Paris : Fayard, 2015. 352 p.
20,90 euros
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